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BMW a-t-il délibérément tué Rover ? Une contre argumentation

Par Nicolas Rougho - 07/12/2017

L’article traitant de l’affaire BMW/Rover a fait couler beaucoup d’encre (lire aussi: BMW a-t-il tué Rover ?), chacun ayant son avis sur la question. Lorsque Nicolas, président du British Classic Cars & Rover Club, m’a proposé de m’en donner sa version, j’ai tout de suite accepté, car je suis friand d’analyses, et d’histoire automobile, et surtout, car je n’ai pas raison sur tout. Cela vous donnera deux éclairages intéressants. Ici, Nicolas est un spécialiste de la marque, et cela donne un contre-argumentaire pointu, passionnant, et crédible. A vous de vous faire votre avis:

Il est une croyance assez répandue, parmi la communauté d’amateurs de la marque au drakkar, que BMW, propriétaire de Rover Group entre février 1994 et avril 2000, aurait sacrifié Rover. Sans oublier évidemment au passage, de piller les technologies Land Rover pour sa propre gamme de SUV (à commencer par le X5), avant de revendre Land Rover à Ford pour une somme conséquente, de garder précieusement pour lui le joyau restant, MINI, pour en faire le succès que l’on connait, et livrant le restant (les marques MG et Rover) à un groupe d’investisseurs (le consortium Phoenix), qui a été au moins autant vilipendé par l’opinion publique, lors de la faillite du groupe MG Rover en 2005, que ne l’avait été BMW 5 ans plus tôt.

Certains vont plus loin dans cette analyse, en affirmant que BMW aurait eu la volonté délibérée de tuer Rover dès son acquisition en 1994, afin d’éliminer un concurrent. Telle est en tout cas la thèse volontairement provocatrice émise récemment par Paul sur Boitier Rouge. Et devant mes protestations courtoises, Paul me proposa de rédiger un contre-argumentaire. Je vous le livre donc ici, ne prétendant pas détenir davantage la vérité que Paul, car les protagonistes de l’époque se confient rarement sur le sujet. Un jour peut-être…

Avant toute chose, il est nécessaire de rappeler un peu le contexte dans lequel se trouvaient et Rover Group et BMW en 1993.

Rover Group, nom donné en 1986 à l’entité connue auparavant sous le nom de « BL plc » (ex-British Leyland), regroupait les marques Austin, Rover, MG et Land Rover, ainsi que les marques désormais défuntes du conglomérat, telles que Morris, Triumph, Wolseley, Riley et quelques autres. Lors de sa nomination en 1986 à la tête de BL plc par le gouvernement de Margaret Thatcher, Graham Day avait entrepris une vaste politique de rationalisation, consistant à se séparer d’un grand nombre d’activités jugés peu rentables ou déficitaires, l’objectif étant de rendre le groupe attractif en vue de sa privatisation. La politique libérale de Margaret Thatcher, et l’opinion publique britannique de manière générale, ne s’accommodaient plus des sommes d’argent public injectées dans le groupe depuis 11 ans, pour un résultat industriel d’ailleurs médiocre.

C’est ainsi qu’après la revente de Jaguar à Ford en 1984, ce sont les divisions des camions (Leyland Trucks) et bus (Leyland Bus) qui furent revendues, respectivement à DAF en 1987 et Volvo en 1988, tandis que la division des pièces détachées, Unipart, fut rachetée par ses managers de l’époque (selon la technique du « management buy-out »). La décision d’abandonner la marque Austin fut prise dès 1986 et le processus de « Roverisation » et de partenariat exclusif avec Honda, au détriment des propres développements internes fut également concrétisé à cette période.

Après une tentative avortée de vendre Land Rover à General Motors début 1986 (l’opinion publique y étant hostile, souhaitant que l’entreprise reste britannique), puis des discussions avortées en 1987 pour la revente de l’ensemble de Rover Group à Volkswagen (déjà un teuton!), c’est finalement British Aerospace (BAe) qui fit l’acquisition de l’ensemble, pour une somme jugée alors ridiculement faible par les analystes (environ 150 millions de £), ce qui d’ailleurs, entraina une enquête de la commission européenne sur le sujet.

