La Pike Factory: l'usine à délire de Nissan !
Les japonais font des trucs bizarres, incongrus, fous, mais qui finissent un jour ou l’autre par nous séduire, à notre corps défendant : sushis, walkman, jeux vidéos, mangas, émissions folles à la télé, ou films érotiques (chacun se souvient, j’imagine, de l’Empire des Sens. En matière d’automobile, c’est un peu la même chose. On s’est moqué des Toyota, Datsun ou autres japoniaiseries (croyait-on) pour finalement acheter en masse ces autos qui se démarquaient surtout par leur fiabilité incroyable, mais pas forcément par leur originalité.
Alors comme les japonais sont fous, mais pas idiots, ils se sont mis à mettre les ingrédients de leurs autres délires (mangas, rétro-futurisme) dans leurs bagnoles. Nissan en particulier a joué à ce petit jeu dans les années 80, en lançant la Pike Factory, une sorte de think-thank automobile incroyable prouvant la capacité nippones à s’adapter et à créer au sein même d’une organisation pourtant hyper cadrée, productive et rationnelle.
C’est sans doute là toute la force des constructeurs automobiles japonais : la créativité la plus débridée peut cohabiter avec la rentabilité et les process industriels. La Prius chez Toyota est née un peu de cette façon, même si le sujet était plus sérieux (lire aussi : Toyota Prius XW10). Bref, la Pike Factory c’est un joyeux bordel comme on n’en verrait jamais en France, sous la houlette du designer Naoki Sakaï qui s’était fait connaître dans les années 60 à San Francisco en vendant des par tee-shirts inspirés des tatouages japonais (gagnant un paquet de fric bien qu’encore adolescent). Un peu comme si Patrick Le Quément s’était fait un nom en vendant des casquettes stylées sur la plage ! Vous voyez le genre.
Autour de Sakaï, une poignée de designers et d’ingénieurs un poil barrés, prêts à relever le défi imposé par Nissan : créer des véhicules tendances, au design néo-rétro, et en série limitée, histoire de humer les tendances (et de créer, sciemment ou non, de futurs collectors). Mais derrière le côté fun de l’histoire, se cache aussi une volonté plus mercantile : Nissan perd des parts de marché, particulièrement auprès d’une clientèle jeune. La Pike Factory sera aussi un moyen de reconquérir le cœur des jeunes japonais avec des modèles bien dans la tendance « nostalgic-modern » en vogue dans l’archipel à l’époque. Dans l’équipe on trouve aussi Yoshiro Kobata, qui créera plus tard son propre studio de design, et qui peut-être considéré comme le vrai designer de l’équipe !
La Pike Factory est lancée en 1984, et commence à plancher sur 3 modèles (un quatrième viendra plus tard, nous le verrons) et en 1985, le premier du trio est présenté au Salon de Tokyo : il s’agit de la B1 (nom du projet), qui verra ensuite son nom devenir Be-1. Cette année 1985 marque bien la volonté de Nissan de revenir au centre du jeu, avec un paquet de concept-cars (je vous laisse juge : Les concept-cars Nissan du Salon de Tokyo 1985).
Un concept dérivé de la Be-1 présenté à Tokyo en 1987Devant l’accueil chaleureux du public, il est décidé de lancé une série limitée à 10 000 exemplaires. Dès 1986, le sous-traitant de Nissan spécialiste des petites séries, Takada-Kyogo, se prépare à la production (il produira toutes les voitures de la Pike Factory pour le compte de Nissan), et en janvier 1987, la voiture est mise en vente et sera produite jusqu’en mars 1988, après l’écoulement des exemplaires prévus. Ce premier succès incite Nissan à poursuivre l’aventure.
