Renault 16 : pas monacale pour autant
Ses phares de format presque rectangulaire contribuent à la dater : des phares comme ceux des Ford Taunus (15M P6), comme ceux des Renault 10 modèle 68, puis des Renault 12 de 1969. La Renault 16 fut une auto de rupture dans l’offre automobile française des années 60, puisqu’elle bouleversait les conventions. Il fallait que l’automobile serve autant par ses fonctions explicites qu’implicites, en avoir pour son argent et son usage, gagner en autonomie. Le leitmotiv Renault des années 80 (« une voiture à vivre ») doit très largement à cette auto. La R16 est une jolie voiture, pimpante et lumineuse, multimodale par l’articulation et le chargement par l’arrière de l’habitacle. Renault entretiendra dès lors deux voies parallèles entre la berline bicorps (la R16, duo de R20 et R30, R25 et Safrane par la suite) et les berlines tricorps à moteur à l’avant (R12 à partir de 1969, continuée par la R18 voire la la R21). Entre les deux s’ouvraient des gammes médianes puisant aux deux familles avec la R14 (1976) puis les R11 et R9. 1 850 000 R16 produites entre 1965 et fin 1979, en presque 20 années, ne disqualifient d’ailleurs pas le quasi million de R14 produites en moins de huit années (1976-1983). Les compactes comme la R14 sont issues de cette pensée de la mobilité traduite par la R16 et sa contemporaine Simca 1100 dans un autre segment.
Une voiture pour une clientèle installée
A-t-on déjà fait le compte de ces autos habituelles, banales croisées dans son quotidien et aujourd’hui disparues ? Ma petite liste de R16 commence avec celle de l’instituteur, l’une des toutes premières, grenat, et celle de son collègue à la rentrée 1967, vert foncé. C’était la bleu ciel du boulanger, celle du père d’un copain d’école, blanche aux sièges en tissu rouge, la TA du menuisier, deux ou trois TS, plutôt bleu-nuit métallisé, la grenat encore (et pour cause) du boucher, la TX blanche à toit ouvrant et coupe-vent orange du mari de la coiffeuse, et les dernières, plongées dans les bains de peinture des R12, très milieu des 70’s, des voitures bleu-roi à calandre en plastique noir. Les R16 en gris ou noir du général, dans ma petite ville natale de garnison (deux étoiles, le général) avaient remplacé les Peugeot 403 et précédaient les R18. Les colonels étaient voiturés en Peugeot 204 noire, en-dessous, c’était direction « Quatrelle » sable, Méhari verte, ou Jeep-Hotchkiss.
La R16, on la distinguait à son petit monogramme sur la partie inférieure droite du hayon, celles d’avant l’année-modèle 1971, TS ou TA. À partir de cette césure, on lira l’identité à droite, sur le bandeau noir mat du rabat de hayon. L, c’est la plébéienne, la TL la raisonnable, la TS fait sa fière, la TX sa décidée. Au Salon 1970, la R16 reçoit de grands feux arrière à deux tons orange et rouge, faisant sa mise à jour de carrosserie avec la base du hayon. À la revue de détail de la 16, la trappe à essence, à droite de la plaque minéralogique arrière, de façon moins sophistiquée que sous le feu des 403, ou la plaque des Ariane et 404, entre autres. À l’avant, les TS se posaient en reines de la route au moyen de deux “longue portée” d’appoint posés sur les pare-chocs, ou encore de la petite buse de verrouillage du capot moteur à gauche. Et puis ce fut la métamorphose du tableau avant, en 1974, avec les quatre phares de format carré et les longs clignotants blancs de la TX, munie d’un becquet chromé en haut du hayon.
Gaston Juchet au travail !De la difficulté de nommer une auto qui croise des usages
La R16 constituait le sommet de l’offre Renault entre 1965 et 1975. Sa version TX la fait cossue, presque une grosse voiture. Et pourtant les voies étroites disent le poids des ans et, au décimètre, la voiture est de taille contenue. Hauteur à part évidemment, la R16 la situe au niveau d’une Mégane actuelle, voire d’une Clio V ou du dernier Renault Captur, en longueur, 4 260 mm pour la R16, et 4 227 mm pour celui-ci. La Clio V, large de 1 798 mm, surpasse les 1 650 mm de la R16, haute de 1 450 mm comme la Mégane (1 447 mm). La taille de la R16 se situe à ce barycentre entre une Clio V, une Mégane et un Captur bien plus large et haut. À l’étage au-dessus, il s’agit des Talisman, au même rôle commercial et fonctionnel. Mais la R16, comme nombre de ses contemporaines, était posée sur des voies étroites presque comparables à celles de l’actuelle Twingo dont la voie avant dépasse tout de même celle de la R16 (1 452 mm à la Twingo et 1 342 à la 16), et il en va de même pour la voie arrière (1 425 mm à la cadette et 1 292 mm à l’auto des 60’s).