A la fin de l’année 1993, Rover Group affichait depuis déjà 2 ans des résultats financiers positifs, avec des profits certes modestes, mais néanmoins bien réels après des décennies de pertes. La gamme, composée des séries 100, 200, 400, 600 et 800, ainsi que de l’antique Mini, couvrait tout le spectre d’un constructeur généraliste, et le succès de la série 200 de deuxième génération (R8), lancée fin 1989, prouvait que Rover pouvait encore trouver son public sur certains segments. Si près de 50% de la production de Rover se vendait sur son marché intérieur, la marque était assez présente sur certains marchés européens, en particulier l’Italie, l’Espagne et la France. Ainsi, en France, Rover vendait plus de 43000 voitures en 1993, et près de 50000 en 1994, s’octroyant ainsi plus de 2,5% du marché, loin devant BMW avec 1,5%.

BMW, de son côté, avait une image de marque sérieuse (germanique) et premium (même si le terme n’existait pas encore), et produisait en 1993 un peu moins de 500000 voitures par an, dont près de 60% était vendu en Europe. Sa gamme commençait avec la série 3, berline de taille moyenne-supérieure, et le constructeur était totalement absent des segments de masse. Et bien que le lancement de la série 3 Compact cette année-là lui permettait de descendre en gamme, cette voiture ne permettait pas à elle seule à BMW d’atteindre la volumétrie critique qui l’aurait mis à l’abri d’acquéreurs hostiles.

Nommé PDG du groupe BMW en mai 1993, Bernd Pischetsrieder, présent chez BMW depuis 20 ans et un des artisans de sa montée en puissance, était conscient de la vulnérabilité potentielle de BMW. Deux stratégies s’offraient à lui pour atteindre cette taille critique : la croissance interne, en augmentant le nombre de modèles produits sous la marque BMW (stratégie adoptée à l’époque par Daimler pour Mercedes, et aujourd’hui par d’autres constructeurs comme Jaguar Land Rover), ou bien la croissance externe, par l’acquisition d’autres marques.
Bernd Pischetsrieder (et le conseil d’administration derrière lui) craignait qu’une croissance interne, sur des segments non traditionnels de BMW, ne conduise à une dilution de la marque et à son affaiblissement. Et même si les bénéfices d’une acquisition mettent inévitablement un certain temps à se concrétiser, les économies d’échelle qui en découlent sont manifestes sur le long terme, par la mutualisation des plateformes, des réseaux de fournisseurs, et des usines. Volkswagen adopta la même stratégie quelques années plus tôt, avec l’acquisition graduelle de Seat puis de Skoda.

BMW se mit donc en chasse d’un constructeur à acheter…et le premier envisagé ne fut pas Rover…mais Honda !

On pourrait dire « fin de la démonstration », le simple fait que le premier constructeur envisagé par BMW comme acquisition soit un autre acteur que Rover met un terme à l’hypothèse de son rachat à des fins de démantèlement. Mais continuons un peu…

Les discussions avec Honda tournèrent court très vite, principalement en raison de l’hostilité de Honda à toute forme de partenariat dans lequel il serait sous tutelle. 15 ans auparavant, Honda s’était appuyé sur British Leyland comme « cheval de Troie » pour investir le marché européen. Désormais, la présence de Honda en Europe était déjà bien établie, avec une usine en Angleterre à Swindon, et le constructeur nippon n’avait pas besoin de l’appui d’un partenaire, fut-il BMW, pour continuer à s’implanter.

Ironie de l’histoire, Honda détenait alors 20% de Rover Group, tandis que BAe détenait les 80% restants. Et devant le refus de Honda, BMW se tourna très rapidement vers Rover Group, et son propriétaire BAe.