La Pao en situation « manga »Au salon de Tokyo d’octobre 1987, deux nouvelles « Pike cars », comme on les appelle désormais, sont présentées : la Pao, et la S-Cargo ! Deux voitures qui elles-aussi rentreront en production. La Pao pousse encore un peu plus loin le néo-retro que la Be-1, en proposant un patchwork fortement inspiré des voitures européennes des années 50/60, et particulièrement la 2CV (à laquelle elle est souvent comparée), la Renault 4 ou la Fiat 500. Le tout donne un résultat étonnant, toujours sur base Nissan March (Micra).
La méthode de commercialisation de la Pao sera étonnante : en janvier 1989, les commandes sont ouvertes pour 3 mois seulement, pas un jour de plus, et au total, 51 657 bons de commandes arrivent chez Nissan, qui lance alors la production du nombre exact de modèles. La production durera jusqu’en 1991. Pour beaucoup, elle est une des réussite de la Pike Factory, poussant le concept plus loin que la Be-1. C’est aussi la plus vendue des Pike cars ! Un must-have pour tout collectionneur BR un brin japonisant !
Présentée en même temps que la Pao, la S-Cargo est d’un tout autre genre, puisqu’il s’agit d’une sorte de petit utilitaire inspiré de très loin par la 2CV Fourgonnette… L’influence française est bien présente à la Pike Factory, au point de faire un petit jeu de mot phonétique accessible uniquement aux francophones (je vous explique ou vous avez compris?). La S-Cargo sera produite à 8000 exemplaires en même temps que la Pao entre 1989 et 1991.
1991 ? Nous y voilà, avec la plus connue sans doute des Pike cars, bien que moins diffusée que la Pao : la Figaro, dernière d’un trio initial devenu quatuor avec ce dernier opus (lire aussi : Nissan Figaro). C’est sans doute son statut de cabriolet, le fait qu’elle soit la dernière des Pike cars, que le guitariste Eric Clapton en possédât un exemplaire, et qu’on en croise quelques-unes en France (et beaucoup plus en Grande Bretagne) qui expliquent sa célébrité supérieure (en Europe).
Le concept Figaro initialLà encore, l’influence française se fait sentir. On aura tout dit sur les voitures inspiratrices de la Figaro, mais il semble évident que c’est du côté de Panhard qu’il faut chercher la matrice : la Dyna Junior (lire aussi : Panhard Dyna Junior) semble être la vraie sœur de la Figaro (doit-on y voir une référence à Mozart, ou au célèbre quotidien français ? Mystère). Je vous laisse juge de mon intuition.
Une influence très française, n’est-il pas ?La Figaro clôturera donc les productions de la Pike Factory, qui s’arrête la même année, en 1991. Car en 1989, Nissan s’est aussi amusé à produire de drôles de voitures via sa filiale Autech, espérant s’imposer dans un autre registre : la haute couture italienne alliée à la technologie japonaise. Après le relatif succès de la Stelvio, et celui, beaucoup plus flagrant de la Gavia (lire aussi : Autech Stelvio), l’heure n’est plus à l’éparpillement : les années 90 seront plus difficiles pour Nissan qui décide de se recentrer sur sa marque phare, évitant de s’éparpiller. En 1999, Nissan devra pourtant se résoudre à s’allier avec Renault (ce qui sauvera la marque) et à réunir ses innombrables réseaux de distribution (près d’une dizaine) en seulement 2 : Nissan Blue Stage et Nissan Red Stage.
Attention, les Pike cars ne sont pas des Kei cars, puisque basée sur la Micra ou sur la Sunny (S-Cargo). Au total donc, près de 90 000 Pike cars seront produites entre 1987 et 1991. Pas si mal pour un projet un peu fou et totalement décalé. On trouvera d’ailleurs des initiatives semblables chez Suzuki (le Cappuccino, lire aussi : Suzuki Cappuccino), Honda (la Beat, lire aussi : Honda Beat) ou plus tard la marque WiLL lancée par Toyota (dont l’histoire comptée par mon ami Eric sur The Automobilist vaut le détour : histoire de la marque WiLL).