La Cibi : réseau social de la route
“Appel général de Patrick54, sur le grand ruban, un barbecue aperçu au kilomètre 221, et 3 sauterelles prêtes à arrêter les mille-pattes, QRT”. Voilà le type de message que l’on peut encore entendre sur la Citizen’s band, alias Cibi, la bande du citoyen. La bande du 27 Mhz, abandonnée en 1947 par les autorités américaines car considérée comme peu fiable et instable, devient ainsi une zone d’espace de communication des citoyens en général, puis, avec la miniaturisation apportée par le transistor dans les années 50 et la généralisation des limitations de vitesse au début des années 70, un moyen de communication mobile particulièrement prisé des routiers. La Cibi est en quelque sorte le réseau social de la route, avec sa culture, ses codes, son vocabulaire.
Dans les années 80, installé sur la banquette arrière, j’observais la route au travers des vitres. On y voyait les routiers, une main sur le volant, une autre tenant le micro, sans doute en grande conversation avec les copains, pour alerter de la présence de Papa 22 (police ou gendarmerie), s’échanger les bons plans (restaurants, hôtels), s’assurer l’aide d’un radioguideur (un bénévole prêt à aider les routiers perdus grâce à ses cartes d’état-major – c’était avant l’arrivée du GPS) ou bien tout simplement pour passer le temps. On voyait aussi parfois une push-pull (voiture) dotée d’une immense antenne car la bande du 27 Mhz était ouverte à tous.
Ce sont les chauffeurs routiers qui s’emparent, dès les années 70, de la Cibi pour en faire un réseau social avant l’heure.Un monde à part
La Cibi “mobile” s’est développée en France à partir du milieu des années 70. Avec les premières limitations de vitesse généralisées annoncées en mars 1974, et le développement des contrôles de vitesse mobiles, la Cibi devient un outil d’alerte, sorte de Waze archaïque ou chacun s’informe tant de la propreté du petit ou du grand ruban (route nationale ou autoroute), des contrôles pipette (contrôle d’alcoolémie), des accidents comme des bouchons, des papillons au bord de la route (auto-stoppeuses) ou tout simplement des nouvelles de la famille. Car le monde des cibistes est alors une vraie petite communauté, où chacun se connaît sous pseudo, mais où les liens d’amitié se créent.
Il n’est pas rare aussi, à l’époque, qu’un QRPP (petit garçon) ou QRPPète (petite fille) vienne se mêler aux conversations avec le talkie-walkie reçu à Noël. Un monde à part, niché au coeur des ondes, avec ses propres règles, mais qui va finir par décliner au milieu des années 80.
L’apparition des radars sur les bords des routes (surnommés barbecues, où boîtes à image) sera pour beaucoup dans le développement de la Cibi.Le déclin inévitable
Le succès de la Cibi sera aussi sa perte : les ondes deviennent rapidement très encombrées, il devient de plus en plus difficile d’y faire régner un semblant d’ordre malgré la création d’une fédération (la Fédération Française de la Citizen Band Libre, ou FFCBL). En outre, les forces de l’ordre se mettent à serrer la vis face au phénomène.
Grâce à la Cibi, on s’avertissait de la présence des « papas 22 » sur le « grand ruban ».Si la Cibi décline, elle reste encore durant les années 90 un outil bien utile pour une grande part des routiers. Mais il s’agit d’un crépuscule : entre la radio 107.7 qui informe sur l’état du réseau autoroutier, puis l’apparition des GPS, la Cibi a pris un gros coup sur la tête. Les “détecteurs de radar” puis les applications (Coyote ou Waze), ont définitivement enterré un outil devenu obsolète. Certes, il reste des amateurs, mais la Cibi a perdu son côté utilitaire pour redevenir un loisir (forcément moins populaire).
La Cibi continue d’exister donc, mais ne garde plus que quelques adeptes qui préfèrent les ondes pour sortir de l’isolement, discuter ou faire des rencontres. L’explosion des réseaux sociaux et leur facilité d’utilisation (sur smartphone) ont encore un peu plus entraîné la Cibi dans l’ombre.
Liens :
Le site de Dundee33, cibiste convaincu
la Fédération Française de la Citizen Band Libre FFCBL