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Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, le restomod est à la mode et, comme beaucoup d’autres, les constructeurs français s’y sont mis – avec des fortunes diverses, de la Peugeot E-Legend à la toute récente R17 electric restomod x Ora Ïto. En attendant que l’un ou l’autre bureau de design s’occupe du cas de la Talbot Tagora ou de la Facellia (ces gens-là sont capables de tout), voici que DS Automobiles décide de fêter ses dix ans d’existence en rendant hommage à la Citroën SM, via un concept-car aussi intéressant à contempler que contestable dans l’esprit. Car, à leur corps défendant, les dirigeants de l’unique label premium français ont réussi à incarner en ce seul prototype toutes les contradictions d’une marque encore balbutiante et qui, après une décennie, n’est toujours pas parvenue à se construire une identité solide. Il n’est pas sûr que piocher ainsi dans le patrimoine des Chevrons puisse l’y aider…
Pour chaque fruit, un ver
Depuis quelques années déjà, DS Automobiles tente de relier par tous les artifices marketing imaginables sa jeune épopée à deux Citroën de légende : la DS bien sûr qui, pour des motifs éminemment discutables, a été priée de léguer son nom à la nouvelle marque, puis la SM, que son pedigree, ses caractéristiques et son histoire rendent encore plus étrangers aux enjeux contemporains d’une firme qui s’efforce en vain d’écouler des SUV au style convenu et dépourvus de toute innovation marquante sur un marché déjà saturé d’offres comparables. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas, ici, de condamner par principe la volonté de l’ex-groupe PSA de se lancer dans le « premium » – il y a dix ans, c’était même une ambition tout à fait légitime et, a priori, réconfortante pour les amateurs qui se désespéraient de l’absence prolongée de réponse française aux spécialistes allemands. Malheureusement, en l’espèce il y a loin de la coupe aux lèvres, surtout lorsque l’on commet des erreurs stratégiques majeures, qui ne pardonnent pas sur des segments de marché aussi difficiles à conquérir. En premier lieu, le nom de la marque lui-même relève de l’un des concepts les plus fumeux jamais conçus par les têtes pensantes du groupe français, qui semblent avoir oublié que la DS de 1955 était une automobile authentiquement révolutionnaire pour les raisons que chacun connaît : son design, sa suspension hydropneumatique et ses qualités routières. Il y a déjà longtemps que le modèle est entré dans la légende de l’automobile et c’est la raison pour laquelle recycler ce nom mythique pour nommer tout d’abord une division de Citroën chargée d’aller s’attaquer à Audi, BMW et consorts, puis une marque indépendante, le tout donnant naissance à des voitures sans grand relief – à l’exception peut-être de la DS 5 – et ne présentant pas d’innovation particulière n’avait absolument aucun sens. Au vrai, la démarche ne pouvait qu’échouer à tous égards : les bons connaisseurs de l’histoire de Citroën n’allaient évidemment pas se laisser prendre à une récupération aussi grossière, tandis que la clientèle-cible, qui est avant tout sensible à des enjeux de promotion sociale, est en général dépourvue de toute culture automobile, rendant d’autant plus difficile l’évocation patrimoniale suggérée par un blason censé signifier « Different Spirit » (il est inutile de rigoler) …
Anatomie d’un suicide industriel
Et puis, bien sûr, il y a l’absence récurrente de moyens en comparaison des ambitions affichées – tare typiquement française qui a engendré bon nombre de ratages depuis les années 1970. Dix ans après leur séparation, c’est peu dire que le bilan n’est pas fameux, aussi bien pour DS Automobiles que pour Citroën. Les chiffres sont cruels : en 2013, juste avant que les modèles badgés « DS » soient séparés de la marque, Citroën à lui seul avait réussi à écouler plus d’1,2 million de voitures dans le monde. En 2023, le total Citroën + DS Automobiles dépassait de peu les 600 000 unités… L’échec est d’autant plus cuisant qu’il fait, si l’on ose écrire, d’une pierre deux coups fatals : non seulement les dirigeants du groupe ne sont pas parvenus à imposer leur marque premium face à des concurrents solidement établis (DS n’a vendu qu’un peu plus de 56 000 voitures en 2023, soit l’équivalent de moins de deux semaines d’activité pour Audi sur la même période) mais, par ricochet, l’opération a également eu pour effet de saccager l’image de Citroën en privant la firme aux chevrons de sa légitimité en haut de gamme. Les responsables de Stellantis ignorent manifestement que Citroën a été la seule marque française qui ait réussi à écouler correctement ses grandes berlines (DS puis CX) à l’exportation, contrairement à Peugeot et Renault ! Stratégie calamiteuse dont on assiste en ce moment même à la concrétisation ultime, par le lancement de sous-produits tels que les nouvelles et consternantes C3 et C3 Aircross, conçues à l’économie sous la férule incompétente de décideurs qui n’ont manifestement rien compris à l’identité de Citroën, dorénavant prié de rivaliser avec Dacia pendant que, de son côté, DS Automobiles s’épuise à gravir la face nord de son Everest commercial en tongs et en pyjama.
