Mercedes Classe S W126 : la machine à cash
Les années 70 avaient démarré sur les chapeaux de roues, avec de superbes bagnoles gourmandes en carburant. La société de consommation inaugurée dans les années 50, et les années d’abondances que représentaient les « sixties » étaient encore une réalité pour les contemporains, qui s’attachaient plus à la puissance fiscale du véhicule acheté qu’à la consommation… En 1971, l’abandon du système Bretton-Woods (toutes les monnaies se réfèrent au dollars, seule monnaie se référant au cours de l’or) avait eu une conséquence inattendue : faire dégringoler la valeur du dollar, et donc du baril de pétrole. Le tout conjugué à un pic de la production pétrolière aux Etats-Unis. En réaction, le cartel de l’OPEP décide dans un premier temps de relier le baril de pétrole au prix de l’or… Provoquant une forte hausse du prix du baril en dollars. Rajoutez à cela la guerre du Kippour, et l’aide matérielle américaine à Israël provoquant une décision unilatérale de l’OPEP d’augmenter encore le prix du pétrole de 70 %, et vous obtenez une belle petite crise pétrolière qui secouera les économies en général, et l’industrie automobile en particulier.
Et là vous vous dites : « mais où veut-il en venir ? ». A la Mercedes Classe S W126 pardi. Vous ne voyez pas le rapport ? C’est pourtant en 1973 qu’est lancé le programme W126 censé remplacer à terme la prestigieuse W116. Pour Mercedes-Benz, pas question, sous prétexte d’une crise pétrolière, d’abandonner ce créneau si juteux des berlines de prestige. L’allemand a trouvé la martingale pour vendre à la pelle de grosses berlines statutaires et puissantes : ses volumes de ventes font déjà rêver n’importe quel constructeur du monde (473 035 exemplaires de la W116 seront vendus), avec les marges qui vont avec !
Mais pour ne pas voir la poule aux œufs d’or se tarir, il faut réfléchir à l’avenir. Si la W116, sortie en 1972, se vend relativement bien malgré la hausse du prix du pétrole, il faut à tout prix revoir la copie pour la prochaine mouture de Classe S, avec un objectif : aérodynamique d’une part, et frugalité des moteurs d’autres part, fussent-ils des V8. Mercedes compte bien continuer à proposer aux grands de ce monde de belles berlines, tout en abaissant la consommation. Comme quoi, on a rien inventé, on en est toujours au même point aujourd’hui. En tout cas, cette volonté de réduction de la consommation va être la ligne directrice des ingénieurs et designers de Stuttgart.
Côté ligne, c’est Bruno Sacco qui s’y colle. Il va s’appuyer sur les qualités de la W116 pour créer une 126 au profil proche, et pourtant si différente. Plus ronde, plus douce, plus profilée, et visuellement plus légère, la W126 est une réussite totale, une réussite que Mercedes n’arrivera plus jamais à réitérer (et surtout pas avec la W140, pachyderme étonnant qui lui succèdera, lire aussi : Mercedes Classe S W140). Faire beau mais sobre est l’oeuvre des génies… aidés en cela par la soufflerie qui permettra à Mercedes de réussir son pari : avec un coefficient de pénétration dans l’air moindre, la W126 est d’ores et déjà beaucoup plus économe. Sans compter les matériaux utilisés, plus légers of course.
Sans être aussi frugaux que les moteurs d’aujourd’hui, les 6 cylindres en ligne ou V8 font eux aussi des progrès en terme de consommation, sans pour autant nuire à la puissance chère à la marque à l’étoile. Pour la première série (1979-1985), les moteurs proposent une palette incroyable de cylindrées et de puissance : 280 S (L6 à carbu de 156 ch), 280 SE (L6 injection de 185 ch), 380 SE (V8 de 218 puis 204 ch à partir de 1981), 500 SE (V8 de 5 litres et 240 ch, puis 231 ch à partir de 1981), voilà pour les moteurs essence. Pour le diesel (car Mercedes aime bien le mazout aussi), on trouve un unique 5 cylindres Turbo (300 SD) offrant 125 ch (ouch!).
