Citroën CX Reflex et Athéna : un mariage de raison
Il fut une époque où l’on choisissait une Citroën comme on entrait en religion et ç’a singulièrement été le cas de la CX, grande routière résolument atypique et qui imposait à sa clientèle — pardon, à ses disciples — des sensations de conduite, des précautions d’usage et des coutumes fonctionnelles invariablement déroutantes pour qui venait de chez Volvo, Ford ou Peugeot. La direction, la suspension, les freins et l’ergonomie générale imposaient ainsi une acclimatation qui n’était pas forcément évidente pour tous, tandis que, dans le même esprit, le vocabulaire esthétique retenu par les concepteurs de l’auto tournait délibérément le dos au classicisme. Il en résultait un engin dont les qualités routières et le confort dominaient tant la concurrence qu’ils permettaient, jusqu’à un certain point, de passer sous silence les archaïsmes d’un moteur sénescent avant même la naissance du modèle. Jusqu’à ce que, bénéficiant des synergies industrielles mises en place entre PSA et Renault, le Quai de Javel se décide enfin à moderniser une entrée de gamme dont la désuétude mécanique devenait chaque jour moins acceptable. C’est ainsi que, dès l’année-modèle 1980, l’œuvre du motoriste Jean-Jacques His se retrouva sous le capot des CX Reflex et Athéna !
La vieillesse est un naufrage
C’est bien connu, André Lefebvre méprisait cordialement les moteurs, qu’il avait affublés d’un très vil sobriquet. Aux yeux de l’ingénieur qui pilota la conception de la Traction, de la 2 CV puis de la DS, ce n’étaient que de vulgaires tournebroches — comprenez par là des composants strictement prosaïques et dont il ne fallait attendre aucune noblesse particulière. Pour faire avancer ses voitures, Lefebvre, venu de l’aéronautique, comptait bien davantage sur leurs qualités aérodynamiques et sur leur légèreté ; moyennant quoi, ainsi que l’Auto-Journal le fit remarquer en 1972 lors d’un mémorable banc d’essai de la DS 23, les moteurs de la grande Citroën eurent toujours un bon métro de retard par rapport au reste de la voiture et c’était toujours vrai deux ans plus tard, lorsque la CX 2000 fit son apparition. Derrière cette nomenclature qui, depuis notre XXIe siècle déjà bien avancé, semblait user d’un langage au futurisme candide, se dissimulait un groupe mototracteur qui, pour sa part, faisait davantage penser à Tanguy et Laverdure qu’à Star Wars.
Présenté pour la première fois en 1965 sur la DS 20, ce quatre-cylindres de 1985 cm3 à arbre à cames latéral n’avait déjà rien de spécifiquement novateur à l’époque ; une décennie plus tard, la situation ne s’était pas arrangée et il pouvait sembler déroutant de lancer à cor et à cri une berline à l’avant-gardisme aussi bruyamment revendiqué pour la doter d’un moteur à la conception périmée. À la vérité, tout comme ç’avait été le cas pour la DS vingt ans auparavant, il avait été envisagé pour la CX des solutions autrement plus novatrices, à commencer par le Wankel entr’aperçu dans la GS Birotor puis assassiné par la crise pétrolière, ainsi qu’un flat-four que l’on peut contempler sous le capot du prototype « L », visible de nos jours au Conservatoire Citroën d’Aulnay-sous-Bois. La dégradation des finances de la firme — qui conduisit à sa prise de contrôle par Peugeot — aura indéniablement joué un rôle essentiel dans les renoncements successifs des responsables du projet et, de la sorte, les CX « premier prix » durent se contenter, cinq longues années durant, du ronflement volontiers catarrheux d’un groupe furieusement allergique aux hauts régimes et qui, lorsqu’on le poussait dans ses retranchements, manifestait sa désapprobation par des râles comparables à ceux d’un orgue désaccordé !
Les vertus du pragmatisme
En ce mois de juillet 1979, la une de L’Automobile retenait immédiatement l’attention : constituée d’une photo pleine page d’une CX à la physionomie familière, elle comportait néanmoins un titre-choc, en grosses lettres jaunes : la nouvelle Citroën-Renault ! Certains de nos lecteurs se souviennent sans doute de la légendaire rivalité qui, jusqu’à la mort d’André Citroën en 1935, avait opposé ce dernier à Louis Renault, aussi bien en termes d’innovations que de stratégie commerciale ; par cette accroche un brin provocatrice, la rédaction du magazine entendait probablement ranimer la mémoire de cet affrontement qui, avant la guerre, avait fait couler beaucoup d’encre. Et, de fait, le remplacement des CX 2000 Confort et Super par les nouvelles Reflex et Athéna ne se bornait pas, loin s’en fallait, à un renouvellement des appellations car, sous une apparence à peu près inchangée, Citroën entérinait une véritable révolution technique par l’adoption, en toute simplicité, du 2 litres conçu par la Française de mécanique et produit dans l’usine de Douvrin qui fabriquait déjà le V6 PRV. D’une cylindrée exacte de 1 995 cm3, ce moteur était bien connu puisqu’on le trouvait depuis 1977 sous le capot de la Renault 20 TS ; de son côté, la toute nouvelle Peugeot 505 l’avait semblablement retenu, dans une inédite version à injection, pour ses variantes TI et STI.
