Maserati GranTurismo : un long dimanche de fiançailles
La carrière des Maserati GranTurismo et GranCabrio est symptomatique de la période incertaine et troublée que traverse l’industrie automobile italienne depuis de longues années déjà. Hormis Ferrari, dont la santé s’avère continûment éblouissante, les autres marques transalpines se sont souvent vues contraintes, faute de moyens, de prolonger au-delà du raisonnable la carrière de modèles souvent attachants mais frappés d’une cruelle et injuste obsolescence. Ce fut, entre autres, le sort de ces deux machines au positionnement baroque et aux ambitions floues — ce qui ne les empêche pas, aujourd’hui encore, de dispenser bien des joies à leurs conducteurs. À présent qu’elles ont quitté la férocité des comparaisons et des jugements, à présent qu’elles ont rejoint les rivages plus tranquilles d’une certaine forme d’hédonisme routier, penchons-nous, avec bienveillance et lucidité, sur les dernières machines de grand tourisme à moteur avant que la firme au Trident ait offertes au monde.
Une histoire de cul (entre deux chaises)
Colette a passé les dernières années de sa vie dans son appartement du Palais-Royal, impotente certes, mais ne cessant jamais d’écrire. Son corps avait vieilli, mais non le feu de son âme, qui brûlait comme elle l’avait fait avant la guerre lorsque, jeune et ardente, sa voix portait haut et loin la littérature, la liberté d’être, la liberté d’aimer — bref, la vie elle-même. Semblablement en alla-t-il du huit-cylindres tipo F136, assemblé à Maranello mais conçu autant pour Maserati que pour Ferrari et qui, dix-huit ans après sa première apparition, n’a rien perdu de sa volubilité, ni de ses ressources. Si l’on devait ne retenir qu’un seul argument en faveur de la GranTurismo, son V8 y pourvoirait amplement : il suffit de le démarrer pour en être ému. Et, même si vous avez la chance de partager son quotidien, d’accomplir ce geste chaque matin, ce dernier ne sera jamais banal. « La vie est une fête en larmes », écrivait Jean d’Ormesson. En l’occurrence, oubliez les larmes : les intonations de l’objet, leur tessiture, leurs promesses vous éloignent instantanément de la trivialité des considérations ordinaires.
Pour autant, une automobile bien née ne saurait se résumer aux seules qualités de son moteur — que les propriétaires de Chrysler 180 veuillent bien nous pardonner — et le F136 se trouve ici blotti dans un ensemble qui mérite d’être examiné dans sa substance comme dans ses détails. Liquidons dès l’abord la question de l’empattement, que Jeremy Clarkson compara un jour à celui d’une Range Rover, et ce n’était manifestement pas un compliment. La GranTurismo (c’est écrit dessus) est une automobile de grand tourisme et n’est donc pas une voiture de sport — il faut choisir, camarade ! Les voitures de sport ne mesurent pas 4,88 mètres de long et ne pèsent pas deux tonnes une fois le plein fait et lorsque deux occupants sont installés à bord. Les voitures de sport sont légères, spartiates, agiles, dépouillées de tout superflu. Les voitures de sport sont fatigantes, assourdissantes, inconfortables. Ce que n’est pas la GranTurismo. Bon, d’un autre côté, elle n’est pas aussi silencieuse, pas aussi bien suspendue, pas aussi bien finie et construite qu’une Mercedes-Benz CL ou qu’une BMW série 8. Ce qui nous amène à une question cruciale : à qui s’adressait-elle ?
Je suis imparfaite, donc vivante
Sensiblement plus imposante que les très gracieuses 3200 (tipo 338) et 4200 GT (tipo M138), la GranTurismo, toutes choses étant égales par ailleurs, a, d’une certaine façon, connu des avanies comparable à celles de la Peugeot 407 Coupé : succéder à une auto presque unanimement vénérée n’est pas facile, et plus encore lorsque, pour des raisons davantage liées au marketing qu’aux sources pures de la créativité et du désir, les responsables du projet décident d’en donner plus. Plus de métal, en l’occurrence — mais le charisme doit-il ne se mesurer qu’à l’aune de l’encombrement ? Évidemment, treize ans après sa présentation, l’auto conserve une réelle prestance dans la circulation, et pas seulement sur le plan auditif. Que l’on appartienne à la tribu des béotiens absolus ou que l’on soit un petrolhead irrécupérable, l’objet attire le regard et, si l’on est un tant soit peu attentif, c’est presque charnellement que l’on peut éprouver l’exotisme de son vocabulaire. La GranTurismo et son dérivé à carrosserie ouverte n’essaient pas de singer un style, encore moins de se germaniser : un ancien responsable de Fiat, dont le nom m’échappe, a un jour parlé du concept d’italienneté — l’un de ces séduisants néologismes difficiles à expliciter mais dont, néanmoins, l’on comprend instinctivement la signification.