Lorsque BAe fit l’acquisition de Rover Group à l’été 1988, les modalités de l’accord lui interdisait toute revente pendant 5 ans. Cette échéance prenait fin, et il se trouve que BAe souhaitait vendre Rover Group, non pas tant en raison de sa santé financière, que de celle de BAe lui-même. Le groupe perdait en effet de l’argent sur ses activités historiques aéronautiques, et souhaitait se recentrer sur ces métiers.

L’accord conclu entre BAe et BMW prévoyait la revente par le premier au second des 80% des parts de Rover Group qu’il détenait, pour un prix d’environ 800 millions de £, soit 650 millions de £ de plus-value pour BAe par rapport à son prix d’achat 5 ans auparavant.

Il est assez répandu de croire que Honda n’était pas informé de ces tractations, et le découvrit par voie de presse comme tout le monde. La réalité est plus complexe. Il fut ainsi proposé à Honda de s’aligner sur l’offre de BMW, mais Honda refusait de prendre le contrôle de Rover Group, et fit une contre-proposition selon laquelle il aurait pris 47,5% de son capital, en mettant en avant le fait que Rover devait rester une entreprise britannique. Mais l’offre financière de BMW était plus intéressante, et fut donc conclue et annoncée publiquement le 1 février 1994.

Dans la foulée, le discours du management de BMW vis-à-vis de Rover eut pour objectif de rassurer l’opinion publique britannique : Rover et BMW resteraient indépendants, tant au niveau des produits, que du management et de l’ingénierie. Et ce fut effectivement le cas, au moins au début, au point que le management de Rover resta inchangé, John Towers, nommé Managing Director sous la période BAe, étant promu CEO de Rover Group.

1994-1996 : la lune de miel

Pendant les deux premières années, le mariage semblait idyllique : BMW amenait de l’argent pour le développement des nouveaux produits, l’extension du centre de recherche et développement de Gaydon, et la modernisation de l’outil industriel, à Cowley comme à Longbridge. Ce fut une période d’investissement massif, pendant laquelle Rover eut accès à une manne financière qui lui était alors inconnue. Et si BMW dut investir dans ces proportions, c’est qu’il s’aperçut que BAe avait notoirement sous-investi pendant les années 1988-1993. Si l’usine de Cowley avait été réduite en taille, et 80% de sa superficie revendue à des promoteurs immobiliers en 1992, l’outil de production en lui-même était partiellement obsolète, surtout au regard des standards que s’imposait BMW.

Les produits commercialisés, comme ceux alors en développement à l’arrivée de BMW, étaient symptomatiques du manque d’investissements par BAe et de la politique alors en place de la recherche du moindre coût. Petit tour d’horizon :

  • Chez Rover, la voiture la plus vendue était le couple 200/400, basé sur la Honda Concerto. La 100 était basé sur l’Austin Metro, la 600 récemment lancée était basée sur la Honda Accord, tandis que la 800, co-développée avec Honda, avait déjà plus de 7 ans de présence au catalogue. Dans les cartons, un début d’étude pour le restylage de la Rover 600, un roadster basé sur la plateforme de la Metro (qui allait devenir la MGF), et les nouvelles Rover 200 et 400, basé pour la première sur une plateforme raccourcie de la génération précédente, et pour l’autre, sur la Honda Civic de l’époque.
  • Chez Land Rover, outre le Defender dont les racines remontaient à 1948, le nouveau Range Rover (P38) allait être lancé, mais n’était guère plus qu’un restylage du Range Rover Classic, s’appuyant sur le même châssis et le même bloc Rover V8. En cours de développement, un véhicule de loisirs (le futur Freelander), et une nouvelle génération de Discovery.

