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Quand Citroën avait de la suite dans les ID

Par Nicolas Fourny - 15/07/2020

Nombreux sont ceux qui se souviennent du Salon de l’Auto de 1955 — surtout lorsqu’ils n’étaient pas encore nés, à l’instar de votre humble serviteur. Tout a probablement déjà été raconté sur ces fiévreuses journées d’automne au cours desquelles la DS 19, sous les voûtes lumineuses du Grand Palais, s’est dévoilée devant un public souvent conquis, parfois rébarbatif, mais toujours stupéfié par l’audace dont le Quai de Javel avait fait preuve en osant concevoir puis industrialiser une machine aussi avant-gardiste. Tellement avant-gardiste, d’ailleurs, et si peu au point, qu’il fallut développer une variante moins sophistiquée, moins coûteuse et aussi, il faut bien le dire, plus facile à appréhender pour le conducteur moyen. C’est ainsi qu’exactement un an plus tard, en octobre 1956, dans une atmosphère nettement moins festive, apparut l’ID qui, très éloignée du sous-produit auquel on l’assimile trop facilement, apparaît au contraire comme une création décisive, qui joua un rôle-clé dans les deux décennies qui suivirent. Voici son histoire…

La révolution et ses déboires

Lorsque, alors que ce siècle balbutiait encore, le groupe PSA a cherché un nom pour désigner sa nouvelle marque premium, ses responsables n’ont pas retenu celui d’ID Automobiles. Chacun aura compris pourquoi : « DS », c’est mythique, c’est célèbre, ça parle à l’imaginaire d’un peu tout le monde, même à celui de gens qui se contrefichent de l’automobile. L’ID, en revanche, c’est un peu l’une de ces cousines de province humbles et déshéritées, vouées à une austérité contrainte et condamnées par leur naissance à une stricte économie de moyens. Et pourtant, il n’est pas exagéré d’affirmer que, si la DS n’avait pas reçu le renfort de ce dérivé inattendu, sa carrière aurait été vraisemblablement moins brillante et peut-être moins durable (il n’y a qu’à examiner les chiffres de production pour s’en convaincre). L’ID, dont les multiples simplifications furent accueillies avec un certain soulagement, à la fois par une clientèle incapable d’assumer les prétentions financières de sa sœur de gamme (la DS 19 était tout de même tarifée 930 000 anciens francs début 1956, contre seulement 623 000 A.F. pour une 11 BL encore en production !) et par des professionnels de la route (chauffeurs de taxi ou voyageurs de commerce) avant tout désireux de disposer d’une voiture fiable et ennemie des caprices en général liés au système hydraulique dû au génial Paul Magès, tomba à point nommé pour éviter de voir s’enfuir, par exemple chez Peugeot, des bataillons entiers de citroënistes échaudés.

Bien sûr, de nos jours, nous accordons tous à la DS le respect qu’elle mérite, pour des raisons qu’il est inutile de rappeler. Pour autant, et jusqu’en 1958 environ, le manque chronique de fiabilité de l’engin fut de nature à susciter davantage de colère que d’admiration de la part de ses premiers propriétaires, auxquels la maison Citroën avait, une fois de plus, assigné le rôle peu enviable d’essuyeurs de plâtres… Il faut dire que l’équipe emmenée par André Lefebvre n’y était pas allée de main morte, avec cette centrale hydraulique qui commandait à la fois la suspension, la direction assistée — strictement inconnue jusqu’alors dans la production française —, les freins et la transmission, dont le fonctionnement s’avérait fort éloigné de celui de la primitive boîte mécanique trois vitesses de la Traction…

