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Jaguar XJ220 : supercar à l'anglaise

Par PAUL CLÉMENT-COLLIN - 05/02/2018

Il aura fallu une suite d’événements indépendants les uns des autres pour qu’aboutisse le projet d’une supercar britannique au style démentiel, la Jaguar XJ220 : la passion d’un petit groupe d’ingénieurs, la victoire de la marque anglaise aux 24 heures du Mans, le succès public d’un concept car, le rachat par Ford et la présence d’un partenaire ambitieux, Tom Walkinshaw, autant de facteurs qui permettront à la XJ220 d’épater les amateurs d’automobiles au début des années 90, tout en faisant perdre beaucoup d’argent à la vénérable marque d’Outre-Manche.

Les premiers dessins de la future XJ220

Au milieu des années 80, il existait en périphérie de Jaguar un drôle de club, le « Saturday Club ». En son sein, des designers et ingénieurs passionnés, tous salariés de la marque, qui se réunissaient le samedi (comme son nom l’indique) pour discuter et plancher sur les projets automobiles les plus fous. Forcément, les discussions allaient emmener ce petit groupe de fadas vers le rêve d’une supercar siglée du félin. Le rêve de ces doux-dingues ? Qu’une Jaguar de route atteigne les 220 mph, soit environ 350 km/h. L’objectif avoué allait donner son nom au projet, XJ220.

Un poster du concept XJ220, au goût douteux

Avec l’ingénieur en chef Jim Randle à la baguette, la petite équipe allait travailler d’arrache-pied sur le projet, en dehors de toute hiérarchie, et sans autorisation formelle. Les bases du projets sont jetées avec dans la ligne de mire une certaine Porsche 959, symbole de la supercar moderne et technologique. Au cahier des charges de la XJ220, un moteur V12 atmosphérique, et une transmission intégrale. En décembre 1987, les travaux ont bien avancé, et Randle a réalisé une maquette à l’échelle ¼.

Le concept XJ220 de 1988, à moteur V12 et transmission intégrale

Intéressée par les travaux du « Saturday Morning Club », la direction de Jaguar va offrir au petit groupe la possibilité de plancher de façon un peu plus officielle sur cette « supercar ». Rien n’était encore décidé, mais le projet était alors suffisamment crédible pour lui donner une petite chance. Alors que l’équipe travaille sur un possible « concept-car », la victoire de Jaguar aux 24 heures du Mans (une première depuis les années 50) rendait l’hypothétique XJ220 un peu plus plausible. Le travail allait alors s’accélérer, avec comme objectif le salon de Birmingham d’octobre 1988.

Une semaine avant le salon, la présence du concept-car XJ220 n’était encore pas confirmée. Dessinée par Keith Helfet, la première XJ220 était impressionnante. Carrosserie-châssis en aluminium et intérieurs étaient réalisés par Park Sheet Metal, spécialiste du prototypage automobile. La transmission intégrale fut mise au point avec l’aide de Tony Rolt (qui travailla en son temps sur la transmission intégrale de la Jensen FF, lire aussi : Jensen Interceptor) et de sa société FF Developments. A l’arrière, sous une verrière, trônait le V12 Jaguar 6.2 litres et 500 chevaux. Grâce à l’investissement de ses partenaires, Randle avait réussi à produire un concept-car fantastique pour un coût défiant toute concurrence.

