Dans la longue histoire de Maserati, bien des chapitres furent mouvementés mais, il faut le reconnaître, rares ont été les modèles à n’avoir pas été entièrement conçus en interne. Peu adepte du badge engineering, la firme modénaise y eut pourtant recours, de façon très ponctuelle ; on se souvient sans doute de la Kyalami dérivée de la De Tomaso Longchamp ou de la Quattroporte II, qui n’était autre qu’une Citroën SM recarrossée. Quoique fort différente de ses aînées d’un point de vue conceptuel, la MC12 apparue en 2004 s’en inspira pourtant sur un point : l’art consommé d’accommoder les restes… mais quand les restes en question proviennent des cuisines de Maranello, même les gourmets les plus blasés ont du mal à snober le résultat !
Avec de la mémoire on se tire de tout
Aux prolégomènes de la MC12 on trouve donc l’Enzo, supercar héritière des F40 et F50 et présentée à l’automne de 2002. Rappelons qu’à cette époque, Ferrari a pris le contrôle de Maserati au sein de ce qui est encore le tout-puissant groupe Fiat. Le cheval cabré est censé aider la firme au trident à rationaliser son outil de production et superviser le développement d’une nouvelle gamme en tournant la page des années De Tomaso et des innombrables dérivés de la Biturbo — objectifs d’ailleurs atteints, avec notamment une 3200 GT en rupture complète avec celle-ci et unanimement saluée, suivie par la plus belle des Quattroporte jamais conçue (nous revendiquons sans vergogne notre subjectivité à ce sujet). En ce début de siècle, il n’est pas excessif de considérer que Maserati a su une fois encore se réinventer afin d’assurer sa pérennité. Néanmoins, l’histoire de la firme ne s’est pas bornée, loin s’en faut, à la production d’automobiles de route ; son palmarès en course est même tout à fait respectable, même s’il ne peut rivaliser avec celui de sa célébrissime voisine. Il n’empêche que la dernière contribution directe du constructeur à la compétition remonte tout de même à 1967 ; mais justement, quoi de mieux, pour ratifier sa renaissance, que de réinvestir les circuits ?
L’appel de la piste
MC signifie Maserati Corse et cet acronyme définit à lui seul la destination du projet : il s’agit, en toute simplicité, de concevoir une machine avant tout destinée à courir ! Évidemment, en l’espèce il y a loin de la coupe aux lèvres, surtout pour une entreprise dont le service compétition a alors disparu depuis plus de trois décennies… Toutefois, pour les raisons que l’on imagine il n’est pas pour autant question de partir d’une feuille blanche et Ferrari va très obligeamment fournir une base de travail idéale sous la forme, on l’a vu, d’une Enzo avant tout conçue pour la route — même si les FXX puis FXX Evo, machines-laboratoires jamais engagées dans des compétitions ouvertes (contrairement aux MC12 Corsa), ont pu apparaître comme des Enzo coursifiées. Nous parlons bien d’une base de travail, car les responsables du projet ne se sont pas contentés de rebadger la Ferrari ; à ce niveau, la grossièreté et la désinvolture d’une telle démarche n’auraient de toute façon pas été envisageables. De la sorte, même si le pare-brise et le dessin caractéristique des portières de l’Enzo sont aisément reconnaissables, l’ampleur des modifications apportées à la structure même de l’auto commandent le respect…
Une voiture de course homologuée pour la route
Sur la base du dessin originel de la Ferrari — œuvre de Ken Okuyama —, Frank Stephenson, qui pilote alors le design des deux firmes et intègre plusieurs idées dues à Giorgetto Giugiaro, parvient à élaborer une longue berlinette à la personnalité indéniablement distincte de l’Enzo, qui semble presque trapue en comparaison de son avatar. Il faut dire que les dimensions de l’engin ont évolué à tous égards : l’empattement s’est ainsi allongé de quinze centimètres tandis que la longueur hors tout de la MC12 excède de 34 centimètres celle de sa matrice ! Cette inflation physique n’est certes pas gratuite, puisque dictée par les contraintes d’une aérodynamique spécifiquement pensée pour la course, mais elle aboutit à une automobile dont le charisme semble ne rien devoir à personne. De surcroît, et contrairement à celui de l’Enzo, le toit de la Maserati est amovible (mais, un peu comme les arches d’une Citroën C3 Pluriel, il est impossible de l’emmener avec soi). Ce détail n’a pas refroidi les ardeurs des clients qui, entre 2004 et 2005, se sont précipités pour signer un bon de commande (et, accessoirement, un chèque d’un peu plus de 700 000 euros). Des clients qui avaient le choix de la couleur, à condition de sélectionner une robe associant le bleu et le blanc nacré — seule possibilité laissée par l’usine pour les 50 exemplaires de route et qui éloignait encore un peu plus la MC12 de son lignage.
12 cylindres pour deux légendes
Bien plus rare qu’une Enzo construite à 400 exemplaires, la supercar de chez Maserati n’a, contrairement à sa cousine, connu aucune descendance ; à quoi s’ajoute un palmarès honorable (40 victoires) dans le cadre du championnat FIA GT pour lequel elle avait été construite et dans le cadre duquel on a pu la voir évoluer jusqu’en 2010. C’est certainement ce qui explique une cote toujours soutenue — à titre d’exemple, RM Sotheby’s a vendu une MC12 de route pour un peu plus de deux millions d’euros à Paris en 2018.
Bien sûr, et comme cela arrive toujours avec ce genre d’autos, la puissance hors normes et les performances stratosphériques qui époustouflèrent le public lors de sa présentation en 2004 se sont banalisées depuis lors ; le V12 Ferrari développe ici 630 ch (soit exactement la puissance de l’actuelle MC20 !), c’est-à-dire trente de moins que sur l’Enzo, sans doute pour des raisons de préséance, ce qui n’empêche pas la voiture de revendiquer 330 km/h en vitesse de pointe. Mais là n’est pas l’essentiel : encore plus exclusive que les plus sélectives des Ferrari contemporaines, la MC12 a visé juste en contribuant très activement à la restauration du prestige de Maserati. Opportune et définie avec compétence, elle a su concrétiser ce que l’improbable Chubasco n’avait fait que suggérer quinze ans auparavant. Oui, vraiment, avec elle le Trident avait changé d’époque !
Texte : Nicolas Fourny