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Hommage à Bruno Sacco

Nicolas Fourny - 4 oct. 2024

« À deux cents mètres, n’importe quel béotien identifie spontanément une voiture dessinée par Sacco comme une Mercedes »

Quelques semaines avant son quatre-vingt-onzième anniversaire, Bruno Sacco est mort – et à présent, un peu partout dans le monde, des collectionneurs célèbrent la mémoire du designer disparu. C’est à Sindelfingen, ville ô combien emblématique pour Mercedes-Benz, que celui qui dirigea le style de la firme de 1975 à 1999 a rendu son dernier souffle, exactement vingt-cinq ans après avoir quitté ses fonctions. Méconnu du grand public comme la plupart de ses pairs, Bruno Sacco était pourtant l’un des stylistes majeurs du XXe siècle. Si, contrairement à beaucoup d’autres, il n’a jamais travaillé que pour un seul constructeur, son magistère esthétique a très nettement dépassé les frontières stuttgartoises pour influencer bon nombre de ses collègues. Si vous n’êtes pas familier de son œuvre, la rétrospective à laquelle nous vous convions vous expliquera pourquoi…

Il n’avait que les Alpes à franchir

Bruno Sacco est né à Udine, dans la province italienne du Frioul, le 12 novembre 1933. Après avoir fréquenté l’Université Polytechnique de Turin, il n’est âgé que de 25 ans lorsqu’en 1957 il est recruté par Karl Wilfert, alors designer en chef – même si ce terme n’est pas encore usité – de la Daimler-Benz, ce qui n’est pas rien. À peine douze ans après la fin de la guerre, l’auguste maison a d’ores et déjà achevé sa reconstruction et s’inscrit dans ce qu’on appellera par la suite le miracle économique allemand. Comme c’était déjà le cas avant le conflit, de ses usines sortent de nouveau aussi bien des berlines austères et fonctionnelles que des limousines de luxe, d’élégants coupés ou des roadsters confortablement motorisés, sans oublier toute une gamme de véhicules utilitaires allant de la fourgonnette aux poids lourds et aux autocars, sans oublier le valeureux Unimog. Respectée et puissante, la firme à l’étoile a retrouvé son aura, certes endeuillée par la tragédie survenue au Mans en 1955 mais qui, partout dans le monde, est toujours synonyme de conception sérieuse, de progrès technique maîtrisé, de qualité de construction et de durabilité. De fait, il n’existe alors aucun autre constructeur capable de vendre simultanément, et avec un prestige équivalent, des camionnettes ou des autobus, de laborieux taxis à moteur Diesel ou des cabriolets parmi les plus onéreux de la production mondiale.

Le design incarné

Contrairement à beaucoup d’autres marques, Mercedes ne fait en principe jamais appel à des consultants extérieurs pour dessiner ses voitures de série. Tous ses modèles de production – c’est toujours le cas de nos jours – voient le jour sous le crayon de ses propres stylistes ; en Europe, la firme de Stuttgart sera d’ailleurs l’une des premières à disposer d’un véritable département consacré au design intérieur et extérieur. À la tête de cette entité durant deux décennies, Karl Wilfert enrôla, dans la seconde moitié des années 1950, deux stylistes de grand talent et d’origine étrangère : le Français Paul Bracq et l’Italien Bruno Sacco – l’un comme l’autre ont alors moins de trente ans et ne projettent pas, à ce moment-là, d’accomplir toute leur carrière chez Mercedes, à l’instar de la plupart des designers, qui travaillent le plus souvent pour plusieurs constructeurs au fil de leur parcours. Or, si Bracq quitte effectivement l’entreprise dès 1967 – on le retrouvera par la suite chez BMW puis Peugeot –, Sacco demeurera quant à lui fidèle à Mercedes jusqu’à sa retraite, gravissant rapidement les échelons jusqu’à prendre la tête du design maison au mitan des seventies.

