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Peugeot 604 limousine Heuliez : l'inaccessible gloire

Par Nicolas Fourny - 18/11/2023

« Le luxe est bien présent, car il n’est plus question ici d’une production robotisée et standardisée mais d’une réalisation en grande partie assurée à la demande, par des tôliers, des selliers et des ébénistes amoureux de leur travail »

Beaucoup de gens pensent, à tort, que la 604 n’a existé qu’en berline. Pourtant, d’autres carrosseries ont vu le jour, de façon plus ou moins confidentielle — on songe au break Pichon-Parat ou au landaulet Chapron, réalisés l’un et l’autre à deux exemplaires. En comparaison, la grosse centaine de limousines construites par Heuliez feraient presque figure de véhicules de grande diffusion mais, à la vérité et toutes proportions gardées, ces Peugeot version stretch limo n’auront pas connu davantage de succès que leur matrice, en dépit des efforts non négligeables consentis par le carrossier pour en accroître le raffinement. Souffrant des mêmes déficiences fondamentales que la berline et malgré le soutien commercial de Peugeot, la 604 « HLZ » n’a pas connu le destin qu’elle méritait. Comme trop souvent chez les constructeurs français, la marche à gravir était sans doute trop haute mais le temps a fait son œuvre et, sous le regard du collectionneur d’aujourd’hui, l’auto recèle un charme très particulier, qui ne tient pas seulement à son extrême rareté…

L’amour, c’est comme une cigarette

Lorsque la 604 fait sa première apparition publique, au Salon de Genève de 1975, son constructeur ne dissimule pas ses ambitions. Peu s’en souviennent aujourd’hui, mais l’auto bénéficie d’un lancement rien moins que fastueux, comportant entre autres une importante campagne de promotion et du soutien d’artistes comme Sylvie Vartan ou Jean Topart. Véhicule de conquête (il n’a pas de prédécesseur dans la gamme), le modèle est très attendu ; il s’agit en effet de la toute première Peugeot à moteur six-cylindres depuis l’avant-guerre. La 604 incarne de surcroît l’aboutissement d’une gamme qui, depuis la 203 de 1948, a progressé pas à pas en accompagnant la croissance issue des Trente Glorieuses — et, corrélativement, l’ascension sociale très progressive d’une clientèle certes conservatrice mais ne dédaignant pas d’afficher sa réussite matérielle. Présentée plus ou moins officieusement comme une sorte de « Mercedes à la française », le nouveau haut de gamme franc-comtois va cependant très vite décevoir ceux qui auront délaissé leur berline allemande à son profit. Initialement conçue comme une remplaçante de la 504, la grande Peugeot souffre de plusieurs insuffisances dues à la pusillanimité ou à la pingrerie de ses concepteurs ; ainsi, la finition quelconque et les prestations discutables du V6 PRV — qu’elle partage avec la Renault 30 et la Volvo 264 —, aussi soiffard que peu performant, ne permettent pas à la 604 de jouer de façon crédible dans le jardin de Munich ou Stuttgart.

Naissance d’une malédiction

Bien sûr, la maison sérieuse qu’est Peugeot n’en reste pas là et s’efforce de corriger le tir. De la sorte, dès l’automne de 1977, l’arrivée d’une injection Bosch K-Jetronic et d’une boîte cinq vitesses — qui auraient dû être proposées dès l’abord — améliorent significativement les performances, le bilan énergétique et l’agrément d’utilisation de la nouvelle 604 Ti, les mécaniciens capables de synchroniser les carburateurs de la version SL pouvant se compter sur les doigts de la main gauche du baron Empain, par ailleurs fidèle client de la marque. Mais en haut de gamme, certaines erreurs sont impardonnables au yeux d’une clientèle singulièrement exigeante et aux yeux de laquelle un prix de vente plus compétitif que celui d’une BMW série 5 ne constitue pas forcément un argument décisif. Très tôt donc, la messe est dite pour la malheureuse Peugeot qui, dès lors, ne va plus faire que de la figuration sur le catalogue de Sochaux, les ventes devenant très vite anecdotiques (environ 15000 exemplaires par an en moyenne). Pourtant, le modèle n’a pas que des défauts et son design, certes très classique mais statutaire, suscite les vocations ; de la sorte, si le Lion n’a pas prévu d’étendre la gamme 604 au-delà de la berline, le dynamique carrossier Heuliez décide pour sa part de s’y attaquer dès 1976 en élaborant une limousine sur cette base.

