Lotus Elan 2 (M100) : les lois de la traction
Beaucoup considèrent l’Elan M100 (ou Mk2, ou II, voire 2, “chacun fait fait fait c’qui lui plaît plaît plaît”) comme une hérésie… Traction au lieu de propulsion, design éloigné de la première du nom, moteur Isuzu, et prise de contrôle récente de Lotus par GM au moment de son lancement : autant de petits détails pour vous mais qui veulent dire beaucoup chez l’amateur “puriste” de Lotus. Pourtant, cette petite Elan n’est pas celle que vous croyez. Vilain petit canard ? Elle était pourtant fiable et performante, d’autant que la traction à ce niveau de puissance, lui offrait des qualités routières certes moins joueuses mais plus précises et surtout plus accessibles. Et c’était d’ailleurs l’objectif de cette Elan deuxième mouture : conquérir une nouvelle clientèle. Flash Back.
Le puriste l’oublie souvent : une marque ne peut pas se contenter d’une clientèle traditionnellement attachée à ses valeurs, figée dans une conception qui devient dogmatique. Pour survivre d’abord, et grandir ensuite, il faut soit élargir son marché, soit s’offrir le soutien d’un investisseur (on appelle alors la marque une danseuse), soit celui d’un constructeur (qui s’offre alors une vitrine). Parfois l’entreprise survit grâce à la “vista”, l’entregent et l’aura de son créateur, palliant l’absence de moyens par du bricolage de génie. Or Colin Chapman, génial créateur de la marque Lotus, décède brutalement d’une crise cardiaque le 16 décembre 1982. A la panade économique s’ajoute la cruelle réalité de la vie. Lotus est au plus mal financièrement et n’a plus les moyens de survivre seule !
Deux propositions pour la M100La quasi faillite de Lotus après la mort de Colin Chapman
American Express, un soutien financier de premier ordre, se désengage, et en juin de l’année 1983, un plan de sauvetage devient inéluctable sans quoi la petite entreprise d’Hethel disparaîtra. Heureusement, British Car Auction (BCA) prend à cette occasion 25 % du capital, tandis que Toyota, partenaire régulier de Lotus prend 16,5 %. Ils sont rejoints par la banque Schroeder-Wagg (14 %) et la société de fabrication de matériel pour le BTP JCB (12 %). Le banquier David Wickens complète le pool avec 14 %. L’avenir semble un peu plus assuré. Il faut cependant relancer la machine et rapidement, on se rend compte qu’il manque quelque chose d’important dans la gamme désormais réduite à l’Excel et l’Esprit : un modèle d’entrée de gamme permettant de conquérir une nouvelle clientèle, comme à l’époque des Seven ou Elan dans les années 60.
La M100, joliment dessinée par Stevens en 1989Ce projet date en fait de 1981. Olivier Winterbottom revenu de chez TVR lance ce projet (qui deviendra M90) en comptant faire comme pour l’Excel : profiter du partenariat avec Toyota pour réduire les coûts. Malheureusement, dès 1982, Chapman encore vivant préfère tout stopper par manque de moyens. Or en 1983, la situation a changé avec les nouveaux actionnaires (et le patron décédé). Le projet devient X100 et il est rapidement relancé avec une idée simple : produire un petit roadster à moteur avant (d’origine Toyota évidemment) et diffusé dans le réseau mondial du constructeur japonais. De quoi faire passer l’usine à des volumes jamais atteints jusqu’alors. Un prototype est présenté en 1984 (en même temps que l’Etna, censée assurer la relève de l’Esprit).
GM prend l’ascendant sur Toyota
Malgré la montée au capital de Toyota (qui détiendra jusqu’à 21,5 % de Lotus), les dirigeants se rendent vite compte qu’il faudra un nouvel investisseur pour assurer le financement d’un véhicule de ce type (et le renouvellement de la gamme, l’Excel et l’Esprit devant un jour être remplacées). Contre toute attente, c’est vers General Motors que Lotus va se tourner : en janvier 1986, la firme américaine rachète 100 % des parts, sans doute pour disposer d’une division sportive européenne pour compléter Opel/Vauxhall mais aussi pour contrer Ford (rachat de AC Cars puis d’Aston Martin à la même époque), ou Chrysler (Maserati pour partie, Lamborghini). Les groupes américains sont à la manoeuvre à cette époque, et particulièrement rivaux sur ce créneau.
Le projet M90 / X100 va donner des idées à GM : continuer sur cette lancée mais dans une logique de groupe… et une réflexion avant gardiste. Passer cette petite voiture de sport à la traction considérant que la traction coûte moins cher à produire, se maîtrise de mieux en mieux (on arrive à passer quelques chevaux de plus sur le train avant) et demande moins de compétence de pilotage qu’une propulsion encore non compensée par de l’électronique. Certes, on y perd en comportement joueur ou sportif, mais on gagne en efficacité. Ceux qui veulent du sport et du viril pourront toujours se tourner vers l’Esprit, sa propulsion et son moteur central.
