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Peugeot 306 cabriolet : belle du Seigneur
Nicolas Fourny - 19 août 2022Pour les amateurs de Peugeot, la seconde moitié des années 1990 aura indéniablement été une séquence heureuse. À ce moment-là, au cœur d’une gamme bien plus étendue qu’aujourd’hui, la firme sochalienne proposait un coupé (vous avez reconnu la 406) et un cabriolet parmi les plus gracieux des constructeurs généralistes. C’est à ce dernier que nous nous intéressons aujourd’hui ; une fois privée de son toit, l’honnête berline compacte qu’était la 306 s’était muée en une authentique créature de rêve dont même les défauts participaient au charme. « Quand on la voit on la veut », tel était, en 1994, le slogan de la campagne publicitaire de lancement du modèle — et, pour une fois, l’argumentaire n’était pas excessif dans sa formulation. Difficile, en effet, de résister à ce vocabulaire esthétique empreint tout à la fois de classicisme et de modernité, et qui, de surcroît, ne s’exprimait pas au détriment d’une réelle polyvalence d’usage, laquelle, aujourd’hui encore, fait de cette auto un daily driver plus que recommandable…
La star et le canard boiteux
À la fin des années 1980, le bas de la gamme Peugeot frappait les observateurs par son hétérogénéité. D’un côté, une 205au design très inspiré et au durable succès, arborant plusieurs visages avec autant de talent que d’impavidité, de la citadine dépouillée à la GTi, de la fourgonnette à la décapotable ; de l’autre, une 309 mal fagotée, en déficit de légitimité et qui n’était jamais parvenue à jouer autre chose que les seconds rôles dans son segment de marché. C’est en grande partie à celle-ci que la 306 devait succéder lors de son apparition au milieu de l’hiver de 1993, dans le cadre d’une stratégie discutable qui chargeait également la nouvelle venue de prendre le relais des 205 les mieux motorisées — tandis que revenait à la 106 le soin de remplacer les plus modestes d’entre elles. C’est ce qui explique l’étendue du catalogue 306, qui aura connu un nombre de déclinaisons inhabituel chez Peugeot ; aux coaches deux volumes à 3 et 5 portes des débuts s’ajoutèrent ensuite une berline à coffre, un break et, surtout, un cabriolet censé assurer la relève de la 205 équivalente, mais en s’appuyant sur de tout autres arguments. Pour sa seconde incursion dans la catégorie la plus concurrentielle en Europe, dominée comme chacun sait par la VW Golf et où s’ébattaient alors les Renault 19, Opel Astra, Ford Escort ou Rover 200/400, le Lion affichait des ambitions sans rapport avec celles de feue la 309 qui, jusqu’à l’empirisme de son matricule, ressemblait à un accident de l’histoire.
La très désirable 306 Cabriolet en phase 1 et version Roland GarrosLes bourgeois, ce sont les autres
Si la 309 avait beaucoup souffert de se trouver bâtie sur une plateforme de 205 plus ou moins bricolée, la 306, quant à elle, fut élaborée à partir des études réalisées pour la ZX présentée en 1991 et dont les qualités routières avaient été unanimement saluées. On retrouvait donc une architecture déjà connue — traction à moteur transversal, cela allait de soi — associée à un essieu arrière autodirectionnel qui avait fait couler beaucoup d’encre à la suite des premiers essais de la Citroën. De la sorte, la 306 allait se caractériser par un toucher de route typiquement Peugeot, conjuguant une très bonne stabilité en ligne droite à une réjouissante vivacité sur les itinéraires sinueux, demandant d’ailleurs de solides compétences à ceux qui souhaitaient emmener l’engin jusqu’à ses limites, le survirage, c’est bien connu, n’étant efficient que s’il demeure sous le contrôle du conducteur…
La 306 Cabriolet disposait d’une capote en toile, mais aussi d’un hard top en option.Bien entendu, de telles préoccupations ne concernaient réellement que les acheteurs des versions de pointe, baptisées XSi et S16, lesquels se montrèrent plutôt déçus par les aptitudes de la nouvelle venue, surtout lorsqu’ils avaient pratiqué les 309 GTi et GTi 16, aussi légères et sportives que les 306 « dynamiques » pouvaient sembler assagies et pratiquement « éteintes » lorsqu’on considérait leurs aptitudes mécaniques. Dame ! on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre et les améliorations constatées d’un modèle à l’autre en termes de qualité de fabrication et de finition s’avéraient directement responsables d’un sensible accroissement du poids. Là où les 309 les plus lourdes dépassaient à peine la tonne, la 306 pouvait allègrement atteindre les 1 300 kilos, rançon de ce que les uns considérèrent comme un progrès et les autres comme un regrettable embourgeoisement. Repère totémique de cette mutation, le meuble de bord monobloc, œuvre de Pininfarina — le design extérieur étant dû, pour sa part, à l’équipe de Gérard Welter —, avec sa console centrale suspendue, témoignait d’une véritable recherche en termes de style, à côté de laquelle l’habitacle de la 309 paraissait d’autant plus lugubre et bâclé.
Elle vous rendra gai comme un Italien…
À cette époque, les cabriolets du segment C n’étaient pas rares, en un saisissant contraste avec la situation actuelle. VW, Ford, Opel, Rover, Renault et même Lada, avec l’exotique Natacha, se disputaient un marché certes restreint en volume, mais très bénéfique en termes d’image et, dès l’abord, les responsables du projet avaient prévu d’intégrer une version décapotable à la gamme. Selon une tradition remontant aux 404 de 1961, c’est Pininfarina qui s’était chargé du dessin de l’auto, le carrossier turinois assurant semblablement une partie de son industrialisation. Les éléments spécifiques au cabriolet 306 étaient donc produits de l’autre côté des Alpes, l’usine de Poissy procédant ensuite à l’assemblage final par le montage de la mécanique et des composants communs aux berlines, selon un processus très comparable à celui qui avait été mis en place huit ans plus tôt, lors du lancement de la 205 cabriolet.