Le résultat fut si impressionnant que la direction valida aussitôt la participation du concept XJ220 au British International Motor Show de Birmingham. Pourtant, tout n’était pas terminé encore, et la voiture ne serait définitivement finie qu’à 3 heures du matin le 18 octobre, jour d’ouverture du salon. Elle n’arrivera à Birmingham qu’à 6h, pour être révélée à 11h le matin même. Le superbe concept, exposé au milieu du stand, sera l’attraction du salon, ravissant tant les visiteurs lambda que les acheteurs potentiels, en pleine folie des supercars et de la spéculation s’y rapportant. Devant un tel succès, la tentation était grande de lancer l’étape suivante, la mise en production. Il faudra pourtant patienter plus d’un an avant l’annonce officielle.

l’un des deux prototypes de 1990

Entre temps, durant l’année 1988, une filiale commune avec la société TWR de Tom Walkinshaw, JaguarSport, avait été créée (lire aussi : JaguarSport XJR). Cette structure devait à l’origine s’occuper des déclinaisons sportives de Jaguar de série, la XJR en tête, mais elle deviendra la pierre angulaire du projet XJ220. Le 1er novembre 1989, Ford arrachait enfin l’accord pour le rachat de Jaguar. Malgré l’intérêt financier de l’affaire, cette acquisition heurtait la majorité des anglais, voyant d’un très mauvais œil le passage d’un fleuron de leur industrie automobile en des mains étrangères. Ford possédait déjà Aston Martin depuis la fin 1987, mais dans le cas de Jaguar, il s’agissait d’une plus grosse prise.

un des 10 exemplaires de pré-production, et son moteur V6 issu de la Metro 6R4

Consciente de l’aspect politique d’une telle opération, la direction de Ford décida d’envoyer un message fort à l’opinion publique. Alors que le rachat n’était pas encore ficelé, on décida donc d’annoncer, en décembre 1989, la production en série de la fameuse XJ220. L’aspect financier devenait accessoire : la supercar anglaise devenait un symbole ! Pour la produire, on décida donc de s’appuyer sur JaguarSport et TWR, qui lançait alors la construction d’une usine flambant neuve à Bloxham. Une filiale de JaguarSport, Project XJ220 Ltd, fut créée pour l’occasion, en charge du développement et de la production de la voiture. Les commandes furent alors ouvertes, pour un prix catalogue de 290 000 £ hors taxes. Près de 1400 bons de commandes arrivèrent au siège de Jaguar.

la version définitive, présentée en 1991 à Tokyo, et produite à partir de 1992

Si le concept-car avait frappé les esprits, il n’en était pas moins difficile à produire en l’état. Transmission intégrale et V12 rendait la voiture extrêmement lourde, et incapable d’atteindre les fameux 220 mph. Il fallait donc revoir la copie. Stylistiquement, la voiture fut légèrement rétrécie. Mais c’est surtout techniquement que tout allait changer. Tout d’abord, il fut décidé de se passer de la lourde transmission intégrale pour redevenir simple propulsion. Mais cela ne suffisait pas : restait le poids du V12 et sa puissance relativement « modeste » de 500 chevaux (toute proportion gardée). Il fut décidé d’abandonner ce noble moteur pour revenir à un moteur plus léger et plus puissant, en justifiant ce choix par une habile pirouette : le V12 ne passerait pas les futures restrictions en terme d’émissions sans de coûteuses modifications.

En réalité, les choses furent plus complexes que la version officielle. Certes, le V12 était trop lourd et il fallut s’orienter vers un moteur plus léger, mais ce changement de cap rendait au moins un membre du projet heureux : Tom Walkinshaw. Ce fut lui qui milita le plus en faveur d’un V6 en particulier : celui de la MG Metro 6R4 (lire aussi : MG Metro 6R4). Et pourquoi donc me direz-vous ? Tout bêtement parce qu’il en avait racheté les droits à Rover peu de temps aupravant. C’était donc son propre moteur qu’on allait finalement retrouver dans les entrailles de la XJ220. Pas bête… Cela dit le choix n’était pas idiot : non content d’être plus léger que le V12 (normal), le V6 « V64V » était aussi très compact, permettant de raccourcir la XJ220 (contribuant encore à abaisser son poids).

