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Peugeot 205 Turbo 16 série 200 : miracle à Vélizy

Par Nicolas Fourny - 15/10/2023

« Il s’agit, en partant d’une feuille blanche, d’élaborer une machine élitiste mais dont la physionomie doit impérativement rappeler celle d’une voiture de grande diffusion, en dépit d’une architecture sans aucun rapport avec celle-ci »

L’image, c’est certainement le bien le plus précieux que peut posséder un constructeur automobile, du moins à partir du moment où il nourrit un minimum d’ambitions. Or, au tout début des années 1980, celle de Peugeot croulait sous la poussière et souffrait d’une gamme aussi ennuyeuse que rancie, constituée de voitures certes sérieusement conçues mais, pour la plupart d’entre elles, aussi excitantes qu’un bol d’eau tiède. Pourtant, et en dépit d’un contexte financier s’assombrissant de jour en jour, ce n’était rien moins qu’une révolution qui se préparait en coulisses ; la firme de Sochaux allait, en toute simplicité, jouer sa survie sur le lancement d’un seul modèle, connu en interne sous le nom de code M24 et que le grand public découvrit dans les premiers jours de 1983 sous l’appellation bientôt fameuse de 205 ! Longtemps détentrice du record de production de la marque, la talentueuse citadine a arboré de multiples visages au long de ses quinze années d’existence commerciale — et, parmi eux, celui de la Turbo 16 est sans doute le plus captivant…

Le Lion est (presque) mort ce soir

« La laideur se vend mal », affirmait Raymond Loewy. Il aurait pu ajouter que l’austérité n’est pas forcément non plus un gage de succès commercial, en particulier lorsqu’il s’agit de conquérir une clientèle urbaine, jeune et active. La 104, lancée la même année que la Renault 5, en aura fait la cruelle expérience ; malgré des prestations d’ensemble objectivement supérieures à celles de sa rivale, la petite Peugeot se vendra trois fois moins que la voiture de Billancourt. Les raisons de cette carrière en demi-teinte sont à chercher du côté du réseau, souvent moins dynamique que les concessionnaires au Losange, et puis, surtout, du design. Dessinée par Pininfarina selon un cahier des charges quasiment luthérien, de façon à ne pas effaroucher une clientèle souvent perçue comme traditionnaliste et peu encline à apprécier l’innovation, la malheureuse 104 ressemblait un peu à ces élèves consciencieuses et appliquées, complexées par un physique ordinaire et trop acharnées à bien faire pour se préoccuper de séduire. Toutefois, au moment de préparer la succession du modèle, certaines leçons semblèrent avoir été retenues par les dirigeants de Peugeot, qui acceptèrent de valider un projet dessiné en interne par Gérard Godfroy, sous la férule de Gérard Welter. Ce regain d’audace tomba à pic : plombé par une dette colossale, les coûts d’acquisition puis d’intégration de Chrysler Europe, le vieillissement de la gamme Peugeot et les difficultés récurrentes de Citroën, le groupe PSA frôla la faillite à l’automne de 1982 et il n’est pas excessif d’affirmer que la BX d’un côté et la 205 de l’autre auront littéralement sauvé la boutique !

Il va y avoir du sport

Présentée officiellement en février 1983, la 205 — dont les versions de série recyclent sans vergogne la plupart des composants de la 104, moteurs compris — apparaît très vite comme l’antithèse de sa devancière. Très joliment dessinée, pimpante et aguicheuse, l’auto remporte immédiatement un grand succès, faisant vieillir d’un coup une concurrence qui, en comparaison, semble terriblement datée, qu’il s’agisse de l’antédiluvienne R5, de la Citroën Visa ou de la VW Polo. Ce n’est pourtant qu’un début car, contrairement à la 104, le nouveau modèle va s’engager dans une diversification sans précédent chez Peugeot à ce niveau de gamme. Comme tout un chacun, les responsables du projet ont observé avec intérêt le triomphe durable de la Golf GTi et son impact sur l’image des Golf « civiles », tout comme, à un autre niveau, l’aventure échevelée de la Renault 5 Turbo, ingénieux bricolage aux forts relents d’artisanat. La 205 va, à sa manière, s’inspirer de ces deux concepts, mais en les améliorant de façon significative ; et, si la presse spécialisée comme le public s’attendaient bien à ce que la remplaçante de la 104 comporte une ou deux variantes à caractère sportif, le programme « M24 Rallye » va en revanche constituer une véritable surprise. La comparaison avec la Renault est inévitable dans l’esprit, sinon dans la lettre ; car les concepteurs de la future 205 de course vont bénéficier de moyens sans rapport avec ceux de Renault Sport qui, à la fin des années 1970, avait conçu la R5 Turbo en réutilisant un maximum de composants préexistants, dans le cadre d’une diversion inattendue par rapport au plan-produit de la Régie. Cependant, la démarche fondamentale est très semblable : dans les deux cas il s’est agi, en partant d’une feuille à peu près blanche, d’élaborer une machine élitiste mais dont la physionomie devait impérativement rappeler celle d’une voiture de grande diffusion, en dépit d’une architecture sans aucun rapport avec celle-ci !