Dans ces conditions, la conduite de la DS correspondait à une expérience absolument inédite, tout comme l’étaient d’ailleurs les nombreuses pannes qui affectèrent les premiers exemplaires tombés de chaîne. À cet égard, nous conseillons vivement la lecture du passionnant ouvrage de Roger Brioult consacré à l’histoire du bureau d’études Citroën. Dans l’un de ces deux tomes récemment réédités, l’auteur, qui connaissait intimement son sujet, narre dans leurs moindres détails les déboires qu’il a eu l’occasion d’affronter, alors qu’il avait pris possession de sa voiture dans les premiers jours de 1956. Tous les acquéreurs n’étant pas disposés à faire preuve de la même indulgence que celle de Brioult, et les tractionnistes invétérés étant souvent rebutés — pour ne pas dire carrément effrayés — par le futurisme de la nouvelle venue, Citroën eut donc, comme souvent, une brillante ID…

De la simplicité à l’ascétisme

Présentée, on l’a vu, pour le millésime 1957, l’ID 19 reprenait la silhouette générale de la DS, son schéma structurel et l’essentiel de ses principes de fonctionnement. La suspension hydropneumatique était toujours de la partie ; en revanche, les freins comme la direction se voyaient privés d’assistance, la boîte « hydro » avait fait place à une très classique unité mécanique à quatre rapports, l’élégante planche de bord s’était vue remplacée par un mobilier aux formes indéniablement moins novatrices tandis que, sous le capot, le moteur, toujours basé sur le robuste quatre cylindres dessiné par Maurice Sainturat pour la première « 7 A » de 1934, présentait en particulier une culasse différente de celle de la DS. Résultat : neuf chevaux de perdus (66 au total) et une vitesse de pointe ramenée aux alentours des 135 km/h, avec des accélérations dont la décence nous interdit de préciser la teneur…

Au vrai, les clients potentiels de l’ID — à l’instar des fans de la Simca Ariane ou, quelques années plus tard, de la 403 « Sept » — se fichaient éperdument de la notion de performance. Accessible à partir de 925 000 francs à son lancement (la DS étant alors facturée 1 065 000 A.F.), la familiale aux chevrons, quoique toujours moins abordable que ses concurrentes, recelait des vertus essentielles, notamment en termes de confort et d’habitabilité, sans parler de qualités routières qui renvoyaient la totalité de ses rivales à l’époque néanderthalienne. Naturellement, il ne fallait pas nourrir de trop grandes exigences en matière d’équipement, pour les deux finitions les moins onéreuses tout du moins.

Dès sa commercialisation effective, au printemps de 1957, l’ID fut proposée en versions « Luxe » et « Confort ». Si cette dernière était correctement dotée, avec un équipement qui s’efforçait de la rapprocher de la DS, la « Luxe » (appellation involontairement sarcastique) se signalait par un ensemble de régressions techniques et de carences esthétiques qui n’incitaient pas à la rigolade. Dépourvue d’enjoliveurs de roues, de chromes, de lave-glace, de montre et d’accoudoirs de portières, la voiture se singularisait également par son toit translucide démuni de tout garnissage et par ses sièges avant aux dossiers fixes. Ce n’étaient toutefois que des zakouskis en comparaison du dépouillement quasiment obscène de l’lD « Normale » apparue au début de 1958 ; doté d’un moteur à la puissance encore plus modeste que les deux autres (récupéré sur les Traction 11 D apparues en 1955), ce modèle à l’atmosphère sinistre repoussait encore les limites de l’indigence. Affublée d’une banquette rudimentaire à l’avant, la voiture se voyait privée de tout cendrier, ne comportait qu’un seul pare-soleil et allait jusqu’à imposer des vitres arrière non descendantes à des acheteurs qui, comme on pouvait s’y attendre, ne se précipitèrent pas pour signer un bon de commande : d’après l’ouvrage de référence d’Olivier de Serres, Le Grand Livre de la DS (éditions E.P.A.), seuls 390 exemplaires trouvèrent preneur jusqu’en 1960…

Et si on faisait un break ?