Il fallut pourtant de nombreuses modifications pour transformer V6 Rover en un V6 Jaguar (nom de code JV6), sous l’égide d’Allan Scott, mais aussi de Mike Moreton. La production de ce moteur était assurée par TWR Powertrain. Au final, le V6 cubait 3.5 litres, s’offrait deux turbos, et délivrait une puissance de 549 chevaux. Deux premiers prototypes furent réalisés pendant l’année 1990, puis une dizaine d’exemplaires de pré-série entre 1990 et 1991. La voiture finale sera présentée en 1991 au Salon de Tokyo, tandis qu’en fin d’année 1991, l’usine de Bloxham était inaugurée.

Entre temps cependant, les choses avaient changé. Malgré des objectifs limités à 350 exemplaires, Jaguar devait se rendre à l’évidence : le passage au V6 et la hausse considérable du tarif rendaient l’opération beaucoup plus aléatoire que prévu. De nombreux clients potentiels avaient déjà jeté l’éponge, menaçant Jaguar de passer en justice à cause des trop grandes modifications du projet. En outre, le marché des supercars s’était écroulé, faisant fuir les spéculateurs et enlevant à la XJ220 son potentiel « d’investissement ». Sans compter la concurrence interne de la XJR15, lancée en 1990 et dotée, elle, du V12 (lire aussi : Jaguar XJR15). Bref, les choses s’annonçaient plus compliquées que prévues.

Le prix avait notamment explosé : avec sa structure ASVT (Aluminium Structure Vehicle Technology) en nid d’abeille d’aluminium, son moteur lourdement retravaillé, ses 3000 pièces spécifiques, sa carrosserie en aluminium et matériaux composites (afin de contenir le poids à 1460 kg), la XJ220 devenait un engin coûteux, à 400 000 £ environ l’unité (soit plus de 100 000 £ que prévu). Malgré cela, la production commençait en 1992. Entre 275 et 277 exemplaires (selon les sources) sortiront des chaînes de Bloxham jusqu’en 1994, toutes versions confondues. Cependant, toutes les voitures produites ne furent pas vendues tout de suite… Longtemps, des XJ220 furent remisées, ne trouvant preneur qu’en 1997 pour certaines.

En 1993, 3 XJ220 furent modifiées par TWR, devenant alors XJ220-C, pour pouvoir participer aux 24 heures du Mans. Celle pilotée par David Coulthard remportait l’épreuve dans la catégorie GT mais fut ensuite déclassée pour ne pas avoir utilisé de catalyseur comme l’exigeait le règlement. Autre déconvenue, la XJ220 n’atteindra jamais son objectif de 220 mph, échouant à 213 mph avec catalyseur, et 217 mph sans catalyseur, même si elle restait la voiture la plus rapide de son époque (le record ne sera battu qu’en 1998 par une autre anglaise, la McLaren F1, lire aussi : McLaren F1).

La XJ220S, version routière de la XJ220-C et ses 700 chevaux

En 1994, les XJ220-C donnèrent naissance à une série de 6 exemplaires de XJ220S, des versions homologuées pour la route mais à la puissance revue à 700 chevaux, une aérodynamique typée course, et un intérieur en kevlar dépourvu du superflu ! Enfin, en 1995, le Sultan de Brunei et son frère commandèrent deux exemplaires revisités – maladroitement – par Pininfarina, juste pour le plaisir d’avoir des XJ220 spécifiques malgré un look bien moins réussi.

le design particulier de la version Pininfarina commandée à 2 exemplaires par le Sultan de Brunei

Aujourd’hui, une XJ220 est hors de portée d’une bourse ordinaire, mais elle procure à chaque fois un plaisir intense : étonnement moderne, toujours dans le coup, elle est aussi le symbole de cette époque étonnante où chacun, Ferrari, Porsche, Bugatti ou McLaren tentait de s’adjuger le titre officieux de meilleure voiture du monde. Après l’aventure, l’usine de Bloxham sera reprise par Ford pour y produire un autre modèle emblématique des années 90, l’Aston Martin DB7 (lire aussi : Aston Martin DB7 partie 1 et partie 2).

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