Caisse de lecteur : la "Mini Stupide" d'Olivier
John Fante raconte dans son roman Mon chien stupide les déboires d’un corniaud et ceux de Henri Molise, son maître. L’animal est imprévisible, mal foutu, mais fidèle, pile à l’heure pour donner du bonheur et des emmerdements. Henry l’a senti à la première rencontre. Le quinquagénaire est a l’heure de faire le bilan de sa vie et recueille le chien, on ne le plaindra pas. Ma voiture est « stupide » comme ce quadrupède. Commençons par ses qualités: ma Mini est fiable. Elle est mal peinte, certes, bringuebalante et sa caisse émet des bruits qu’un laboratoire de musique concrète peinerait à reproduire, mais elle ne m’a jamais laissé tomber sur une route froide ou un embouteillage surchauffé. Cabossée mais fidèle, c’est ma Mini stupide.
Chez Belzébuth
J’ai entrepris en 2013 de réparer une erreur de jeunesse, celle qui autorise les rédemptions. Vingt-cinq ans auparavant, je me suis séparé d’une Austin Mini de 1961 état concours après seulement un mois de bonheur à son volant. J’ai bêtement cédé à l’appât du gain. Je tenais dans la main un chèque à cinq chiffres pour une MK1 acquise pour rien. Mon acheteur était un quinquagénaire joueur. En me tendant la somme, ses yeux pétillants semblaient me dire qu’alors que je lui cédais ma Mini, je regrettais déjà mon geste. C’était vrai, j’ai le regret de le dire. Ce désormais vieillard doit s’émerveiller tous les jours de ma Mini 61, du comodo de clignotant qui clignote, et de ma naïveté. A moins que chez Belzébuth où il a été plongé à juste raison, il pleure sans fin à chaudes larmes, forcé de conduire une 850 avec la deuxième qui saute. Une vision de l’enfer. Maintenant, c’est moi qui ai 50 ans. Mais le vieux que je suis n’a pas trop réussi à faire baisser le prix de la Mini au petit jeune pourtant pressé de me la laisser. Je suis nul en affaires, mais j’irai au paradis.
N’allons pas trop vite dans l’histoire. Réparer une erreur, donc. Il me fallait une Mini pour laver cette auto-trahison et l’humiliation d’avoir vendu une voiture qui me permettrait en 2016 de taper la frime auprès des filles. Une MK1 peuplait mes pensées. J’ai y vite renoncé devant les sommes à cinq chiffres demandées, plus en francs mais en euros. J’ai passé un an sur Le Bon Coin afin de trouver une MK5 (de 1984 à 1992), sur les forums et dans des essais vendeurs infructueux. Mon esprit s’est ramolli. Trop de pression, j’ai voulu en finir avec ça, acquérir une fois pour toute. Et et ce fut elle, cette 998cc 30e Anniversaire de 1990 sûrement repeinte dans le garage avec le beau frère, découverte sous une pluie de printemps, à Rouen. Un chien perdu sans collier, le poil mouillé. Je l’ai pourtant achetée, et compris ensuite la différence de conséquences entre « il me faut » et « j’aimerais beaucoup, ça demande réflexion. »
Gumball 3000
Le vendeur parti, je suis dans cette Mini sous une pluie battante à me demander si je rentre à Paris par la nationale ou l’autoroute VU QUE CETTE ANDOUILLE MAL ASSEMBLÉE NE DÉPASSE PAS LE 80KMH ! Pourquoi ai-je acheté cette voiture ? A quoi pensais-je quand il me l’a faite essayer ? Qu’est ce qui m’a pris ? Comment a t-elle passée le contrôle technique ? Le châssis danse le twerk et le moteur tourne sur trois pattes, non, sur deux, ah non, trois… Je ne pense plus alors à mes envies de préparation, j’en suis au Stage 3 de la déception. Pourquoi n’ai je pas acheté une Audi TT MK1 ? C’est beau, une Audi TT MK1, c’est original et ça ne provoque pas un embouteillage au moment de rejoindre l’A13 sur une voie en côte à 7% qui oblige cinquante (vraies) voitures à piétiner derrière moi. Survint alors un changement d’ambiance. Je m’étais charitablement déporté sur le côté, mais au lieu de m’abreuver d’insultes, les automobilistes libérés m’envoyèrent des coups de klaxon de félicitations – le sourire d’une famille nucléaire en 3008 boîte auto… Ma Mini était parvenue en haut de la côte. Je m’engageai sur l’A13 et démarrai alors le Gumball 3000 le moins raisonnable de mon existence en déchirant l’asphalte humide à plus de 75km/h.