C’est toutefois là que s’arrêtait la comparaison entre les deux modèles : à la citadine basique, à la capote proéminente en position ouverte et affublée d’un arceau de sécurité aussi disgracieux qu’indispensable, compte tenu de la rigidité très approximative de la caisse d’origine, succéda une compacte à coffre apparent d’une grande pureté de lignes. L’arceau avait été jeté aux orties et la capote disparaissait très élégamment sous un couvercle métallique qui rappelait les meilleures réalisations germaniques en la matière. Il suffit de comparer ce profil aérien, dépouillé et magistral aux laborieux décapsulages que proposait la concurrence pour en éprouver la séduction —laquelle, un quart de siècle plus tard, a particulièrement bien vieilli. On traquerait en vain la moindre faute de goût dans ce dessin dont l’insolente simplicité contraste violemment avec le style « origami » qui caractérise bon nombre de réalisations contemporaines : sur la 306, les plis de tôle servent l’harmonie de l’ensemble ; ils la structurent en silence, définissent une grammaire subtile et dont l’équilibre aimante le regard.
La Phase 2 eut aussi droit à une version Roland Garros.… quand il sait qu’il aura de l’amour et du vin
En définitive, le cabriolet 306 incarne une sorte d’antithèse absolue de la Golf éponyme, renouvelée l’année précédente sur la base de la troisième génération du modèle. À la rigueur luthérienne de l’allemande — capote triple épaisseur, lunette arrière en verre, finition de haut vol, physionomie massive et rassurante — la Peugeot opposait une quête éperdue de charme et de joie de vivre qui, malheureusement, se payait cash à certains égards. La minceur de la toile retenue par le tandem franco-italien jouait très probablement un rôle essentiel dans la beauté du profil de la voiture (y compris lorsqu’elle était capotée) mais elle se traduisait par un niveau sonore bien trop élevé dès l’on dépassait les 100 km/h. De plus, comme Jean-Jacques Cornaert l’avait noté dans son essai publié dans le Moniteur Automobile en mars 1994, le compromis de suspension avait fait l’objet de modifications rendues nécessaires par la moindre rigidité de la coque, mais qui aboutissaient à un comportement sensiblement moins satisfaisant que sur les berlines identiquement motorisées, sans parler de performances en recul en raison d’une masse en nette augmentation, renforts structurels obligent.
Pour autant, la conduite du modèle n’avait rien d’une punition (et c’est toujours vrai de nos jours). Initialement proposée en deux motorisations — à essence uniquement, n’est-ce pas — de 103 et 123 chevaux, la plus récréative des 306 n’aura jamais bénéficié des moteurs les plus puissants de la série, et c’est fort bien ainsi. Il s’agit là d’une 2+2 à vocation plus ou moins familiale, en aucun cas d’un roadster dédié à la performance et, à compétences de conduite équivalentes, la version 2 litres, qu’elle soit à huit ou seize soupapes, sera strictement incapable de suivre le rythme d’une berline XSi sur n’importe quel itinéraire fertile en virages. Ce qui, au vrai, n’a aucune espèce d’importance : les bonheurs sensuels que peut vous prodiguer cette décapotable à la fois populaire et de grande classe ne se mesurent pas à l’aide d’un chronomètre, mais à l’ampleur de votre sourire à chaque fois que vous en prenez le volant.
Et si on se faisait une toile ?
Relisons Albert Cohen, à qui nous avons sans vergogne emprunté le titre de cet article : « Les autres mettent des semaines et des mois pour arriver à aimer, et à aimer peu, et il leur faut des entretiens et des goûts communs et des cristallisations. Moi, ce fut le temps d’un battement de paupières. » De fait, en sus du coup de foudre inévitable, nous nous trouvons possiblement en présence d’un compromis idéal, du moins pour qui apprécie la conduite cheveux au vent. Cette auto est suffisamment datée pour pouvoir receler les attraits d’un objet déjà un peu vintage ; suffisamment récente pour bénéficier de certains atouts de la modernité — et ne pas rouiller, ni se vautrer dans les délires électroniques dont la 307 fut si prodigue ; suffisamment bien motorisée pour n’être jamais ennuyeuse à conduire ; suffisamment confortable et logeable pour partir loin ; suffisamment fiable pour autoriser un usage quotidien ; suffisamment belle pour que jamais l’on ne s’en lasse.
Par-dessus le marché, sa maintenance n’est pas plus onéreuse que celle d’une 306 ordinaire et sa cote demeure très raisonnable : parmi les voitures proposées à la vente, il est rare d’observer des prix dépassant les 7000 euros. Produit à près de 80 000 exemplaires jusqu’en 2002, le modèle n’est pas rare mais bon nombre d’exemplaires ont hélas subi les affres d’un tuning pour décérébrés et, fort logiquement, ont fini à la poubelle ; comme toujours, ce sont les autos bien préservées et full stock qu’il faut privilégier, et en prenant votre temps, compte tenu de l’abondance de l’offre, qui comporte aussi un certain nombre de merguez trop cuites pour être honnêtes… Quand on retracera l’histoire longue mais tristement interrompue des cabriolets Peugeot, gageons que cette 306 capotée à l’ancienne et dont le pare-brise n’hésite pas à danser la samba (Poissy, encore et toujours…) pour tempérer votre enthousiasme prendra néanmoins l’avantage sur ses descendantes engourdies par l’encombrement de leurs toits de tôle et que la mode a vite ringardisées. C’est, incontestablement, le moment de craquer…
Texte : Nicolas Fourny