Pourtant, on la qualifiait de « limousine » au motif des trois glaces latérales, par le truchement de la custode. En fait, il s’agissait de l’une des toutes premières berlines compactes. Si l’on s’en tient aux critères normalisateurs de l’ISO, une limousine est définie par une « carrosserie fermée à toit rigide, pare-brise fixe, quatre ou six portes latérales et malle arrière sans communication directe avec l’habitacle […] Une ouverture à l’arrière est possible ». La taxinomie carrossière est mise à mal par cet objet automobile pensé au tout début des années 60. La compacité l’emporte, pour le marché automobile en expansion, sur l’orthodoxie statutaire. Les familles sont encore relativement nombreuses, elles façonnent la société de consommation et la « civilisation des loisirs » (Joffre Dumazedier publie son ouvrage, Vers une civilisation des loisirs ? en 1962), et l’accès à l’automobile est un projet promettant plus d’autonomie plutôt que de liberté. Le passage par les biens d’équipement durables (réfrigérateur, machine à laver), et surtout le téléviseur, précède l’auto.
Quand la R16 est mise sur le marché, le général de Gaulle conduit sa campagne présidentielle au cours de l’un des entretiens télévisés préparés avec Michel Droit et assène « La femme veut une auto ». Encore que cette Renault sommitale ne soit pas à la portée de tout le monde. L’intuition du PDG de Renault, Pierre Dreyfus, et de ses équipes, a bien dû puiser à la source de l’observation des mutations sociétales en cours. La R16, tant par sa compacité, sa polyvalence et sa multimodalité, sert les besoins du monde des années 60. Les appartements « clés en mains », les pavillons juchés sur leur sous-sol traduisaient en termes mobiliers cette propension à rassembler les fonctions. La R4 portait déjà, plutôt en tâcheronne, cette fonction de praticité et la genèse de la R16 commence au début de la commercialisation de la « Quatrelle ».
La R16, une voiture d’équipe
On a lu souventes fois l’élimination du projet de berline tricorps 114 (Ghia) mue par un L6 disqualifié au profit du projet 115, la future Renault 1500, cylindrée type des gammes moyennes « hautes » (Peugeot 404 de 1960, d’abord en 1 468 cm3, Simca 1500 de 1963 au 1 475 cm3, entre autres). Renault a laissé là une berline conventionnelle, sorte de Flavia française à l’immense calandre à la façon des gigantesques Chrysler 300 C (1957). La 6 cylindres 2,2 litres aurait étiré la gamme en provoquant un fossé préjudiciable à sa cohérence. La conception de la R16 est conduite tambour battant entre 1961 et 1965. Les essais des premiers prototypes commencent en Italie à l’automne 1963 et la « nouvelle Renault 1500 » est annoncée au printemps 1964. La Une de L’Auto-Journal du jeudi 28 mai 1964 (n° 351) annonce et énonce « La Peugeot 204 sera lancée en même temps que la Renault 1500 au Salon de Genève en mars 1965 : une nouvelle 1500 française va s’ajouter à toutes celles que l’Europe compte déjà, en dehors de la Peugeot 404 et de la Simca 1500 : en effet Renault va présenter au prochain Salon de Genève sa traction avant qui ne sera fabriquée au Havre qu’en 1965 ». Le dessin d’une auto jaune donne ici les traits généraux de la R16, mais qui n’est pas sans évoquer, selon l’illustrateur de cette publication, les Dodge Lancer 770 (1961) qui voyait peut-être encore une ultime réminiscence du projet 114 de Ghia.
Le délai de conception et de mise au point est aussi conditionné par l’édification d’une usine neuve délocalisée dans la banlieue du Havre, à Sandouville, construite entre juillet 1963 et décembre 1964. La Renault 16 n’exista qu’en une seule carrosserie. La Régie récusa une proposition de Philippe Charbonneaux. Sa trois volumes bien raide contredisait le projet même de R16 multimodale, de même qu’un projet de R16 décapotable, un prototype de coupé décapotable entre autres auraient constitué une autre auto plutôt qu’une déclinaison impossible de R16. L’équipe rassemblée autour des ingénieurs Yves Georges, directeur du bureau d’études, et Gaston Juchet, responsable du style, Pierre Tiberghien, Claude Prost-Dame, coordonnateur de la cellule de conception (style, méthodes, carrosserie et sellerie, bureau d’études), Robert Broyer, figure majeure du centre de style Renault, Luc Louis, qui a donné sa forme générale à la R16, les stylistes Yves Legal, Michel Beligond retrouvés chez Alpine par exemple, a constitué le noyau mettant en oeuvre et en forme le cahier des charges initié par Pierre Dreyfus. Ils ont conçu la voiture dont l’essentiel se trouvait dans l’habitacle modulable pour sa partie arrière, permettant un volume de chargement croissant de 346 à 1 200 dm3, malgré un seuil de chargement élevé. Le porte-à-faux arrière donne d’ailleurs l’idée de la fonction dévolue à la moitié postérieure de l’auto. Il n’y aurait manqué que la banquette fractionnable. Seule la partie arrière fit l’objet de repentirs notables, déplaçant les feux de la verticale à l’horizontale
La tension et l’harmonie posent un dessin cohérent et loquace
Le dessin de la R16 est fait d’une tension générale, alternant modénature et grands panneaux lisses. À l’instar de la R4, les ailes avant ne sont plus affirmées et débordantes, aussi, le grand capot avant paraît-il plus plat et tendu que celui des Simca 1300/1500 conservant une amorce d’aile enveloppante. Cette tension est reprise sur la Simca 1100 de 1967 ou sur la Peugeot 504 de 1968 et, bien entendu, sur la Renault 6, sa conscrite. Jusqu’à l’arête de la cinquième porte, la moulure centrale en bandeau, partant du trapèze médian de calandre, définit la symétrie axiale de l’auto. Le bandeau distribue deux panneaux plats en citation des volets de capots moteur amovibles d’avant-guerre. Depuis la pointe des ailes avant, un corps de moulure signe la ceinture de caisse et vient mourir sur le montant arrière sitôt son angle aigu. Sur cette arête de ceinture de caisse, le soin apporté au dessin va jusqu’au traitement des poignées de portières, une baguette chromée franchissant l’encoche.