La Mini s’est révélée être une ode à la bidonnerie. Elle hurlait, raclait, rugissait comme un Cosworth mais ne connaissait pas les vitesses à trois chiffres, atteinte qu’elle était du syndrome de la Mobylette au pot de détente trafiqué. Je me suis marré, j’ai commencé à la trouver attachante. Je roulais en Mini ! La revoilà ! La voiture que James May conseille à tous les amoureux de la voiture. Le Saint Graal de la différence de standing (à vous la Porsche, à moi la classe). Une Mini. J’étais très positif alors. Tant mieux, j’étais parti pour un Rouen-Paris de 2h30. Un arrêt m’est vite apparu comme vital. En la regardant se remettre de ses 40 kilomètres, j’ai eu l’impression de voir un chien stupide qui me demandait l’hospitalité. J’ai dit oui, personne ne me plaindra.
Découper, agrafer, pester
Je tente depuis trois ans de transformer ma chère Austin Mini en voiture. Bien obligé, je roule avec tous les jours et elle passe la nuit dans la rue. C’est comme ça, je n’ai pas de box, c’est trop cher. La lente réhabilitation de ma bestiole est mécanique et intérieure. Au garagiste ce qui se trame sous le capot, à moi les joies de transformer l’habitacle. La peinture orange offre par endroit de belles finitions peau d’orange, l’ancien propriétaire avait de l’humour. Ma Mini se fait régulièrement beugner par des cornichons qui ne savent pas se garer, il est inutile de changer les pare-chocs cabossés et la calandre vrillée. Lorsque je la gare dans des quartiers chics, genre VIIe, des crétins m’arrachent l’écusson ou tentent de retirer les caches-jointures d’ailes. L’entretien extérieur se limite donc à arrêter la rouille à défaut d’arrêter la bêtise. Ma Mini reste dans son jus. Sinon, aucune incivilité n’est à signaler en banlieue. J’ai tout de même retiré la lèvre supérieure du capot pour lui donner un air sixties. J’achèterai la grille MK1, un jour.
Changer l’intérieur a été la redécouverte de la patience. Changer les garniture de portes, remplacer le tissu des sièges par du vinyle rouge, installer un tableau de bord en bois, installer une moquette rouge et insonoriser le plancher signifie coller, percer, découper, agrafer, pester, recommencer, dégrafer, rager, recoller, décolérer et enfin, souffler. L’ambiance intérieure me plaît, cosy, rehaussée par de grosses et discrète enceintes qui crachent du Bob Marley sans jamais saturer les basses. Une vision du Paradis.
No future
La recherche de pièces et d’un garage pour l’entretien a été l’occasion de rencontrer le top des pros et la crème des affreux. Je pense pour ce dernier à ce jovial mécano dans l’Est qui me propose de réparer la fente à l’avant du châssis (je comprends maintenant pour le twerk) au prix d’une distrib’chez Audi, avant de me dire qu’en fait, ça ne vaut pas le coup et de me proposer un achat/reprise tordu d’une de ses Anglaises. Je déprime à vu d’œil avant que le bonhomme ne conclut son offre par « ta Mini, c’est vraiment un tas de boue. »
Là, t’aurais pas dû. On ne parle pas de ma Mini comme ça. C’est MA Mini.
