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BMW M5 E28 : le festival d'une vieille charrue

Par Nicolas Fourny - 26/11/2023

« Cette M5-là se conduit « sans filtre » et, sur le sec tout du moins, l’engin constitue une merveilleuse école de pilotage et d’humilité pour ceux qui aiment vraiment conduire »

Apparue il y a bientôt quarante ans, la toute première berline « M » de l’histoire est aussi la plus rare, et de loin : seuls 2241 exemplaires furent construits entre 1984 et 1988. Très recherchée aujourd’hui, l’auto a initié une lignée qui dure encore de nos jours et a probablement déclenché la course à la puissance ininterrompue depuis lors et ayant caractérisé la longue histoire des grandes berlines surmotorisées. La recette est connue est n’a pas fondamentalement changé : déjà à l’époque, il s’agissait d’associer la carrosserie d’une paisible familiale à un moteur d’une puissance digne d’une authentique GT, afin d’aboutir à un agrégat susceptible de séduire le conducteur sportif ayant charge d’âme et ne pouvant donc plus se satisfaire d’un coupé biplace ou 2+2. En l’espèce, il est somme toute logique que l’initiative soit venue de Munich, BMW ayant déjà acquis à ce moment-là le savoir-faire qu’on lui connaît en matière de quatre-portes réjouissantes à conduire. On ne s’attendait cependant pas à une telle démonstration…

Une place à prendre

Au vrai, la M5 n’a pas été la première berline européenne dotée d’un moteur capable d’enrhumer plus d’une berlinette italienne au pedigree avantageux. La mémoire des connaisseurs évoquera immédiatement la Jaguar Mk2 3,8 litres ou, plus près de nous, les Mercedes-Benz 300 SEL 6.3 puis 450 SEL 6.9 sans oublier, à un autre niveau, les premières Maserati Quattroporte. Toutefois, au mitan des années 1980 le contexte avait profondément changé et l’amateur de performances désireux de préserver une certaine polyvalence, sans subir les inconvénients d’un encombrement excessif, n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent. Bien que très rapides pour leur temps, les Mercedes 300 E, Audi 200 ou Renault 25 V6 turbo n’atteignaient pas les 190 ch ; les Anglais avaient déserté ce créneau depuis longtemps et, en Italie, ni Alfa Romeo ni Lancia n’étaient en mesure d’engager la conversation à ce niveau, tandis que les premières Maserati Biturbo à quatre portes souffraient d’un caractère fantasque propre à effrayer plus d’un client potentiel. Et chez BMW, nous direz-vous ? On ne peut pas dire que la décennie avait bien commencé pour la firme à l’hélice, dont la gamme pouvait décevoir par un certain conservatisme technique et esthétique au moment précis où la Daimler-Benz avait, de son côté, entrepris de dynamiser son offre – en commençant par une 190 particulièrement réussie. Et la situation s’avérait singulièrement préoccupante pour ce qui concernait le cœur de gamme de Munich, nous avons nommé la série 5 !

L’art de la diversion

Renouvelé en 1981, le modèle s’apparentait en réalité à un profond restylage de la série E12 présentée neuf ans plus tôt, accompagné, il est vrai, d’une sérieuse refonte des trains roulants. Autant dire que, même en tenant compte d’une actualisation habile et de bon goût, la berline préférée de l’inspecteur Derrick ne ressemblait pas à un perdreau de l’année face aux Audi 100/200 « C3 », aux Mercedes de la série 124 ou aux Saab 9000. Demeurée impavidement fidèle aux principes du shark nose hérité de la Neue Klasse apparue en 1961, la berline E28, avec son pare-brise droit comme la justice, ses chromes généreusement distribués et une aérodynamique digne d’une armoire normande dénotait sérieusement face à des rivales à la fois plus modernes, plus silencieuses, plus habitables et plus faciles à maîtriser pour le conducteur moyen. Bien sûr, la future et très prometteuse E34 était d’ores et déjà en chantier mais, en attendant, il fallait bien s’efforcer de préserver la séduction d’une voiture que les remugles vintage ne suffisaient plus à entretenir. Et, quand on se nomme littéralement « Fabrique bavaroise de moteurs », il est inutile de chercher longtemps une issue au problème… De fait, l’offensive des ingénieurs BMW impressionna la presse spécialisée ; la « nouvelle » série 5 se déploya dans une diversité sans précédent à Munich ; de la poussive 518 à la plantureuse 535i, en passant par l’iconoclaste 524td – le tout premier Diesel de la marque – ou une saugrenue 525e à vocation économique, il y en avait vraiment pour tous les goûts, l’Auto-Journal, sans doute ébouriffé par un foisonnement dont les constructeurs français étaient bien incapables, n’hésitant pas à titrer « N’en jetez plus, la série 5 est pleine ! » lorsque le département M décida de pousser le bouchon beaucoup plus loin encore…

 

