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Simca 9 Aronde : la vie Théodore

Par Nicolas Fourny - 07/10/2020

Si d’aventure vous envisagez de vous offrir une Aronde, ne tardez pas trop : il s’agit en effet d’un supercar de haute technologie, constitué de matériaux exotiques, débordant de puissance et sur lequel les spéculateurs se sont jetés comme la vérole sur le bas-clergé. Bon, vous avez raison, ça n’est pas tout à fait exact, mais ce n’est pas une raison pour dédaigner cette charmante automobile, qui nous parle des années 1950 comme Jean Tulard évoque la Révolution française : avec éloquence et sincérité. Celle qui a permis à Simca de devenir le deuxième constructeur français, produite à plus d’un million d’exemplaires puis livrée aux courses de stock-car, aux démolisseurs et à l’ingratitude des familles qu’elle a si longtemps promenées, profite aujourd’hui d’une cote d’amour qui ne se dément pas. Les survivantes se blottissent les unes contre les autres lors des rassemblements d’anciennes, comme étonnées d’avoir échappé au pire. Et ceux qui les ont patiemment restaurées savent tout ce qu’elles transportent avec elles…

Pour une fois, une hirondelle fait le printemps

Nous sommes en mai 1951. Le bon docteur Queuille est Président du Conseil. La guerre d’Indochine fait rage. André Gide est mort depuis trois mois ; inconsolable, Philippe Pétain ne va pas tarder à le suivre dans la tombe. Progressivement, la France de l’après-guerre panse ses plaies ; la reconstruction bat son plein et, dans bien des villes saccagées par le conflit, un nouveau monde, radicalement étranger à celui d’avant 1939, apparaît peu à peu. Le pays, alors coincé entre les spectres de l’Occupation, les premières secousses de la guerre froide et l’impéritie de sa classe politique, s’efforce néanmoins de croire à des lendemains prometteurs de progrès économique et social ; et l’automobile joue un rôle essentiel dans cette contrée en mutation, aspirant aux joies d’un consumérisme encore timide, mais simultanément bourrelée de contrastes, de lourds secrets et de drames irrésolus. L’omineux plan Pons étant désormais remisé dans les greniers de l’Histoire, les constructeurs hexagonaux ont retrouvé une entière liberté de création et ils vont en faire largement usage.

C’est ainsi que le très entreprenant Henri Théodore Pigozzi, le patron de Simca, que le plan susmentionné avait initialement cantonné à la fabrication de la « 8 » — c’est-à-dire ni plus ni moins qu’une Fiat rebadgée apparue en 1938 —, lance rapidement les études d’une création notablement plus ambitieuse et qui va, en toute logique, s’appeler « 9 ». À ce chiffre un peu aride, les responsables de la firme de Nanterre vont adjoindre le nom « Aronde », qui signifie « hirondelle » en vieux français ; et c’est sous cette double identité que la nouvelle voiture est donc présentée en ce printemps 51. Pour Simca, l’Aronde représente un pas en avant décisif ; première monocoque de la marque, elle valide surtout l’émancipation du constructeur vis-à-vis de Fiat car, pour la première fois, il ne s’agit pas d’une auto conçue à Turin puis plus ou moins adaptée au marché français mais d’une création originale, en dépit d’une ressemblance indéniable avec la Fiat 1400 contemporaine, aussi bien esthétiquement que techniquement…

Entre marketing et poésie

De fait, l’Aronde doit encore beaucoup à Fiat, à commencer par son quatre-cylindres, issu de la Simca 8 et dont les 1 221 cm3 délivrent la puissance, honnête pour l’époque, de 45 chevaux — soit trois de plus que la Peugeot 203 commercialisée trois ans auparavant. Tout comme la Peugeot, l’Aronde dispose d’une boîte à quatre rapports, dont seuls les trois derniers sont synchronisés et qui, malheureusement, se voit affublée d’une commande au volant particulièrement imprécise. Joliment dessinée, l’auto innove en proposant des équipements modérément répandus à ce moment-là, comme par exemple des clignotants dignes de ce nom ou encore un dispositif de chauffage dont ont dû rêver les possesseurs des premières Ford Vedette… Pour autant, la nouvelle Simca souffre dès le départ de la comparaison avec la 203, plus austère, certes, mais aussi plus sérieusement conçue et construite.

