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Lancia Thema 6V / V6 "PRV" : vraie rareté et fausse rumeur

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 21/03/2018

La Lancia Thema est une voiture particulièrement attachante, tant par son design très classique et élégant (en berline comme en break « Station Wagon »), par le raffinement de son intérieur (parfois délicieusement 80’s) et par ses nombreuses motorisations permettant à chaque amateur de trouver son bonheur aujourd’hui (essence ou diesel, 4 cylindres, V6 ou V8, atmo ou turbo, 8, 12, 16 voire 32 soupapes etc) parmi les 3 séries qui furent produites. Parmi toutes ses déclinaisons, on trouve dès le lancement en 1984 une version haut de gamme, appelée 6V (elle deviendra V6 avec la seconde série en 1988), équipée du V6 PRV français et qui, après la 8.32, s’avère être l’une des plus rares Thema produites.

Autant parler tout de suite de la rumeur qui entoure la présence d’un V6 français sous le capot d’une italienne. Il se murmure parfois, au gré des articles, que la présence du PRV serait en quelque sorte le fruit d’un chantage : on aurait forcé la main des italiens avec un « si vous voulez qu’on prenne vos moteurs diesel SOFIM, faudra nous prendre du PRV ». Pourtant, rien d’officiel ne vient étayer cette version, mais surtout, l’examen de la situation avec des faits, et juste des faits, viendrait même contredire cette thèse.


Revenons en à la Thema, pour mieux comprendre les raisons qui poussèrent plus vraisemblablement les dirigeants italiens à choisir ce moteur français pour leur nouveau haut de gamme. Présentée en 1984 au Salon de Turin, devançant ses deux cousines Fiat Croma (lire aussi : Fiat Croma) et Saab 9000 (lire aussi : Saab 9000), la Thema se veut le renouveau du haut de gamme au sein du groupe turinois. A cette époque, les positionnements des marques du groupe se dessinent : à Fiat le populaire, à Lancia le statutaire ! Dans la logique du projet Tipo 4, la Croma sera donc l’entrée de gamme (à cette époque, la grande berline est aussi un produit familial) et la Thema l’offre luxueuse.

C’est dans cette optique que les dirigeants de Lancia envisagent de compléter leur offre de 4 cylindres 2 litres « ie », atmo ou turbo par un V6. Si les 2 litres feront l’affaire pour les clients moins fortunés (dans le cas de l’atmo) ou sportifs (dans le cas du turbo, avec 165 chevaux, un moteur qu’on retrouvera ensuite sur la Delta, et non l’inverse), et dans tous les cas italiens étant donné la forte taxation des moteurs de plus de 2 litres dans la Botte, il convient d’offrir aussi le velouté et le statut d’un moteur à 6 cylindres, notamment pour les marchés « export ». La 8.32 à moteur V8, encore plus luxueuse, exclusive et performante, n’apparaîtra que deux ans plus tard, comme un vecteur d’image plus que pour faire du volume (lire aussi : Thema 8.32). Enfin n’oublions pas le fameux 2.5 turbo diesel SOFIM justement, avec ses 100 chevaux faisant de la Thema la voiture diesel la plus rapide de son temps.


On peut le voir, toutes les attentions se portent sur Lancia dont la Thema doit être la locomotive après le cuisant échec de la Gamma. Les positionnements internes sont très travaillés, au point que la Croma se passe de V6 et de toute prétention sportive (même si cette dernière, à la fin de sa carrière, connaîtra le Busso et le Turbo ie qu’on retrouvera alors en même temps sur la Thema). De son côté, la Thema se prive au dernier moment du 1.6 de 100 ch prévu initialement pour ne pas faire de l’ombre à sa cousine (seule une dizaine d’exemplaires sera fabriquée, ces modèles étant alors tous affectés à des cadres du groupe, ce qui, dans les faits, en fait le plus rare modèle de la Thema).

Bref, revenons à notre V6. Il semble acquis que, pour exister à l’international, la présence d’un tel moteur soit indispensable. Oui mais voilà : à cette époque, la Fiat se trouve bien démunie en matière de V6. La Gamma ne proposait déjà que des 4 cylindres, tandis que Fiat avait abandonné tout V6 dans ses voitures depuis 1977 et l’arrêt de la fabrication de la 130. Et je rappelle, à toutes fins utiles, qu’au moment du développement des Tipo 4, Alfa Romeo n’a pas encore été rachetée par Fiat, privant la Thema (pour un tant) d’un beau V6 purement italien, et la 164 n’est encore qu’un songe (lire aussi : Alfa Romeo 164). Que faire alors ? Son partenaire suédois, Saab, encore indépendant, ne dispose pas plus de V6 dans sa banque d’organes. Il faut donc se tourner vers un autre fournisseur, à l’étranger.


