Renault Estafette : le messager de la route
C’est en allant voir la dernière acquisition d’un ami que m’est venue l’idée de vous parler de l’Estafette. Je me rappelais alors de celle carrossée en marchand de glaces installé dans la zone commerciale de la route de la Charité à Saint Germain du Puy (près de Bourges). La dernière fois que je l’ai vu, c’était sur Leboncoin… J’avais quelque peu hésité à m’offrir cette madeleine de Proust mais mes moyens ne me le permettaient pas…
Mais trêve de souvenirs et parlons de l’Histoire, la grande, du moins celle de l’Estafette : vers 1952, les services commerciaux observent, en se basant sur les nouvelles attentes de la clientèle, le fait qu’il y a une place pour un véhicule s’intercalant entre la Juvaquatre fourgonnette de 300kg et le fameux « 1000 kg » pouvant d’ailleurs aller jusqu’à 1400kg.
Il existe bien un tel véhicule dans la gamme : la Colorale (lire aussi : Renault Colorale)… Mais plusieurs obstacles (moteurs anémiques, consommation élevé, tarifs dissuasifs…) en feront un véritable échec commercial. Et il faut dire aussi qu’il n’était pas non plus adapté à un usage urbain.
C’est donc dès l’année suivante que le bureau d’études commence à plancher sur un nouvel utilitaire. On pense alors à reprendre le principe du tout-à-l’arrière de la 4CV et de la future Dauphine. Dans cette optique, Fernand Picard, directeur du BE, fait démonté un exemplaire du fameux VW Combi ainsi qu’une autre camionnette d’origine allemande, un Gutbrod Kleinlastwagen « Heck 504 » (à vos souhaits !!!) afin d’étudier leurs constructions.
Mais si outre-Rhin ces constructeurs y parviennent, c’est grâce à l’utilisation de 4 cylindres à plat et au prix d’une volume utile bridé par cette disposition.
Un tout jeune ingénieur du nom de Guy Grosset-Grange propose une solution radicale : et si on adoptait sur le futur utilitaire la traction avant ? Un principe déjà appliqué par les concurrents français, Peugeot avec le D3/D4 conçu initialement par Chenard & Walcker (lire aussi : Peugeot D3/D4) et surtout Citroën avec le fameux Type H qui posa les bases de l’utilitaire moderne pour longtemps (lire aussi : Citroën Type H).
Fernand Picard, rétif à cette solution et aux idées bien arrêtées, s’occupera d’autres projets en cours et le nouveau PDG de la Régie Pierre Dreyfus donnera quasi carte blanche à Grosset-Grange. Avec toutefois un impératif : reprendre un maximum d’éléments de la future Dauphine.
C’est en septembre 1959 qu’est présenté l’Estafette avec d’emblée une gamme complète déclinée en cinq versions : fourgon de 600kg de charge utile, fourgon surélevé (de 28cm), pick-up bâché, Microcar 9 places et Zone Bleue (dû à une législation du stationnement qui interdit la présence d’utilitaires de plus 500 kg de charge utile en ville). On peut y rajouter les carrosseries spécifiques destinées à certains professionnels : magasins, ateliers, ambulances, camping-cars, etc…
L’originalité de l’Estafette, c’est aussi son nuancier constitué de couleurs vives qui changent des sempiternels gris de ces concurrents. On retrouvera alors dès ses débuts sa ligne quelque peu joufflue (changeant des « cubes à roulettes ») en jaune, orange ou bleu.
Mais son atout principal, c’est son volume utile de 6,1 m3 utilisable sur une surface de chargement de 3,8 m2. On accède à ce volume à l’arrière par trois portes pouvant servir de comptoir pour les petits commerçants desservants les campagnes les plus reculées. Sur le côté droit, on trouve une porte latérale coulissante très utile pour les livraisons. Même que la porte conducteur est coulissante sur les fourgons.
Pour ce qui est du moteur, on retrouve le moteur trois paliers dit « Billancourt » de 845 cm3 et 32ch SAE à 4 350 tr/min équipant la Dauphine. En mai 1962, il cédera sa place au fameux « Cléon fonte » de type Sierra cinq paliers 1108cm3 emprunté aux R8 et Caravelle S. La charge utile passe alors à 800kg permis par le surplus de puissance (45ch SAE à 4 500 tr/min).
Entre temps est apparue une nouvelle version, l’Alouette, s’apparentant au Microcar mais dont les banquettes arrière ainsi que le siège passager sont totalement amovibles augmentant davantage sa polyvalence. Une version qui se fera connaitre dans une robe bleu marine…
En 1965, alors qu’apparait un nouveau venu, le Peugeot J7, une version allongée de 35cm et à la charge rehaussée à 1000kg ce qui reste bien en dessous des possibilités de ces concurrents (1600 et 1800kg). Du côté des moteurs aussi, l’Estafette avoue des faiblesses notamment l’absence de moteur Diesel (la chose a été étudié avec l’adaptation d’un Indénor repris de la 204, sans succès).
Pour remédier en partie à ce problème, Renault la dote en septembre 1968 d’une nouvelle déclinaison du Cléon fonte cubant 1 289 cm3 pour 43ch SAE à 4500 tr/min. Ce gain de puissance stimule les ventes qui passent les 20.000 exemplaires annuels dans l’Hexagone et 10.000 environ à l’export.
Dans les années 70, c’est surtout l’esthétique qui sera remise à niveau : pare-chocs plus enveloppants en 1969, nouvelle éclairage avant plus moderne en 1971 puis calandre en tôle ajourée remplaçant la grille des débuts en 1973. Ça ne l’empêchera pas toutefois d’être dépassé en termes de ventes par le J7 au milieu de la décennie.
Au total, ce sont 533.113 unités qui sortiront des chaînes de Billancourt jusqu’en 1980, seule usine à l’avoir construit, bien que quelques exemplaires furent montées en Roumanie sous forme de CKD par Dacia (lire aussi : Dacia D6). Il sera remplacé dès septembre 1980 par le Trafic premier du nom (lire aussi : Renault Trafic).
Aujourd’hui, l’Estafette ne court plus les rues ou les marchés, elle qui en foisonnait il y a encore quelques années. Mais il n’est pas rare d’en trouver en annonces !!!! Alors, pour changer des sempiternelles Type H ou Combi, laissez-vous tenter…
Texte : Quentin Roux.