On n’avait pas de pétrole, mais on avait du cuir

À cette époque, l’offre en matière de grandes berlines françaises à châssis long se résume à la Citroën CX Prestige, certes allongée et rehaussée par rapport à sa matrice, mais dans des proportions somme toute mesurées. S’agissant de la 604, le projet Heuliez s’avère sensiblement plus ambitieux car la longueur de l’auto progresse au maximum de 62 centimètres, exclusivement dévolus à l’empattement, pour atteindre désormais 5,34 mètres — c’est-à-dire presque exactement la même valeur que la Mercedes série 123 en version Lang ; est-ce un hasard ? Deux autres variantes sont étudiées, avec un empattement accru de 17 et 25 centimètres ; elles ne verront pas le jour. Dévoilée sur le stand Heuliez au Salon de Paris 1978, la 604 « HLZ » définitive n’est commercialisée que deux ans plus tard, par le truchement du réseau Peugeot, moyennant un supplément de 43000 francs, hors taxes et hors options (et comme on va le voir, celles-ci sont nombreuses) —une 604 Ti neuve coûte alors 73500 francs. La voiture reprend à l’identique les motorisations proposées à ce moment-là ; le client peut choisir entre le V6 PRV des Ti/STi, développant 144 chevaux, et le quatre-cylindres Diesel Indenor de la SRD turbo, dont les 80 chevaux ne semblent guère adaptés au gabarit ni au poids de la voiture et (mais après tout la Mercedes 240 D, encore moins puissante, existe elle aussi en châssis long). La firme de Cerisay n’a pas lésiné sur les possibilités d’aménagement : l’on peut ainsi obtenir un habitacle à quatre, cinq, six, sept ou huit places, l’air conditionné, diverses boiseries, un correcteur d’assiette, un toit ouvrant à l’arrière, un intérieur entièrement revêtu de cuir, un capitonnage du pavillon, une séparation chauffeur ou bien un radiotéléphone.

Nous nous vîmes quarante en arrivant au port

Censément disponible en version Taxi, la limousine 604 ne parviendra toutefois pas à convaincre les professionnels du secteur, sans doute en raison d’un tarif élevé et de son encombrement considéré comme hors normes (les temps changent : rappelons à toutes fins utiles qu’à l’heure actuelle, la Mercedes Classe V Extralang, que l’on rencontre souvent dans les aéroports ou devant les grands hôtels parisiens, atteint 5,37 mètres…). Heuliez et Peugeot ne peuvent donc réellement cibler qu’une clientèle de prestige et conséquemment restreinte : la haute administration, les ambassades, les compagnies de grande remise et quelques personnalités comme Philippe Bouvard — dont la limousine, aménagée en bureau mobile, est aujourd’hui visible au Musée de l’Aventure Peugeot — vont assurer l’essentiel des ventes. Extrêmement confortable, l’auto bénéficie d’une réalisation soignée, qui fleure bon l’artisanat à certains égards. Dans les brochures réalisées à l’époque et diffusées très parcimonieusement par les concessionnaires Peugeot, les mises en scène exsudent un luxe de bon aloi, lui aussi « à la française », pour reprendre une formule chère à Franck Galiègue. Mais rien n’y a fait : alors que les deux associés envisageaient, courant 1978, une production de 200 à 300 exemplaires par an, seules 124 limousines sont sorties des ateliers de Heuliez jusqu’à l’été de 1984, selon les données récupérées par le club 604 International, qui estime le nombre de survivantes à une quarantaine — à Cerisay, la Renault 25 pareillement gréée tentera ensuite sa chance, mais l’échec sera encore plus cuisant…

De la roture à la noblesse

De nos jours, la 604 « HLZ » ne peut bien entendu attirer que les hurluberlus qui, tels l’auteur de ces lignes, sont susceptibles non seulement de tomber amoureux du modèle mais, au surplus, de traquer ses versions les plus rares — je songe par exemple à l’introuvable SR, réservée aux administrations et affublée du quatre-cylindres à essence de la 504… Moins mythique que les landaulets SM réalisés par Chapron pour la présidence de la République, moins recherchée que la CX Prestige, la limousine 604 me fascine pourtant davantage, pour des motifs peut-être insaisissables. À l’instar de la berline dont elle dérive, cette très attachante automobile ne se résume pas à la liste de ses carences ; avec une intrépidité dont Peugeot n’est plus capable depuis bien longtemps, elle s’est aventurée dans un territoire inconnu et rude, où l’indulgence n’existe pas, surtout lorsque l’on porte un logo trop populaire, du point de vue des esprits conformes, pour pouvoir orner la calandre d’une automobile de luxe — un luxe néanmoins bel et bien présent, car il n’est plus question ici d’une production robotisée et standardisée mais d’une réalisation en grande partie assurée à la demande, par des tôliers, des selliers et des ébénistes amoureux de leur travail. L’exception, c’est aussi cela et, comme une Ford Granada Coleman Milne « Grosvenor » ou une Rover 827 Regency, la 604 métamorphosée par Heuliez, si elle n’a pas su trouver sa clientèle, mérite au moins notre respect !





Texte : Nicolas Fourny / Photos : Pierre-Yves Etienney / Archives LP Deux-Sèvres auto-mémoire

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