Comme L’Auto-Journal le fit immédiatement remarquer en organisant un comparatif entre les trois berlines françaises, celles-ci, quoique très différentes dans leur architecture technique comme dans leur design, partageaient dorénavant le même moteur ! Dès le mois de septembre suivant, André Costa publia dans les mêmes colonnes un premier banc d’essai de la version Athéna. Comme souvent, c’est sous la plume du célèbre essayeur que l’on trouva l’analyse la plus pertinente. Après avoir salué les progrès réalisés en matière de nervosité par rapport à la 2000 — une seconde et quatre dixièmes de mieux sur le kilomètre départ arrêté —, il s’attarda sur le comportement général de l’auto : « Si l’on quitte le domaine des chiffres, je dirai que l’Athéna a beaucoup gagné en agrément de conduite. Non seulement elle est plus nerveuse (…) mais sa nouvelle souplesse permet d’évoluer en ville et sur les itinéraires encombrés sans jouer à tout moment de la boîte de vitesses. Et puis, quel progrès au point de vue filtrage des vibrations et des bruits ! Dans ce domaine, un pas de géant a été franchi et les divers trémolos mécaniques dont les quatre cylindres en ligne Citroën nous ont plus ou moins gratifiés depuis la 11 BL, sont ici oubliés. »
Dans le port d’Amsterdam, y a des Citroën qui chantent
Entièrement réalisé en alliage léger et disposant d’une distribution à arbre à cames en tête, ce moteur, bien connu des amateurs de Renault sous le nom de code « J », permettait aux CX les plus abordables de restaurer leur compétitivité vis-à-vis d’une concurrence française et étrangère qui, depuis 1974, n’était pas restée les bras croisés. Au demeurant, il est intéressant d’inventorier les différences entre les deux niveaux de finition alors proposés par Citroën. Si l’Athéna se rapprochait visuellement d’une Pallas dont elle reprenait d’ailleurs les enjoliveurs de roues, elle se distinguait aussi de sa sœur de gamme par sa direction assistée à rappel asservi (DIRAVI) montée en série. La Reflex pouvait toutefois en disposer par le truchement d’une option chaudement recommandée, tant l’absence de cet équipement dénaturait l’expérience de conduite prodiguée par la voiture… Les pervers qui se réjouissent à l’idée de détailler le dénuement des modèles les plus appauvris — vous savez, ceux qui tombent en pâmoison à l’idée de prendre le volant d’une Ford Vedette Abeille — ne seront pas déçus s’ils parviennent à mettre la main sur l’une des Reflex survivantes.
La CX AthenaPrivées d’appuie-tête, de baguettes latérales de protection et d’habillage d’accoudoirs de portières, ces voitures avant tout conçues pour attirer le chaland via un prix de vente agressif se faisaient aussi remarquer par leur garnissage mi-skaï, mi-tissu et par leurs petits enjoliveurs de roues en plastique gris, que Citroën désignait (sans rire) sous le nom de « type sport » — comme toujours, le marketing cache la misère comme il peut. Il n’empêche que, pour le collectionneur d’aujourd’hui, ce sont certainement ces premières versions qui sont les plus attirantes. Par la suite, au fil des restructurations de la gamme et du restylage du millésime 1986, les « 2 litres », rebaptisées « CX 20 », perdirent peu à peu leurs spécificités mais, en définitive, représentèrent plus du quart de la production totale du modèle. Plus abordables car moins recherchées que les premières 2000, il est vrai esthétiquement plus pures — et plus « Citroën », avec leur moteur directement issu des DS —, les Reflex et Athéna peuvent constituer une bonne initiation pour une première incursion dans l’univers CX. Elles conservent de surcroît tout le charme des « phase 1 », avec la lunule dans sa première version, l’élégance aérienne du meuble de bord et la finesse des pare-chocs en inox. En particulier lorsqu’il est associé à la boîte 5 vitesses optionnelle, leur moteur n’a rien d’un monstre de puissance mais ses 106 chevaux suffisent amplement pour s’insérer sans peine dans le trafic actuel — du moins tant que les Bandar-Log du ministère de l’Écologie nous en laisseront le loisir. Le plus difficile sera d’en trouver une : les Reflex ont disparu (ce qui, en langage citroëniste, signifie qu’elles ont émigré aux Pays-Bas) et la cote des quelques Athéna disponibles connaît la même inflation que celle des autres CX. Si l’aventure vous tente, ne tardez pas trop…