Fort heureusement, la carrière de l’ID ne se borna pas à ces prolégomènes peu réjouissants et, jusqu’en 1969 (date à laquelle l’appellation « ID » disparut en tant que telle, au profit des D Spécial et D Super, dans l’un de ces jeux de mots typiques de la firme) comme après cette date, l’auto connut des évolutions aussi nombreuses que celles de la DS, rendant particulièrement complexe la tâche de l’historien lorsqu’il s’agit d’en établir le détail. Dans les grandes lignes, il est intéressant de noter qu’au fil des ans l’ID se rapprocha progressivement de la DS, renonçant peu à peu à son dénuement initial comme à sa timidité mécanique, bénéficiant, souvent avec un temps de retard, de moteurs de plus en plus puissants. Semblablement, les deux autos reçurent de concert les deux restylages successifs des années-modèles 1963 puis 1968.

Par ailleurs, les breaks présentés au Salon de Paris 1958 — et commercialisés un an après —, improprement désignés comme des DS par bon nombre de connaisseurs approximatifs, appartiennent tous à la famille des ID, y compris ceux qui, à partir de 1970, ont reçu des logos « DS 20 » , « DS 21 » ou « DS 23 », tout en demeurant rattachés à la gamme ID sur leur carte grise. De la sorte, éloignant l’auto d’une vocation strictement utilitariste, Citroën a inventé, bien avant tout le monde, le break familial « hautes performances », bien que le moteur 23 n’ait jamais été disponible sur les breaks dans sa version à injection. Longtemps ignorés par les collectionneurs, critiqués jusque dans la presse spécialisée pour une esthétique soi-disant moins « pure » que celle des berlines, très appréciés des antiquaires et des brocanteurs qui ont continué à les utiliser bien après la fin de leur production, les breaks ont fini par obtenir leur revanche et attirent désormais les faveurs du marché, faisant de plus en plus souvent l’objet de restaurations de haut vol.

Une légende peut en cacher une autre

Les collectionneurs d’aujourd’hui auraient tort de considérer l’ID comme un second choix destiné aux malheureux dont le budget est devenu incompatible avec la cote des DS. En dehors des breaks, la gamme ID recèle en effet plusieurs versions plus ou moins exotiques et à peu près introuvables à l’heure actuelle. Il en va ainsi de la « Normale » évoquée plus haut, à réserver aux jansénistes de stricte obédience, et aussi de la « Voiture de maître », curieux équivalent de la DS Prestige construit de 1959 à 1961 et nanti d’une séparation chauffeur qui constitue sa principale attraction. De surcroît et contre toute attente, l’ID, pourtant censée incarner un modèle d’accès à la gamme des grandes Citroën, a connu un dérivé cabriolet, produit à 111 exemplaires de 1961 à 1965.

La DSuper remplace l’ID

Évidemment, la plupart des amateurs, par goût ou par obligation, se tourneront vers des moutures à la fois plus répandues et plus adaptées à un usage fréquent, n’en déplaise aux imbéciles qui souhaiteraient interdire la circulation des automobiles anciennes… À cette aune, la D Super 5 (1972-1975) constitue sans aucun doute le compromis le plus alléchant de l’ensemble de la gamme « D ». Animée par le 2 175 cm3 de 109 chevaux des DS 21 à carburateur et équipée — comme son nom l’indique — d’une boîte à cinq rapports, elle propose un syncrétisme attrayant, avec un niveau de performances adapté à la circulation de 2020 et une ambiance de bord qui, si elle ne peut rivaliser avec le luxe d’une Pallas, restitue fidèlement tout ce que le passionné d’ « Hydroën » est susceptible d’espérer. De leur côté, les premières versions séduiront en priorité les âmes férues de rareté et d’austérité cistercienne. La meilleure solution, c’est peut-être de posséder les deux extrêmes et de passer ensuite de longs et palpitants moments à inventorier les innombrables différences qui séparent une ID 19 « Confort » de 1958 et une D Spécial de 1974… Si cette voiture, dont bien des charmes restent à découvrir, vous attire, c’est en tout cas tout le bonheur que nous vous souhaitons !

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