Une M100 pour convaincre et conquérir de nouveaux marchés
Le projet M100 prend alors corps. On confie le design à Peter Stevens qui livre une proposition très cohérente (et séduisante) : encore aujourd’hui, l’Elan M100 séduit, à la parfaite jonction entre les lignes des années 80, relativement tendues, et les rondeurs des années 90 (lui donnant du muscle). L’Elan reste aujourd’hui tout à fait dans le coup, et en étonnera plus d’un connaissant peu ce modèle. Bref, l’opération est lancée. Pour motoriser ce petit roadster, on fait appel à Isuzu qui fait alors partie de la galaxie GM qui en détient 34 % depuis 1972. Le petit 4 cylindres 1,6 litres à double arbre à came en tête modifié par Lotus.
Une Elan S2 de l’ère ArtioliA la clé, un atmo de 130 chevaux (qui s’avère rarissime avec seulement 180 exemplaires produits), un turbo de 165 chevaux (plus intéressant il faut le dire). Lancée en 1989, la Lotus Elan M100 surprend, intéresse, partage les journalistes qui louent sa tenue de route mais, ancrés dans des schémas anciens (“le sport, c’est la propulsion”) finissent tous par regretter l’ancien temps : un réflexe qu’on retrouve souvent encore aujourd’hui. Les même louant les qualités de la Citroën 7, 11 ou 15 révolutionnant le genre dans les années 30, comme quoi !. Bref, la petite Lotus est trop américaine pour les uns (à cause de GM), trop japonisante pour les autres (à cause du moteur Isuzu), trop mondiale quoi… Sans parler d’un héritage pas si renié que cela mais que les gardiens du temple n’admettent pas : une traction ? Quelle hérésie.
Une voiture mal aimée, à tort !
Résultat, la voiture, le cul entre deux chaises, ne séduira ni fans absolus de Lotus, ni les clients hypothétiquement séduits par cette Lotus “facile à l’usage” (et fiable, rappelons le !). Certes elle usurpe un peu son nom (à la manière des Ghibli II et surtout III chez Maserati par rapport à l’originale Ghibli “tout court”) mais franchement, cette voiture ne mérite pas son qualificatif de “sous Lotus”. Au contraire. Avec un poids contenu sous la tonne, un moteur (du mois turbocompressé) à la puissance respectable et une tenue de route exemplaire (ou presque), l’Elan II (ou 2 ou Mk2 ou M100, là encore à vous de choisir) vaut le détour.
General Motors, qui n’est pas une entreprise philanthropique, finira par jeter l’éponge. Malgré les tentatives d’élargir les compétences de Lotus à l’ensemble du groupe (on trouvera par exemple l’Opel Omega / Vauxhall Carlton Lotus dans les bagages), il s’agit de rationaliser un peu tout cela. Après le rachat de 50 % de Saab en 1989 (rappelons que GM n’en prendra le contrôle que dix ans plus tard), et les investissements conséquents dans le développement de l’Elan et d’une Esprit revisitée (qui finira par obtenir un V8), le groupe américain décide d’arrêter les frais. Cela passe d’abord par l’arrêt de la production de l’Elan en 1992 puis par une vente de l’entreprise dans son entier au tycoon italien Romano Artioli, à l’initiative de la relance de Bugatti à Campogalliano avec l’EB110.
Un seconde série siglée Bugatti, une troisième signée Kia
Lotus passe donc entre des mains italiennes en 1993 pour trois francs six sous. Au passage, Artioli récupère un projet en gestation : celui qui deviendra l’Elise S1 (du nom de sa petit fille Elisa Artioli) et qui réussira la synthèse de “l’esprit Lotus” et de l’héritage de l’Elan M100. Un projet qu’il ne mènera jamais jusqu’au bout, devant céder les rênes de Lotus au moment de la faillite globale du groupe qu’il dirigeait (et en particulier Bugatti). Mais entre temps, il aura eu le temps de relancer l’Elan avec une série dénommée S2 (produite entre juin 1994 et septembre 1995) à la puissance réduite à 155 chevaux (comme les modèles américains). Environ 800 exemplaires seront produits avec les restes des stocks de moteurs et de pièces détachées destinés à l’export outre-Atlantique.
En 1995, la marque anglaise est revendue à Proton, une entreprise automobile malaisienne (et non malaise, ce n’est pas la même choses) qui revendra la licence à Kia pour la production d’une Kia Elan très proche des caractéristiques de l’anglaise jusqu’en 1999 (production estimée à 1 000 exemplaires, sans doute surestimée d’ailleurs). Une version restylée sera présentée mais sans trouver réellement sa place sur le marché sud-coréen. Environ 5 374 exemplaires auront été produits en Europe, 1 000 de plus supposés – donc – en Corée du Sud : de quoi faire de l’Elan M100 une rareté. Proton lancera de son côté l’Elise S1 qui deviendra le succès que l’on connaît.
Aujourd’hui, la Lotus Elan M100 est une pièce de collection intéressante : seule traction de la marque, motorisée chez Isuzu (mais l’Elise ira ensuite se fournir chez Toyota comme quoi !), elle propose une ligne particulièrement attractive et a, avec le recul, le mérite de l’originalité tout en restant relativement abordable… Une voiture à revisiter sans jugement, sans a priori, avec la seule idée de se faire plaisir. A vous de voir !