Il suffit alors de regarder la carte des fabricants de V6 dans le monde pour voir que le meilleur choix était tout bonnement le PRV. Il a l’avantage d’être compact, léger (idéal pour une traction), relativement moderne, pas sportif à l’époque mais onctueux, avec du couple à bas régime, tout à fait adapté aux exigences de la clientèle visée : pour le sport ou la performance, on la dirigerait vers la ie Turbo, voire à partir de 86 vers la 8.32. En outre, les problèmes de jeunesse (consommation élevée, cycle d’allumage un peu bancale) avaient été réglés, avec un réalésage à 2849 cm3, et le passage à injection ! La version Lancia sera de type ZN3J, utilisée notamment sur la Peugeot 505 V6 en version USA (lire aussi : 505 USA). Enfin, ce moteur « multimarque » dès l’origine lui donnait une image « passe-partout » idéale, faute de mieux (à l’époque, on le retrouve chez Peugeot, Renault, Alpine, Volvo et même DeLorean).

Avec le PRV, pas de problème de développement, la Française de Mécanique, Peugeot et Renault s’en occupent depuis plus de 10 ans. Et puis, avec une large diffusion (au total, le PRV se vendra à près d’un million d’exemplaires durant sa longue carrière), il a le mérite de n’être pas trop cher. Idéal pour une solution transitoire donc, car Fiat a bien en tête d’acheter Alfa Romeo à terme.


Et puis les liens que Fiat entretient depuis longtemps avec Renault ou Peugeot facilitent les choses (ce qui rend absurde l’idée d’un chantage). La SOFIM justement, n’a-t-elle pas été créée conjointement avec Saviem au début des années 70 pour réaliser des moteurs diesels notamment à destination des utilitaires ? Rien que son nom devrait mettre la puce à l’oreille : SOFIM veut dire Société Franco-Italienne de Moteurs. Certes, Iveco en est, depuis 1981, l’unique actionnaire, mais les moteurs SOFIM équipent depuis belle lurette les utilitaires Renault. Les Trafic (lire aussi : Renault Trafic) et Master n’ont pas attendu le PRV et les utilisent depuis 1981 (moteur S8U). En revanche, il faudra attendre la Safrane pour voir une berline particulière Renault équipée d’un 2.5 td italien. L’argument du chantage ne tient pas une seconde.


Quand à Peugeot, l’autre actionnaire de la Française de Mécanique, il est allié depuis 1981 avec Fiat, à 50/50 au sein de Sevel Sud pour la production des utilitaires légers. Ces J5, C25 et Talbot Express (lire aussi : Talbot Express) bénéficient de moteurs SOFIM depuis cette date, en toute logique. Ni Peugeot, ni Renault n’avaient intérêt à un tel chantage, et la fourniture du PRV n’était qu’un échange de bons procédés qui arrangeait tout le monde.

La Lancia Thema 6V fut d’ailleurs reconduite au moment de la deuxième série, fin 1988, avec le nom de V6, et ce malgré l’intégration d’Alfa Romeo au groupe Fiat. Dans la logique de positionnement de l’époque, la 164 récupérait l’aspect sportif de l’affaire. Ce n’est qu’en 1992 et avec la 3ème série que la Thema récupérera un Busso, mais retravaillé par Lancia, et en version 12 soupapes seulement, laissant les 24 soupapes plus sportifs à Alfa.


En tout cas, avec 4888 exemplaires 6V / V6 fabriqués entre 1985 et 1992, la Thema « PRV » ne rencontrera pas le succès escompté, dépassant à peine d’un millier d’exemplaire la version V8 dont elle subit la concurrence dès 1986. De même, la qualité des Thema 4 cylindres ie Turbo plus puissants (165 ch contre 150 pour le V6) et la concurrence des versions 164 V6 furent suffisantes pour que la 6V reste dans l’ombre malgré d’indéniables qualités. La souplesse du PRV, et son couple à bas régime en fin d’ailleurs la motorisation privilégiée pour la lourde limousine Thema (lire aussi : Thema Limousine).


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