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Opel Manta A : le design pour tous !

Par Nicolas Fourny - 19/07/2024

« Dessinée par Chuck Jordan, la voiture convainc immédiatement par son style, très différent de celui de la Capri »

Indéniablement, les années 1960 puis 1970 ont constitué une forme d’âge d’or pour les coupés populaires et, à cette époque, rares furent les constructeurs généralistes à négliger ce segment de marché. De la sorte, Fiat, Peugeot, Ford ou Opel y ont tenté leur chance, souvent avec succès, car il existait alors une clientèle friande de différenciation et de style, non pas en circulant au volant d’automobiles prestigieuses, mais en jouant sur une certaine exclusivité, sans que celle-ci corresponde à des tarifs inaccessibles au tout-venant. Basés sur des modèles de très grande diffusion et animés par des mécaniques souvent mièvres, ces coupés ont, le plus souvent, fait primer le plumage sur le ramage, ce qui ne les a pas empêchés de fort bien se vendre. Ainsi en a-t-il été de la première Opel Manta, diffusée à près de 500 000 exemplaires en moins de cinq années d’existence !

Le débarquement des pony cars

« L’amour, c’est l’infini mis à la portée des caniches », a écrit Louis-Ferdinand Céline. En le paraphrasant, on pourrait affirmer qu’il y a une cinquantaine d’années, les coupés populaires – c’est-à-dire élaborés par des constructeurs de masse – mettaient l’élégance et la sportivité à la portée d’une clientèle incapable de s’offrir une BMW ou une Porsche, mais néanmoins désireuse de se distinguer du commun voué à se déplacer à bord de berlines à l’esthétique grisâtre. Comme Raymond Loewy nous l’a enseigné, un bon design ne coûte pas plus cher à réaliser qu’une carrosserie disgracieuse (voire carrément loupée, nous ne citerons pas de noms) et c’est fort logiquement en retenant le style comme principal élément de différenciation que Ford Europe a développé sa Capri, présentée en janvier 1969 et recyclant très habilement les préceptes ayant mené à la conception de la Mustang, en les adaptant aux spécificités du marché européen. Carton plein pour l’ovale bleu, dont les aptitudes en matière de marketing faisaient déjà référence : en partant de composants rustiques, préexistants et largement amortis, abrités sous une carrosserie suggestive, au capot démesuré et à l’accastillage évocateur, la Capri fait mouche. D’autant plus que, fidèle aux traditions de son constructeur, le coupé Ford affiche un premier prix particulièrement agressif, même si les acheteurs de la version de base doivent se contenter d’un rachitique 1300 cm3 ne développant que 53 chevaux et d’un équipement minimaliste…

Du tac au tac

Qu’importe ! Une fois encore, Ford démontre brillamment – avec un rien de cynisme, il est vrai – que la clientèle-cible existe bel et bien. Il y a des automobilistes (sans doute des disciples de Sartre) qui semblent considérer que l’existence précède l’essence et qu’une ligne surbaissée, évoquant le frisson de la performance et tellement plus séduisante que les mornes quatre-portes dont la plèbe se satisfait, peut suffire à leur bonheur. Et tant pis si les chronos ne sont pas vraiment au rendez-vous : de toute façon, étant donné l’archaïsme des liaisons au sol, mieux vaut ne pas rouler trop vite, en particulier quand la route se met à tourner… Il va sans dire qu’à Rüsselsheim, pour les dirigeants d’Opel – l’une des deux filiales européennes de la General Motors – l’insolente réussite de la Capri n’est pas passée inaperçue. En 1968, la firme avait déjà marqué les esprits avec la GT, qui n’était rien d’autre qu’une Corvette en réduction ; cette fois, il s’agit cependant de s’attaquer à un marché aux volumes bien plus significatifs. Car la Capri doit aussi son succès à sa polyvalence : ses quatre places et sa capacité d’emport parviennent à séduire les (petites) familles, et pas seulement les play boys patentés. C’est sur la base de ces réflexions que le projet va connaître un développement fulgurant : en à peine plus d’un an – un laps de temps incroyablement court pour l’époque –, la future Manta va ainsi voir le jour. Se servant généreusement sur les étagères de GM, les ingénieurs allemands se livrent sans vergogne à l’un de ces Meccano industriels qui permettent de raccourcir très sensiblement les délais de conception !