BMW fit alors un constat simple : un investissement massif était nécessaire, et mettrait des années à se concrétiser. Une priorité fut donnée au remplacement de la Rover 600 et la Rover 800 (projet R40, future Rover 75), ainsi que le développement d’une nouvelle Mini, que Rover n’avait jamais pu concrétiser faute de financements (projet R50). La nouvelle Mini devait venir remplacer la Rover 100 au catalogue. BMW donna également son feu vert au projet de MG F, en lui allouant un budget complémentaire pour que sa fabrication soit 100% maison (les tôles devaient initialement être pressés par un sous-traitant). Côté Land Rover, le projet CB40, futur Freelander, fut également confirmé, avec là-aussi, un budget accru.

De plus, en raison des royalties dues à Honda pour un certain nombre de technologies utilisées, Rover essaye par tous les moyens de couper un peu plus le cordon le liant au nippon (cordon qui perdurera malgré tout jusqu’à la faillite finale en 2005). C’est ainsi que le budget marketing alloué à la Rover 600, produit le plus nippon de la gamme, est revu significativement à la baisse, avec comme effet d’en réduire la visibilité auprès des acheteurs, et donc le potentiel de vente.

Dans le même esprit, le bloc Honda V6 C27A, pourtant l’un des plus fiables jamais utilisés par Rover, mais qui ne passerait pas les nouvelles normes anti-pollution, est remplacé début 1996 dans la gamme 800 par le nouveau KV6 maison, co-développé avec Kia. Les débuts de ce bloc se révèleront catastrophiques pour Rover (comme pour Kia d’ailleurs) : des défauts d’usinage du bloc entraîneront des surchauffes et des ruptures de joint de culasse à tout va, avec pas moins de 30% des blocs échangés sous garantie par Rover…les blocs de remplacement montrant parfois les mêmes problèmes ! La presse se fait évidemment l’écho de ces difficultés, et il faudra un investissement conséquent dans le programme R40 pour retravailler et fiabiliser le KV6, qui dans sa version utilisée sur les Rover 75, est beaucoup plus robuste.

En parallèle, et bien que les deux structures soient indépendantes, des programmes d’échange furent mis en place entre les entités de BMW et de Rover Group, tant au niveau de l’ingénierie, que des équipes managériales. Les cultures des deux entreprises étaient fondamentalement différentes, et cela est particulièrement évident lorsque l’on regarde l’excellent documentaire réalisé par la BBC et diffusé en 5 parties début 1996, intitulé « When Rover met BMW », que je conseille à toute personne intéressée par le sujet.

Mais au sein du conseil d’administration de BMW, les premières critiques apparurent dès la fin 1995 sur la conduite des opérations, s’inquiétant des lenteurs accumulées sur le développement des nouveaux produits.

1996-1998 : départ de John Towers, les difficultés s’accumulent…

Début 1996, John Towers quitte Rover Group, ne trouvant plus sa place dans le management BMW. Il était un fervent défenseur du partenariat avec Honda, et était lui-même surpris d’être resté aussi longtemps.

Il est remplacé temporairement par Wolfgand Reitzle, puis par Walter Hasselkus, anglophile et un des fidèles de Bernd Pischetsrieder. La stratégie reste globalement inchangée, mais BMW s’implique davantage dans le management de Rover, des plans d’économie commencent à être mis en place. Le développement des nouveaux produits continue, et de nouvelles études sont lancées pour un développement de la gamme Rover par le haut. Ainsi, le projet R55, qui devait venir remplacer la Rover 400 à l’horizon 2002, et être équipée de moteurs d’origine BMW 4 et 6 cylindres.

En parallèle, la situation financière de Rover se dégrade sérieusement, et avec elle celle de BMW. Les ventes des nouvelles Rover 200 et 400, sensiblement moindres que celles de la génération précédente, y contribuent. Elles sont de plus positionnés sur un segment « premium », voulu par BMW, avec un prix moyen intermédiaire entre leur segment et celui immédiatement supérieur. Et la Rover 600, pourtant le produit le plus fiable et attractif de la gamme, ne se vend qu’au compte-goutte, BMW ne mettant pas la voiture en avant comme évoqué précédemment.

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