Bentley Arnage Red Label : retour à la tradition
L’histoire de la Bentley Arnage Red Label est particulièrement intéressante car elle se joue à un moment délicat de l’histoire de la marque. Née avec un moteur BMW et avec l’aide des hommes de Munich, elle sera l’un des rares modèles de l’automobile mondiale à revenir en arrière pour un moteur plus ancien, et pour tout dire carrément en retard technologiquement, tout en trouvant une clientèle plus nombreuse. Pourquoi Bentley fit-elle ce choix étonnant, celui de proposer deux versions d’une même voiture, l’une à moteur BMW, l’autre à moteur « 6 ¾ » à l’ancienne, en poussant la clientèle à choisir la seconde plutôt que la première ? Voici l’histoire de la Bentley Arnage Red Label.
Lorsque le groupe Rolls-Royce décidait de trouver une héritière à la vieillissante Silver Spur et à sa cousine Bentley Mulsanne/Eight/Brooklands, la situation n’était pas particulièrement florissante. Le marché de la voiture de luxe s’était effondré au début des années 90, et le groupe Vickers, propriétaire des deux marques, n’avait absolument pas les moyens de développer un nouveau moteur à même de remplacer le vénérable V8 6,75 litres de « puissance suffisante » (comme on disait alors, évoquer la puissance exact du moulin, c’était vulgaire), mais datant de 1959 pour sa première version. Il devenait urgent de trouver un partenaire qui puisse fournir des moteurs « nobles » sans faire fuir la clientèle anglaise traditionnelle.
Chez Vickers, on allait donc se mettre en quête d’un moteur. On se posa la question d’un moteur américain, à la manière de feu Jensen et de son Interceptor ou de la confidentielle Bristol Blenheim, pour finalement reculer. Les japonais ? On n’était pas vraiment sûr à Crewe qu’une telle mécanique soit acceptée par des conducteurs connus comme très conservateurs. L’idée d’une mécanique allemande devint rapidement une évidence tant ceux-ci maîtrisaient le segment premium et les moteurs à plus de 4 cylindres, et ce jusqu’au V12. Les négociations commencèrent d’abord avec Mercedes-Benz, sans aboutir. Finalement, ce fut le concurrent de Munich qui remporta l’affaire. BMW était alors en plein dans sa période « anglaise », avec le rachat de Rover en 1994 (lire aussi sur ce sujet BMW a-t-il tué Rover et sa contre enquête ). Après avoir racheté une marque généraliste, l’idée de se développer dans le très haut de gamme titillait alors ses dirigeants, Bernd Pischetsrieder en tête. Fournir des moteurs à Rolls-Royce était un bon début.
Ainsi l’Arnage et la Silver Seraph furent développés autour de cœurs allemands, V8 pour la première, V12 pour la seconde. Concernant la Bentley, et afin de rester dans la tradition sportive de la marque, on décida de faire passer le V8 4.4 litres chez Cosworth (autre filiale du groupe Vickers) pour lui rajouter deux turbos et faire passer sa puissance à 354 chevaux. L’apport de BMW ne se limitait pas qu’au moteur, mais aussi à divers équipements (comme le système de navigation, les sièges, et divers éléments « technologiques » de la voiture) et bien entendu à la BVA 5 vitesses. La nouvelle Bentley, renouvelait enfin un style jusqu’alors un peu trop carré pour les années 90. Certes la face avant semblait un peu torturée, avec ces doubles phares sous glace horizontaux et ces répétiteurs verticaux (chose qui sera corrigée en 2005 avec le restylage), mais le reste offrait une ligne très agréable.
La nouvelle Bentley et son moteur de béhème semblait promise à une brillante carrière. Pourtant, un événement vint chambouler tout cela : la lutte entre BMW et Volkswagen pour le contrôle de Rolls-Royce/Bentley (lire aussi : la Bataille d’Angleterre). BMW sûr de son coup et de ses relations s’était fait chiper la mariée par Volkswagen. Puis, par ruse, BMW avait réussi à s’octroyer la marque Rolls-Royce. Finalement, les deux allemands avaient pu passer un accord laissant Bentley (et l’usine de Crewe) à VW et Rolls à BMW, mais seulement à partir du 1er janvier 2003.