Mon châssis a été réparé pour 150 euros par le garage qui l’entretient depuis. Audra, à Bois-Colombes, dans les Hauts-de-Seine, est spécialisé dans la Mini de la carrosserie à la mécanique. On y change les cônes, on remplace les crémaillères, on répare la seconde qui craque et on transforme des MK5 en MK1 – avec le comodo qui clignote. On fait des miracles avec la maudite électricité anglaise et on dompte l’indomptable carburateur. On éduque les têtes (des clients), on traque le moindre bobo la cigarette au bec et l’expérience au bout des doigts. Et quelques conseils sont donnés quand surviennent les questions existentielles dues au manque d’argent: changer le berceau arrière rouillé ou la crémaillère rincée ? Remplacer la direction sur les rotules ou les soufflets essoufflés ? Si l’argent est le nerf de la guerre, le manque d’argent est à la base de la réflexion sur la bonne stratégie pour garder une Mini en vie. J’ai bien fait de ne pas acheter une Audi TT MK1, en fait.
Depuis Audra, ma Mini roule bien. Elle est toujours aussi punk. Je fais mes 200 kilomètres hebdomadaires sans soucis, mais dans un inconfort certain. Malgré les prouesses du garagiste – train avant, direction, carburation et tant d’autres choses – la Mini est toujours no future pour vous véhiculer confort. La faute peut-être à ces cônes de suspension achetés d’occasion. Les dos d’ânes sont l’ennemi, les imperfections de la route vous agressent à la perfection. Comme disent mes amis passagers d’un jour (rarement plus): « Tu as peut-être raison pour tes cônes de suspension achetés d’occasion. »
Surprendre les vieux porschistes
“C’est ta daily ?” demandent les yougtimers. C’est ma “only”, surtout, pense-je en grimaçant. Je me console en me voyant héros du monde automobile vintage urbain. Les magazines auto l’écrivent: “La Mini est parfaite pour la ville, même en 2016, oserez-vous passez le pas ?” Bien obligé, hein.
Mais quel plaisir à son volant, cette sensation de grand huit dans les virages serrés, cet espace vitré ouvert sur le monde, le volant qui vous donne toutes les infos sur ce qui se trame sous les roues. Ah, si elle avait 20 chevaux de plus… Ça lui en ferait 50, mais ce serait quelque chose ! Ma Mini est attachante, elle gronde comme un gros chien. Elle respire l’avant, le temps des choses pas trop compliquées. Ça s’appelle ça la jeunesse, je ne ma raconte pas d’histoire. On démarre, un peu de starter et voilà. Elle se faufile partout. Je me vois partir en Écosse avec, si je trouve un fou ami qui accepte de remonter dedans une seconde fois. Aller travailler en Mini est un plus. Le fait même d’en posséder une vous rend intéressant aux yeux de vos clients ; vous êtes un original. On discute devant la voiture et ça les sort du quotidien. Idem lorsque je bricole dessus en bas de chez moi. Entre le policier sympa (pas le droit de trop bricoler dans la rue), les curieux et les passionnés, on a vite fait de faire café rencontre. Les passants baissent la garde, le gars de l’agence immobilière se souvient de sa 1100, la dame regrette d’avoir vendu sa Balmoral, le gars du kebab vient d’en trouver une « comme neuve » et les enfants veulent monter dans « lavoitureorange ».
Parfois, je rêve de gagner au loto. Comme tout le monde. Je débarque chez le garagiste et lui déclare tout de go: « point d’échéancier, cette fois, ami, il n’est pas question d’argent. On désosse la voiture, on la dérouille et on la repeint en bleu turquoise. On garde le moteur mais on lui colle une préparation de grand garçon et, surtout, on lui garde un extérieur raisonnable, roues de douze, sortie de pot latérale, afin de surprendre les vieux porschistes au feu rouge. Je me réveille. En fait, non. Je n’ai pas envie de changer ma Mini. Oserais-je rouler tous les jours comme à l’accoutumé si elle brille de mille feux ? Non, je ne veux pas un bibelot, je veux une voiture. Je veux pouvoir la garer n’importe où. Je ne veux pas rester près de la fenêtre de chez mes amis un œil sur elle l’autre sur mon verre. Non, pas ça. Garde ton projet de restauration, mon subconscient.
Je garde ma Mini stupide.
Texte: Olivier Rodriguez
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