Manta high, Manta low

Moyennant quoi, Opel peut fièrement présenter son nouveau coupé dès le mois de septembre 1970. Dessinée par Chuck Jordan, la voiture convainc immédiatement par son style, très différent de celui de la Capri ; à la ligne fastback de la Ford, la Manta répond par une architecture résolument tricorps, mais dont l’élégance dépouillée séduit les observateurs. Affichée à un tarif tout aussi compétitif que sa rivale, sur ce plan l’auto en donne largement pour leur argent à ses acquéreurs, chaque détail stylistique ayant été particulièrement soigné. Toutefois, moins créatifs que leurs homologues de chez Ford, les commerciaux de la firme au Blitz définissent une gamme nettement moins touffue que celle de la Capri, qui multiplie à l’envi les combinaisons entre les niveaux d’équipement et les moteurs disponibles. Pour sa part, l’offre Manta demeure limitée : au lancement, le catalogue ne comporte que deux quatre-cylindres (un 1584 cm3 de 68 ou 80 ch et un 1897 cm3 de 90 ch) et trois finitions (S, L et SR). Comme on pouvait s’y attendre, le modèle est adroitement positionné face à la Capri, sa concurrente de référence. En 1971, il faut ainsi débourser 15 100 francs (environ 18 000 euros de 2023) pour rouler en Manta 1900 S, versus 16 715 francs pour une Capri 2000 GT XLR, 28 000 francs pour une Peugeot 504 coupé, 20 900 francs pour une Alfa Romeo GT 1300 Junior ou 17 600 francs pour une Renault 15 TS. En revanche, Opel prive délibérément son coupé de tout moteur six-cylindres, alors que la Capri dispose de moteurs V6, certes peu sophistiqués mais disponibles en plusieurs niveaux de puissance. La plus vindicative des Manta ne dépasse pas les 90 ch – un peu court pour jouer les sportives mais, à vrai dire, plus que suffisant quand on dispose d’un châssis constitué d’éléments issus des Kadett et Rekord contemporaines !

Les chevaux de peu

Somme toute, la Manta A n’aura pas vécu longtemps (sa remplaçante sera présentée dès l’automne de 1975), mais ses quelques millésimes d’existence lui permettront tout de même de profiter de plusieurs développements, vers le bas avec une variante animée – si l’on peut dire – par l’antédiluvien 1200 cm3 à arbre à cames latéral de la Kadett, dont les 60 chevaux ne risquent pas de mettre votre permis en danger, et vers le haut avec la GT/E, version autrement plus ambitieuse et nantie d’une injection Bosch L-Jetronic. Forte de 105 ch, c’est bien sûr la Manta A la plus désirable et la plus convoitée par les collectionneurs (sur le marché allemand, il n’est pas rare de voir des exemplaires se vendre au-dessus des 20 000 euros). Ses performances sont en net progrès par rapport à la 1,9 litre à carburateur, et Opel le fait tapageusement savoir par le truchement d’une décoration propre à éveiller les soupçons de la maréchaussée : capot noir mat, spoiler avant, projecteurs additionnels, pneus de 185 et logos « GT/E » répartis un peu partout donnent le ton mais, au volant de cet engin, il vous faudra du métier pour franchir la frontière qui sépare la conduite du pilotage. Si vous êtes d’humeur bienveillante, vous pourrez toujours considérer que l’auto constitue un excellent outil pour l’apprentissage du contrebraquage… Vous l’aurez compris, la Manta aura davantage marqué l’histoire de son constructeur par son design que par ses performances ou ses qualités routières. À tel point, d’ailleurs, que la firme (tombée dans l’escarcelle de Stellantis, ce qui signifie que le pire est à craindre pour son avenir) s’est basée sur la Manta A pour développer, en 2021, un improbable restomod tristement électrifié, inaugurant au passage le style « Vizor » adopté ensuite par l’ensemble de la gamme. Compte tenu du rajeunissement qu’elle a su apporter à son constructeur, l’auto méritait assurément mieux qu’un hommage aussi paradoxal…

1897 cm3Cylindrée
105 chPuissance
188 km/hVmax



Texte : Nicolas Fourny

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