Un chef-d’œuvre nommé Classe S

Le bureau d’études de la firme se trouve alors en plein développement de deux projets majeurs, situés aux deux extrémités de sa gamme : celle qu’on va appeler la « petite Mercedes », c’est-à-dire le type W201 plus connu sous le nom de 190 ; et le type W126, destiné à succéder à la S-Klasse apparue à la fin de 1972. C’est celle-ci qui sera présentée la première, lors du Salon de Francfort 1979. Disponible aussi bien en berline (châssis court ou long) qu’en coupé, la série 126 est la préférée de Bruno Sacco et, aux yeux de la plupart des connaisseurs, son chef-d’œuvre. Produite durant treize ans sans grandes modifications esthétiques, cette génération apparaît encore, quarante-cinq ans après sa naissance, comme la plus harmonieuse de toutes les Classe S jamais conçues. Il suffit de la contempler pour saisir l’essence même du style Sacco, avant tout soucieux de l’équilibre des proportions et de l’intemporalité du dessin. Référence absolue des berlines de luxe en son temps, l’auto sera d’ailleurs copiée sans vergogne par Toyota au moment de dessiner la première Lexus LS, au sujet de laquelle Sacco dira perfidement : « C’est une voiture qui peut séduire ceux qui n’ont pas reçu une formation suffisante en matière de goût »… Avec plus de 800 000 unités construites – un volume exceptionnel pour une voiture aussi coûteuse – la W126 détient le record de production des S-Klasse et même de tous les modèles de cette catégorie. Bruno Sacco conservera, jusqu’à la fin de sa vie, un coupé 560 SEC issu de cette série…

Petite Mercedes, grande réussite

À l’automne de 1982, Mercedes-Benz frappe un grand coup en lançant sa nouvelle 190, sa plus petite berline depuis la guerre – il convient toutefois de relativiser ce qualificatif : l’auto présente en fait un gabarit comparable à celui de la plupart des berlines familiales que proposent alors les constructeurs généralistes. Très aboutie techniquement, le type W201 est un pur véhicule de conquête puisqu’il vient élargir le catalogue stuttgartois vers le bas et ne remplace aucun modèle existant. Sa cible toute désignée n’est autre que la BMW Série 3 E30, présentée quelques semaines plus tard et dont les qualités routières vont souffrir de la comparaison avec la Mercedes, pour les versions courantes tout du moins, qui vont remporter un grand succès commercial. Cependant, avec son aérodynamique soignée, sa calandre ramassée mais toujours identifiable, son coffre cintré, sa quasi-absence de chromes, la 190 c’est avant tout un design marquant par sa modernité et qui va profondément influencer le style de la marque pour les quinze ans qui vont suivre – à commencer, évidemment, par la mythique série 124 qui, à partir de 1984, va réinterpréter les préceptes de sa cadette à un autre échelon de la gamme.

Un styliste, trois légendes

Le troisième jalon de l’ère Sacco, c’est bien sûr le roadster SL de la série R129, présenté au Salon de Genève 1989. Prenant la succession de la totémique R107, produite durant dix-huit ans à plus de 230 000 exemplaires, le modèle relève le défi avec brio et réincarne la SL sous la forme d’un cabriolet tout à la fois très contemporain et fondamentalement respectueux de l’identité de la marque : à deux cents mètres, n’importe quel béotien l’identifie spontanément comme une Mercedes – et on peut d’ailleurs en dire autant de toutes les voitures dessinées sous la férule de Sacco. Très avancée sur le plan technique, l’auto offre aussi un éventail inédit de motorisations, allant des paisibles six-cylindres idéaux pour les balades au V12 7,3 litres que l’on retrouvera sous le capot d’une certaine Pagani Zonda… Dix ans plus tard, Bruno Sacco prend sa retraite, laissant un héritage esthétique considérable et un catalogue en bon ordre dont plusieurs modèles, annoncés par le prototype Coupé Studie présenté à Genève en 1993 – on songe aux premiers CLK ou à la E-Klasse W210 – s’inscrivent avec pertinence dans la mouvance du bio-design. Et, même si les successeurs de Sacco n’ont pas démérité, autant le dire, depuis son départ il y a déjà vingt-cinq ans, le style Mercedes se cherche un peu, déçoit parfois, explore des tendances souvent contradictoires et ne parvient pas toujours à convaincre. Que voulez-vous ? Il n’est jamais facile de succéder à un grand maître…





Texte : Nicolas Fourny

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