En l’espèce, Maserati avait visé juste et les quelque quarante mille exemplaires écoulés , toutes versions confondues (28 805 pour le GranTurismo), ont démontré qu’il existait bel et bien une clientèle disposée à se détourner des schémas convenus, pour peu qu’on lui propose une expérience distincte du tout-venant. Une clientèle sans doute plus concentrée sur les caractéristiques mécaniques que sur la qualité des accostages ou le moussage des plastiques. Une clientèle dont les vocalises caverneuses d’un V8 non seulement atmosphérique, mais aussi italien — vous savez, ces gens qui sont gais quand ils savent qu’ils auront de l’amour et du vin — éveillent les sens, et tant pis si le système d’infotainment a deux générations de retard et si l’ergonomie est aux abonnés absents. La quête obsessionnelle de la perfection est un leurre — en définitive, elle n’existe pas plus que l’objectivité — et, de surcroît, elle peut devenir lassante à la longue…
Précautions d’usage
Moyennant quoi, et en dépit de la réputation volontiers sulfureuse qui colle aux basques des automobiles de grand tourisme dès lors qu’elles proviennent de Modène plutôt que de Stuttgart ou Munich, la GranTurismo a su trouver son public, que ce dernier ait ou non les moyens de ses ambitions. À ce sujet, si les rêves ont le grand mérite d’être toujours gratuits, l’attractivité de la cote actuelle ne doit pas vous dispenser des questionnements indispensables avant de vous lancer dans l’acquisition d’une telle auto. Bien entendu, l’équation « une Maserati au prix d’une Passat » a de quoi faire perdre la tête mais les coûts d’exploitation, quant à eux, n’évoluent pas tout à fait sur la même planète. Entendons-nous bien : nous sommes très loin de la poésie approximative de la tumultueuse lignée des Biturbo et, même par rapport aux dernières M138, la qualité de fabrication a bénéficié de progrès sensibles. D’une manière générale, il est tout à fait possible d’amener sa GranTurismo à l’atelier sans devoir sacrifier son PEL pour régler la note, à condition de ne pas brutaliser la mécanique et de garder à l’esprit que les défaillances des organes essentielles sont susceptibles de vous coûter les deux bras — situation qui, ensuite, peut rendre la conduite difficile…
Boîte automatique ou boîte robotisée ?
Un peu à l’instar d’une Porsche 911 — ce qu’à Dieu ne plaise… —, affirmer que l’on conduit une Maserati GranTurismo ou GranCabrio (appellations d’ailleurs un rien tartignoles, qu’il nous soit permis de le souligner, surtout venant d’une marque qui, précédemment, a su nous gratifier de Khamsin, de Merak ou de Mistral) n’a guère de signification en soi, tant les variantes du modèle présentent des typages différenciés. Ainsi, entre une 4,2 litres de base, machine de plaisance aux effluves bourgeois — nous recommandons par exemple la combinaison Bordeaux Pontevecchio et cuir fauve, que l’on croirait calibrée pour les balades paisibles en bord de mer — et une 4,7 litres Sport dont la puissance, la physionomie et les réglages sont tout entiers tournés vers la performance, les nuances sont suffisamment significatives pour attirer des amateurs aux attentes variées.
À la base, le moteur est naturellement le même, toutefois il convient de choisir la transmission avec soin. Nous ne nourrissons aucun préjugé contre les boîtes robotisées mais, si vous avez eu le malheur d’utiliser un jour l’épouvantable BMP6 que PSA s’obstina à infliger à ses clients de longues années durant, vous lui trouverez sans doute de sinistres analogies avec l’unité que Maserati a choisi d’implanter dans certaines versions de sa GranTurismo. Aussi vive que le quatrième mouvement de la symphonie n°5 de Gustav Mahler, cette boîte ne peut que conforter les partisans du convertisseur de couple. De la sorte, la ZF à six rapports qui aura équipé l’essentiel de la production n’est pas aussi prompte que les meilleures réalisations contemporaines — on songe immanquablement aux boîtes F1 de chez Ferrari — mais elle remplit très honnêtement son rôle, les ressources du moteur rendant à peu près superflues les trois ou quatre vitesses supplémentaires que les équipementiers sont en mesure de proposer de nos jours.
Le premier jour du reste de votre vie
On l’a vu, la GranTurismo n’est ni particulièrement rare — moins en tout cas qu’une Renault Avantime ou qu’un cabriolet Rover 111 — ni particulièrement onéreuse à l’achat. Raison de plus pour ne pas vous précipiter sur le premier exemplaire venu ; si vous souhaitez bénéficier d’une garantie, il en reste dans le réseau officiel mais, naturellement, à des altitudes tarifaires supérieures à ce que l’on peut trouver chez des particuliers ou des professionnels hors réseau. Avec un éventail de puissances allant de 405 à 460 chevaux, il va de soi qu’aucune des voitures disponibles sur le marché ne souffre de la moindre sous-motorisation, mais tout dépend à la fois de votre budget et de vos aspirations. Dans tous les cas, un dossier d’entretien solide constitue un prérequis, de même qu’un essai digne de ce nom ; en gardant ces précautions à l’esprit, hier comme aujourd’hui les GranTurismo et GranCabrio incarnent un choix éclairé qui, dans certains cas, peut même correspondre à un art de vivre. Les 300 km/h dont sont capables les Sport et MC Stradale véhiculent un authentique panache mais, au vrai, là n’est pas l’essentiel. Ce sont des voitures imaginées pour un hédonisme mûr et, lorsque leur production s’est arrêtée, l’an dernier, bien des choses importantes ont disparu avec elles. À présent, elles se sont muées en survivances ; la bonne nouvelle, c’est que vous avez le reste de votre existence pour en profiter…