Citroën se meurt, DS Automobiles n’existe pas
Quelle que soit la qualité de sa réalisation formelle – même si l’on peut se demander si les hommages à la Renault Fuego, elle aussi dessinée sous la supervision de Robert Opron, sont volontaires –, la SM Tribute apparaît donc comme l’enfant non désiré d’un dépeçage identitaire. Le fait est : en la découvrant, on ne songe pas un seul instant à DS Automobiles – marque sans identité et dont on s’efforce désespérément de reconstituer de toutes pièces un passé inexistant en plagiant sans vergogne le génie dont, il y a un demi-siècle, feu le bureau d’études Citroën était encore capable. Tout comme la DS (la vraie), la SM est à tout jamais une Citroën, et aucune des galéjades de Stellantis n’y changera quoi que ce soit. Cas d’école : il faut le reconnaître, le mobilier de bord de la SM Tribute est extrêmement réussi : il évoque très intelligemment le design de la planche de bord de la SM originelle et le modernise avec goût. Jusqu’au moment où l’on découvre, au centre d’un volant qui fait immédiatement penser à l’Hypersquare récemment dévoilé par Peugeot, un logo « DS » autant à sa place qu’un comédon sur le front de Scarlett Johansson. Il suffit de lire le communiqué de presse officiel diffusé par Stellantis pour le constater : les contorsions sémantiques auxquelles la communication de DS Automobiles est contrainte de se livrer pour parler sans cesse d’héritage tout en bannissant, de façon obsessionnelle, toute référence à Citroën en deviennent presque burlesques…
Avec les compliments de Damoclès
En vérité, il faut reconnaître que les dirigeants actuels de DS Automobiles se retrouvent très inconfortablement assis entre deux chaises, littéralement piégés par l’inconséquence de leurs prédécesseurs. Je ne voudrais vraiment pas être à leur place : comment faire pour affermir l’identité d’une marque au douloureux noviciat, dont le nom a été emprunté à l’un des plus fameux modèles d’une firme déjà plus que centenaire, et à laquelle il ne faut jamais faire allusion, sous peine de diluer encore davantage une image déjà dramatiquement floue ? Et le temps presse : rappelons que le granitique Carlos Tavares a donné dix ans à chacune des marques de Stellantis pour faire ses preuves, faute de quoi une disparition pure et simple serait envisagée… Obsédés par la rentabilité, les dirigeants du groupe sont-ils réellement prêts à donner simultanément à Maserati, Alfa Romeo, Lancia et DS Automobiles – qui sont toutes soit en danger de mort, soit en train de ressusciter – les moyens de leur développement ? N’y aurait-il pas un label en trop dans cette profusion de marques premium ou de luxe ? Et, s’il fallait un jour sacrifier l’une d’entre elles, le board du groupe hésiterait-il longtemps ? La réponse est contenue dans la question… Mais le cadavre bouge encore : ces derniers jours, Olivier François, CEO de DS Automobiles, a révélé que la marque envisageait sérieusement de commercialiser, dans les années qui viennent, une nouvelle berline électrique très inspirée de la DS de 1955. À ce sujet, on se souvient peut-être des pathétiques rappels de clignotants implantés en haut de la lunette arrière de la malheureuse DS 9, censés adresser un clin d’œil à l’ancêtre. Consolons-nous en nous disant que, quoi qu’il arrive, les concepteurs de ce futur avatar ne pourront que faire mieux…
Texte : Nicolas Fourny