Le projet d’un coupé sur base Renault 16 restera à l’état de concept (encore détenu par Renault Classic aujourd’hui)Le dessin de l’élévation latérale souligne la dominante tendue à l’horizontale par le pli de caisse courant de la pointe du feu arrière (les modèles de 1965 à 1970) jusqu’à la pointe du capot avant. Ce pli distribue la lumière et assoit l’auto. Il correspond au tableau arrière sur lequel vient se poser la cinquième porte. Le bandeau de carrosserie supérieure fait le retour du montant arrière et coiffe la cellule. Dès lors, l’auto est sommée d’un habitacle haut comme si un képissier l’avait dessinée. D’ailleurs, l’effet d’enveloppe de la partie inférieure, en quasi carène, vient aussi de l’arche de roue arrière réduite à un fin décrochement. L’aile arrière, la partie tôlée la plus vaste de l’élévation de l’auto, énonce la fonction polyvalente de la R16. La malle intégrée est ouverte par le vitrage sur trois côtés puisque le pavillon la coiffe et l’associe à l’habitabilité générale. Visuellement, le dessin saisit ce paradoxe de l’incorporation et de l’autonomisation visuelle. La singularité contradictoire de la R16 repose sur ce brancard tiré depuis le montant arrière débordant sur le pavillon. La R16 n’a donc pas de gouttière et l’ensemble toit-porte arrière est cantonné entre ces montants jusqu’à la ceinture de caisse.
L’effet de malle est apporté par le méplat entre la lunette arrière et le pan de tôle de la porte. En fin de compte, le dessin de la R16 affecte une règle de trois. Trois vitres latérales, trois parties dans cette berline pourtant bicorps avec la partie avant, l’habitacle et l’affirmation très nette par le panneau de carrosserie. Trois plans latéraux superposés, les deux de la caisse de part et d’autre part du pli et la verrière et, sur le plan horizontal, les trois parties engendrées par la symétrie axiale du bandeau central. Même la porte arrière est en trois parties. En fait, la malle ouverte est la cause de ce dessin tendu et du pavillon coiffé en attique. Il fallait bien compenser la rigidité perdue par cette béance et le tableau inférieur arrière seconde cette fonction. Aussi, la praticité voulue de la R16 est altérée par un seuil de chargement élevé. Malgré sa modularité intérieure, la R16 n’a rien d’une bête de somme. Et pourtant, s’il fallait continuer d’animaliser l’auto, la longueur des barres de torsion arrière a engendré la singularité lui donnant l’impression de marcher à l’amble. 70 mm distinguent l’empattement droit (2 650 mm) du gauche (2 720 mm).
Trois générations techniques de R16 n’ont pas altéré le dessin initial
La R16 des origines, commercialisée à partir de juin 1965, était proposée en version Grand Luxe et Super, désignations déjà désuètes, façon années 50 ou 4L à vitre arrière mobile. Son nouveau moteur, à bloc et culasse en aluminium fabriqué à l’usine de Cléon près de Rouen, cube 1 470 cm3 (76×81) ; il tourne sur un vilebrequin à cinq paliers et arbre à cames latéral. Il sort 55 ch à 5 000 tr./min et un couple de 10,65 mkg à 2 800 tr/min, c’est peu et suffisant pour un poids sous la tonne à vide. Au Salon de Genève, en mars 1968, la R16 gagne en pertinence technique avec la TS au moteur porté à 1 565 cm3 et 85 ch par le truchement de chambres de combustion hémisphériques, de soupapes en V et d’un carburateur double corps. La TS est secondée en 1969 par la TA, dotée du même moteur et d’une boîte automatique française à trois rapports et à gestion électronique.
La TA disparaît pour le millésime 1971 mais la boîte devient une option adaptable aux différents modèles, sauf le plus humble. En 1969 et 1970, la belle R16 est une TS au tableau de bord façon sport et aux cadrans ronds, aux lève-vitres avant et toit ouvrant é