Entre temps, les coups avaient été rudes, et BMW avait menacé de stopper ses fournitures moteurs. Sous le coup de cette menace, mais aussi par calcul marketing, Bentley (sous la coupe de Volkswagen donc) décida de revenir à l’antique moteur 6 ¾ sous le nom de Bentley Arnage Red Label, en 2000, tandis que la version utilisant le V8 allemand récupérait le nom de Green Label. Le sous entendu des couleurs était évident : la plus sportive, et donc la plus désirable, serait la Red Label. Problème : le V8 Bentley n’était plus fabriqué à Crewe, mais sous-traité en petite série pour les Continental R et T, ou bien pour l’Azure, chez Cosworth.
Il fallut donc rapatrier la production du moteur à Crewe. Au passage, celui-ci avait reçu les bons soins de Cosworth pour lui permettre de gagner en puissance (400 chevaux) grâce à un turbocompresseur. La Red Label offrait donc 46 chevaux de mieux que la Green, une consommation gargantuesque et un couple de camion obligeant Bentley à revenir à la seule boîte de vitesse capable de l’accepter, la 4L80-E de chez General Motors, dotée de 4 vitesses seulement. Dès lors, les vendeurs de Bentley allait mettre en avant leur nouveau modèle en négligeant la Green Label et son moteur pourtant plus moderne ! Cette Green ne restera pas longtemps au catalogue, s’éclipsant dès la fin de l’année 2000 après 7 exemplaires vendus seulement (alors que l’Arnage BMW des débuts s’était vendue à 1 123 unités). Une série spéciale appelée Birkin, en hommage au pilote Tim, fut lancée par la suite (prévue à 54 exemplaires, comme la Bentley 4 ½ Blower pilotée par Birkin, il n’en sera finalement construit que 52).
A partir de 2001, l’Arnage Red Label pouvait être commandée en version longue (LWB, en haut), voire même LWB Mulliner (en bas)La Red Label devenait donc le porte étendard de la marque entre 2000 et 2002, celle que l’on vantait aux clients comme la vraie Bentley, porteuse de l’héritage et de la tradition, la plus sportive aussi, sorte d’héritière des Turbo R et Turbo RT. Alors que la Green Label se voyait placardisée, la Red devenait un succès commercial (toutes proportions gardées) avec 2 273 exemplaires fabriqués. En 2002, la gamme fut réorganisée : la Red Label laissait la place à l’Arnage R ou l’Arnage T (au V8 poussé jusqu’à 462 chevaux).
En 2000, une Red Label coûtait la bagatelle de 1 527 000 francs (la Green Label plafonnait à 1 487 000 francs), une fortune pour l’époque. Aujourd’hui, une telle voiture deviendrait presque accessible puisque la cote (LVA) s’élève à 42 000 euros (35 000 euros pour une Arnage à moteur BMW), preuve qu’elle reste encore la favorite des amateurs de Bentley. A ce prix là, vous accéderez au mythique 6 ¾, vous découvrirez ce que veut dire « avoir du couple », et surtout vous découvrirez ce qu’est le luxe à l’anglaise. En outre, vous vous offrirez une petite part de l’histoire tumultueuse de Bentley à l’époque.
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES BENTLEY ARNAGE RED LABEL | |
Motorisation | |
Moteur | V8 |
Cylindrée | 6 750 cc |
Alimentation | Turbo Garret T4 |
Puissance | 400 chevaux à 4 000 trs/mn |
Couple | 835 Nm à 2 500 trs / mn |
Transmission | |
Roues motrices | Arrière |
Boîte de vitesses | BVA 4 vitesses (GM 4L80-E |
Dimensions | |
Longueur | 5 400 mm |
Largeur | 2120 mm |
Hauteur | 1 510 mm |
Poids à vide | 2 520 kg |
Performances | |
Vitesse maxi | 249 km/h |
Production | 2 273 exemplaires (2000-2002) |
Tarif | |
Cote moyenne 2018 | 42 000 euros (LVA) |