L’Aronde se déclinait aussi en Commerciale

Élaborée en peu de temps, l’Aronde manque à l’évidence de mise au point et, plusieurs millésimes durant, les ingénieurs vont s’astreindre à l’améliorer, sans jamais parvenir à égaler la voiture de Sochaux. Toutefois, cette dernière, victime de son succès, souffre de délais de livraison extrêmement longs qui, par contrecoup, favorisent l’Aronde, livrable quant à elle beaucoup plus rapidement. Le marketing fait le reste, à grand renfort d’appellations plus flatteuses et évocatrices les unes que les autres, parfois utilisées afin de dissimuler la sénescence de certains composants ou la modicité des évolutions techniques — le moteur se voit ainsi rebaptisé « Flash » en 1956, après avoir été réalésé à 1290 cm3 et, en tout et pour tout, gagné trois chevaux supplémentaires ; les niveaux de finition, pour leur part, témoignent d’une créativité échevelée, d’inspiration très américaine et parfois même proches d’une forme de poésie. À cet égard, l’Aronde fleure bon le populuxe, avec des versions dénommées « Rue de la Paix » ou « Élysée-Matignon » — c’est d’ailleurs peut-être là que les responsables actuels de DS Automobiles sont allés puiser leurs « inspirations », avec des noms comme « Opéra » ou « Bastille » ! La performance n’est pas en reste et, entre avril et mai 1957, une Aronde parcourt 100 000 kilomètres sur l’autodrome de Montlhéry à une moyenne de 113 km/h, battant 28 records internationaux et 14 records du monde, ce qui aboutit à la création d’une version éponyme destinée à valoriser l’endurance comme la vélocité de l’engin.

Une Simca Aronde « Grand Large » (en haut) et « Chatelaine (en bas)

À chacun son Aronde

Plutôt agréable à conduire car relativement nerveuse, avec une boîte plus courte que celle de la 203, l’Aronde, contrairement à sa rivale, va connaître plusieurs restylages, dont l’un, en 1954, inaugure la typique calandre « à moustache », qui évolue deux ans après lors de l’introduction de la ligne dite « Océane », destinée à perdurer jusqu’à la disparition du modèle, à la fin de 1959, lorsque la P60 la supplante définitivement. Entretemps, l’auto multiplie les variantes, se faisant tantôt laborieuse avec la « Châtelaine » ou le pick-up « Intendante », tantôt récréative avec le coupé hard-top « Grand Large », sans parler des dérivés « Plein Ciel » et « Océane » produits en très petites séries chez Facel ; elle s’adresse ainsi à une clientèle très diversifiée et, de nos jours, se trouve donc en mesure d’intéresser les collectionneurs à plus d’un titre. D’un classicisme forcené en termes d’architecture et de trains roulants — il s’agit bien évidemment d’une propulsion à essieu arrière rigide et ressorts à lames —, l’Aronde peut cependant s’avérer délicate à restaurer si vous partez d’une base incomplète. La multiplicité des habillages intérieurs et les nombreuses évolutions , des différentes finitions ne facilitent pas la tâche des professionnels, même si des établissements réputés, comme ENPI à Lésigny, peuvent vous être d’un grand secours.

Les rares Plein Ciel (coupé) et Océane (cabriolet) furent fabriquées chez Facel.

À l’heure actuelle, la cote des Aronde est très variable d’un modèle à l’autre. Si, d’après La Vie de l’Auto, les berlines « Deluxe » sont accessibles dès 3 000 euros, les rarissimes « Élysée Matignon » ou « Rue de la Paix » peuvent atteindre, voire même dépasser les 12 000 euros. Il n’en demeure pas moins que la première « vraie » Simca constitue toujours l’un des moyens les moins onéreux de humer les remugles merveilleusement désuets de la décennie 1950, avec ce mélange de candeur créative, de roublardise publicitaire et d’opportunisme commercial qui a fait de la marque défunte un constructeur à l’identité aussi distincte qu’attachante. Le monde dans lequel l’Aronde est apparue, voici bientôt soixante ans, a cessé d’être mais, grâce à elle et à l’imaginaire qu’elle contribue à protéger, il demeure assez facile de s’y réfugier, le temps d’un voyage ou, peut-être, d’une vie tout entière. Soyez-en persuadés, quelle que soit sa durée, c’est une excursion que vous ne regretterez pas !

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