La discrète ascension de Peugeot au Kazakhstan
Parfois, les idées d’articles peuvent surgir de nul part. Lundi dernier, je passais l’après-midi en famille chez mon oncle, près de Sancerre : l’occasion pour moi de voir ma cousine qui ne vient qu’une fois par an en France. Elle habite au Kazakhstan, à Almaty, qui n’est pas la capitale, mais le cœur économique d’un pays riche en minerais, et surtout en pétrole (3 % des réserves mondiales). Un certain nombre d’industriels occidentaux y sont installés comme Areva (ce qui explique la présence de ma cousine là-bas), Samsung (qui y dispose d’une grosse usine), des compagnies pétrolières évidemment et… Peugeot !
C’est donc en Berry, autour d’un verre de Schweppes Agrumes, que je découvre que j’avais laissé passer l’information. Ma cousine m’assure : il y a bien une usine Peugeot au Kazakhstan, et surtout, la police locale roule avec des voitures frappées du Lion. Elle n’en sait pas plus, mais cela titille ma curiosité. Vérifications faites, elle avait raison. Et je ne peux résister à l’idée de vous raconter cette histoire récente, mais intéressante.
On pourrait trouver que la production de véhicules Peugeot au Kazakhstan n’est pas vraiment stratégique. Pourtant, moi j’y vois un joli petit coup, à pas cher, qui permet de poser ses pions discrètement dans une région intéressante. Il va sans dire que l’Etat Français, qui ne ménage pas ses efforts pour entretenir de bonnes relations avec un régime pourtant discutable (avec le président Nazarbaïev, on est pas loin de la dictature), a mis tout son entregent pour faciliter l’implantation de Peugeot (Laurent Fabius y allant de son petit coup de pouce).
Inauguration de la Blue Box d’Almaty en septembre 2013Si pour l’instant le marché kazakh est encore limité, il offre un potentiel intéressant dans un pays de près de 18 millions d’habitants. Il est déjà passé de 45 000 immatriculations en 2011 à plus de 200 000 en 2015. Le développement pétrolier du pays laisse entrevoir une possibilité de 300 000 immatriculations à moyen terme (2017) et sans doute bien plus encore. En outre, sa situation stratégique au cœur de l’Asie centrale rend le Kazakhstan particulièrement attirant : au Nord, la Russie où Peugeot est déjà implanté avec une usine à Kalouga, au sud de Moscou (en partenariat avec Mitsubishi), à l’Est la Chine, et au Sud, tout un tas de pays qui pourraient devenir intéressants à terme : Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan… Pour Peugeot, l’installation au Kazakhstan est tout d’abord prévue pour le marché locale, mais la marque ne cache pas son intérêt pour l’exportation vers la Russie, l’Ukraine, la Moldavie, et peut-être ailleurs encore, profitant d’un coût du travail relativement faible.
Mais revenons quelques années en arrière. Pas si loin d’ailleurs, puisque nous voilà le 7 mars 2013. C’est ce jour là que Peugeot signe un premier accord avec AllurGroup, une société kazakh dont les usines produisent des Ssangyong depuis 2010. Cet accord prévoit la production en CKD dans l’usine de Kostanay – au nord du pays – de plusieurs types de véhicules français : 301, 3008, 508, et Partner. Dans la foulée, une filiale commerciale est créée pour distribuer les véhicules français. La production commence dès juin 2014, avec des objectifs de 2000 exemplaires en année pleine, pour commencer.
La 20 000ème Peugeot 301 sort des chaînes fin 2015Le 26 septembre 2013, une « Blue Box » (une concession « moderne » à l’européenne) est inaugurée en grande pompe à Almaty, complétant un réseau de 3 autres concessions (Astana, Karaganda et bien sûr Kostanay)… La conquête du Kazakhstan est vraiment lancée ! Même si AllurGroup ne chôme pas, et continue de produire des Ssangyong Nomad et des Toyota Fortuner. En 2013, la production totale (Peugeot comprises, se monte à 7030 exemplaires). En 2014, elle monte à 8500 exemplaires, mais AllurGroup s’est aussi lancé dans la production de Geely et de Hyundai. Peugeot, de son côté, importe aussi de Russie la Peugeot 408 histoire d’offrir une gamme complète (301/408/508 pour les berlines, 3008 pour les monospaces, et Partner pour les utilitaires).
La Police d’Astana prend livraison de 42 Peugeot 301 en juin 2014Cependant, l’Etat Kazakh lance un signal fort à ses « alliés » français : 42 Peugeot 301 à moteur 1.6 115 ch sont livrées à la Police d’Astana. C’est une petite commande, mais plutôt symbolique, et qui laisse présager mieux. Car fin 2014, un nouvel accord est signé entre Peugeot et AllurGroup. Fort d’une première réussite commerciale (la 301 est la voiture la plus vendue en 2015 au Kazakhstan, et le Partner est élu « mini-van » de l’année 2015), les deux partenaires décident de passer à la vitesse supérieur. A partir de septembre 2016, la 301 sera entièrement produite à Kostanay, et non plus en CKD. Les ambitions sont revues à la hausse : après avoir atteint la 20 000ème 301 produite au Kazakhstan fin 2015, l’usine de Kostanay vise 12 000 voitures produites en 2017, pour des capacités de 17 000 exemplaires.
C’est donc dans à peine un mois que la première 301 produite entièrement au Kazakhstan sortira des chaînes de Kostanay. Et Peugeot pour une fois a pris position au bon moment avec semble-t-il le bon produit, puisque la 301 semble séduire les Kazakh ! On peut trouver que traiter avec le Kazakhstan, qui n’est pas un modèle de démocratie, n’est pas très moral, mais après la rupture puis la lente reconstruction en Iran, Peugeot semble bien décidée à ne pas commettre deux fois la même erreur. Et pour une fois, la marque au lion a une longueur d’avance sur ses concurrents. Reste à voir comment le marché Kazakh mais aussi Russe évolueront : si ces marchés explosent à terme, on pourra parler d’un pari réussi !
Images : Usine Nouvelle, Motor.kz, Peugeot.kz, AllurGroup.kz