Je ne suis pas celle que vous croyez

Car les exigences du marketing auront joué un rôle essentiel dans l’avènement de la 205 de course, dont la conception n’a cependant été validée par la direction générale de Peugeot, alors en grandes difficultés financières, que fin août 1982. L’objectif est ambitieux : sous l’égide de Jean Todt, à qui Jean Boillot a demandé de créer Peugeot-Talbot Sport (PTS) en octobre 1981, il n’est pas question de faire de la figuration mais bien d’aller chercher des victoires — et si possible le titre mondial — au sein du Groupe B que la Fédération Internationale du Sport Automobile (FISA) a créé début 1982 et dans lequel évoluent déjà les Audi quattro et Lancia 037. Il convient de noter que Todt et son équipe, basée à Vélizy-Villacoublay, disposent alors de ressources sans rapport avec celles que PSA accorde à Citroën Compétition, qui doit déployer des trésors d’ingéniosité pour parvenir à construire une machine de course sur la base de la Visa de série. Rien de tel chez Peugeot : avec sa transmission intégrale et, comme son nom l’indique, son moteur central arrière associant une culasse à quatre soupapes par cylindre à une suralimentation par turbocompresseur KKK,  la Turbo 16 ne doit pratiquement rien à la 205 de série, mis à part la silhouette générale (même si elle s’avère particulièrement torturée, avec un empattement plus long de douze centimètres) ou les blocs optiques avant et arrière ; ces détails sont primordiaux pour que le grand public associe intuitivement la « T16 » aux 205 du vulgum pecus qui, simultanément, envahissent les routes de France et d’Europe. De la sorte, même le conducteur d’une modeste version GL à moteur 954 cm3, dont la vitesse de pointe excède à peine les 130 km/h, pourra se sentir valorisé par les exploits de son (très) lointain dérivé qui, aux mains d’Ari Vatanen, de Bruno Saby ou de Timo Salonen, va remporter le championnat du monde des rallyes en 1985 et 1986…

Si c’est trop cher pour vous, achetez une 911

Néanmoins, PTS ne peut se contenter — si l’on ose dire — de développer une 205 exclusivement destinée à la course. Car le règlement de la FIA est formel : l’homologation en Groupe B impose à tous les constructeurs qui souhaitent y engager une voiture de produire un minimum de deux cents exemplaires d’icelle, à vocation routière, afin de les commercialiser au tout-venant. Si la question ne se pose pas pour Audi, dont la quattro de série est produite de façon tout à fait régulière, Lancia, Citroën ou Peugeot vont devoir adapter des voitures de compétition à un usage routier, ce qui n’est jamais une sinécure, comme vont le noter ceux qui, en premier lieu, vont en prendre le volant. Assemblée sur une ligne de production dédiée dans l’usine Talbot de Poissy sur la base de caisses préalablement fabriquées chez Heuliez, la Turbo 16 « série 200 » (ainsi nommée car le moteur des 200 unités prévues développe 200 chevaux tout rond) arrive sur le marché au printemps 1984, à un tarif tout bonnement délirant pour une 205, mais certainement plus acceptable pour une authentique voiture de rallye à peine civilisée pour la route ; de fait, les 290 000 francs exigés par Peugeot en échange de la voiture font couler beaucoup d’encre. Pour situer le contexte, une 205 GTi vaut alors 67 600 francs, une BMW 635 CSi coûte 283 260 francs, une Audi quattro se négocie contre 257 300 francs et une Porsche 911 Carrera 3.2 vous déleste de 265 649 francs. Depuis la guerre, jamais Peugeot n’a osé se risquer dans de tels parages mais, bien entendu, ces confrontations brutes ne sont que très indicatives, la Turbo 16 n’ayant pratiquement aucune concurrente qui lui soit réellement comparable ; la polyvalence d’usage de l’engin n’a par exemple rien à voir avec celle des modèles précités. L’auto n’a pas été pensée pour un usage quotidien ; en réalité, nous sommes en présence d’un « collector » — même si l’expression n’existe pas encore à l’époque —, dont on sait déjà qu’il ne roulera que très occasionnellement.

Inutilisable et fascinante

Et, à en croire André Costa, qui essaie la T16 « civile » pour l’Auto-Journal en avril 1984, c’est sans doute mieux ainsi ; car les conclusions du célèbre essayeur apparaissent plutôt mitigées. S’il salue les qualités routières exceptionnelles de la 205 ainsi gréée (« Parfaitement campée sur ses Michelin TRX […], la voiture fait preuve simultanément d’une sûreté de réactions et d’une aisance de conduite qui laissent pantois »), il critique sévèrement les chronos obtenus, effectivement décevants en regard de ceux d’une Renault 5 Turbo, pourtant moins puissante de 40 chevaux, cela sans parler du typage spécifique d’une mécanique inévitablement dégradée par rapport au « vrai » moteur — c’est-à-dire celui utilisé en course : « … puisque certains clients utiliseront vraisemblablement ce moteur tel que nous l’avons approché, il semble normal de le soumettre à un jugement sans complaisance, par exemple pour dénoncer l’important temps de réponse du turbo et ses régimes élevés de mise en action, tout particulièrement à pleine charge ». Pour autant, sa conclusion demeure positive : « … il serait vain de considérer la Turbo 16 comme une voiture raisonnable : elle constitue une remarquable carte de visite pour ceux qui l’ont conçue et tous ceux qui aiment conduire en rêveront, au moins une nuit durant. Ce n’est déjà pas si mal… ». À la différence de la BX 4TC, la Turbo 16 « de série » s’écoulera sans grandes difficultés et, quatre décennies plus tard, il y a déjà belle lurette que le marché a tranché : les rares exemplaires offerts à la vente ne tardent jamais à trouver preneur, y compris à des prix que nous mentionnerons d’autant plus volontiers que la décence nous incite à les passer sous silence ; en février 2021, Artcurial a ainsi vendu le châssis n°12 pour un peu plus de 250 000 euros… Avec son pedigree hors normes et l’importance qui fut la sienne dans l’histoire de son constructeur, aujourd’hui comme hier la Turbo 16 n’a pas fini de faire rêver les collectionneurs !





Texte : Nicolas Fourny

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