Un moteur de légende

C’est à l’automne de 1984 que BMW annonça la commercialisation de la M5. À cette époque, le « M » de BMW Motorsport n’avait pas encore acquis la notoriété parfois contestable qu’il possède aujourd’hui (en ce temps-là, le marketing de la firme était préservé de la vulgate contemporaine et vous ne pouviez pas, par exemple, commander une 316 « M Sport »). Dans le domaine des voitures de route, seule la berlinette M1 (453 unités construites) puis le coupé M635 CSi avaient jusqu’alors revêtu la lettre magique, corrélée pour l’éternité au mythique six-cylindres M88 conçu par Paul Rosche. Implanter ce moteur de légende sous le capot d’une berline de grande diffusion (à l’échelle de BMW, s’entend), voilà qui n’était certes pas banal et ne connaissait en tout cas aucun précédent à ce niveau de gamme, si l’on excepte les créations de certains préparateurs tels qu’Alpina qui, depuis 1978, avait déjà élaboré des berlines B7 dont la philosophie était très proche de la M5 et dont nous reparlerons plus loin. Néanmoins, pour extraire rien moins que 300 ch du six-cylindres de la 535i, la petite officine de Buchloe avait eu recours à la suralimentation par turbocompresseur, c’est-à-dire à une solution moins raffinée que celle de Herr Rosche qui, pour la M1, avait développé une somptueuse culasse à quatre soupapes par cylindre, capable d’émouvoir les contemplatifs comme de satisfaire les obsédés du chronomètre, alors que les moteurs multisoupapes étaient rares – et demeuraient quoi qu’il en soit l’apanage des voitures de sport de tous calibres, de la Golf GTI Oettinger à la Ferrari Testarossa.

BMW vs Alpina

Par rapport à la M1, la M5 progressait légèrement en puissance pure en affichant 286 ch à 6500 tours, tandis que la valeur de couple s’avérait plus favorable, avec 340 Nm à 4500 tours ; naturellement, le poids à emmener n’était pas le même mais, au demeurant, la E28 ainsi gréée ne dépassait pas les 1400 kilos à vide, ce qui déterminait un rapport poids/puissance extrêmement séduisant. Dans l’Auto-Journal du 1er avril 1985, André Costa publie un premier galop d’essai au volant de l’engin et, contre toute attente, ses conclusions sont pour le moins mitigées. S’il salue les progrès accomplis par la firme en matière de tenue de route et de motricité, il fustige la longueur de la transmission ainsi que le manque de souplesse de la voiture, que l’inévitable comparaison avec la B7 turbo (501 Nm disponibles dès 2200 tours !) ne peut que désavantager, la BMW étant de surcroît équipée d’une boîte moins agréable à manipuler, selon le célèbre essayeur, que celle de l’Alpina. La voiture n’en suscite pas moins certains éloges : « … l’homogénéité des réactions de l’engin à toutes les vitesses doit être soulignée, avec l’appoint d’un freinage puissant (…) La vitesse de pointe (…) est soutenue sans difficultés dans les longues courbes d’autobahn, et si le moteur ne brille pas par la discrétion à haut régime, sa conversation est plutôt mélodieuse. » Il n’empêche que, tarifée 360 000 francs (soit environ 106 000 euros de 2022), l’auto ne coûte que 15 000 francs de moins que la B7 (qui, histoire d’enfoncer le clou, gagnera encore 20 ch pour 1986)…

Un plaisir qui se mérite

En août 1987, L’Automobile Magazine publie un comparatif opposant la M5 à la Lancia Thema 8.32. Cruelles pour la voiture de Turin, les performances mesurées le rappellent alors sans ambages : pour quelque temps encore, la BMW est la plus performante berline de série que l’on puisse trouver sur le marché. Ses 247 km/h en pointe et, plus encore, les 26,5 secondes qu’elle demande pour parcourir le kilomètre départ arrêté, ou bien les 6,6 secondes nécessaires pour atteindre les 100 km/h se rapprochent, en toute simplicité, des chronos d’une Ferrari 328 GTB… Il est vrai qu’à son couchant, la M5 coûte à peine moins cher que la berlinette italienne mais demeure sensiblement moins coûteuse qu’une Porsche 911 Turbo dont la sénescence se fait chaque jour plus visible. D’autant que la partie châssis de la BMW, en dépit de son âge avancé, assure des qualités routières à la hauteur de son fabuleux moteur. Laurent Chiapello écrit : « Sa tendance naturelle dans les virages serrés est au sous-virage, mais il suffit d’un judicieux petit coup d’accélérateur pour la faire passer à un survirage qui ne surprendra que très rarement. Et lorsqu’on a le loisir de se laisser aller à de plus amples glissades, c’est un vrai plaisir que de contrôler cette machine en contrebraquage et à l’aide de légères pressions du pied droit. » On l’aura compris, cette M5-là se conduit « sans filtre » (à l’exception d’un ABS qui semblera bien rudimentaire en comparaison des systèmes actuels) et, sur le sec tout du moins, et à condition de rester au-dessus des 4000 tours, l’engin constitue aujourd’hui encore une merveilleuse école de pilotage et d’humilité pour ceux qui aiment vraiment conduire. Il y a quatre décennies, ses heureux possesseurs oubliaient très vite la désuétude de sa carrosserie en comparaison du tempérament de l’auto ; de nos jours, elle ne fait que renforcer son charme. Saurez-vous lui résister ?

286 chPuissance
247 km/hVmax
3453 cm3Cylindrée



Texte : Nicolas Fourny

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