Présentée en septembre 1979 au Salon de Francfort, la W126 s’avère coller à son époque, puisqu’elle naît quasiment au moment de la seconde crise pétrolière, liée, elle, à la Révolution Iranienne. Les gars de chez Mercos avaient eu le nez creux en planchant sur la baisse de la consommation de leur grosse berline. Sans doute est-ce cette réactivité aux problèmes posés par l’environnement politique qui explique (en partie) le succès de Mercedes en haut de gamme alors qu’en France, on en était toujours à proposer un V6 PRV gourmand en carburant tout en étant peu puissant ! Sans même parler de l’aérodynamique d’une 604 !
C’est sympa d’être Pape, on roule en belles bagnoles… Cette W136 change de la Panda espagnole (j’en reparlerai)Bref, les bases étaient jetées pour dominer sans partage (ou presque, seul BMW résistait avec sa Série 7, tandis que Jaguar perdait de sa superbe malgré une XJ6 puis une XJ40 de bon aloi). A tel point qu’en 1985, Mercedes décide de remettre une pièce dans le flipper en lançant une deuxième série de W126, dont les changements esthétiques seront mineurs, pas les changements moteurs ! Avec cette phase 2, tout change : une entrée de gamme 260 S (L6 de 166 ch) fait son apparition ; la 280 cède sa place à la 300 (L6 de 188 ch), la 380 cède la sienne à la 420 (V8 de 218 ch puis 231 une année plus tard) ; la 500 s’offre désormais en deux niveaux de puissance (V8 de 223 et 245 ch) pour finir une année plus tard par devenir unique (265 ch) ; enfin la 560 propose l’extase, avec un V8 porté à 272 ch puis 299 ch ! Ouf, vous pouvez souffler !
La 560 n’apparaît qu’avec la phase 2A la vue de cette gamme de moteur, vous imaginez un luxe tapageur dans ces berlines teutonnes : que nenni. Une version limousine 560 en version limousine (SEL au châssis rallongé), vous pouviez très bien n’avoir que des sièges en tissus, un peu de bois au tableau de bord, et puis c’est tout. Magie du marketing du « désir » à l’allemande : tout est en option, et il faut cracher au bassinet en sus du prix de base pour s’offrir le grand luxe. Peu importe, notamment en Allemagne, où il vaut mieux avoir un V8 que du cuir ! Et puis, c’est une bonne façon de faire rentrer du cash hein !
Si je résume, ce modèle, étudié dès 1973, présenté en 1979, et produit jusqu’en 1991, sera une vache à lait pour Mercedes. Sa longévité, sa production (818 063 berlines W126 et Limousines V126, je reparlerai plus tard des Coupés dits C126) permettant l’amortissement des investissements, ses avancées technologiques (première voiture équipée d’airbags notamment) lui garantissant un coup d’avance sur bien des concurrent, tout est là pour faire de la W126 une machine à cash pour Mercedes (ce qui explique sa durée de vie).
A défaut d’être pape (beaucoup de prétendants, un seul élu), on peut toujours être flic … en AllemagneSurtout, avec autant de modèles produits et encore en circulation (grâce à une excellente qualité de fabrication), la W126 est aujourd’hui la garantie d’accéder au grand luxe, à la puissance, aux multi-cylindres (enfin, plus de 4 quoi), à la classe d’un dessin intemporel, pour pas grand chose rapporté aux prestations. Et puis il y en a pour tous les goûts, du diesel anémique au V8 plein de coffre, et pour toutes les bourses… La W126 ? Le « must have » aujourd’hui, plus moderne que la W116, plus fine que la W140, toujours dans le coup. Que demander de plus ? Et pourtant je vous l’assure, Mercedes n’est pas ma tasse de thé !