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Aston Martin DB4 GT Zagato : le meilleur de deux mondes 

Par Nicolas Fourny - 03/08/2022

Longtemps, il y a eu un peu d’Italie dans les Aston. Et même beaucoup, en fait. La DB4 de 1958 a inauguré une longue série de modèles associant un pedigree technique spécifiquement britannique à une physionomie dont la latinité était assumée avec une grâce résolue. Rejoignant sans vergogne les Ferrari dans l’univers des GT inaccessibles, les voitures de Sir David Brown revendiquaient un raffinement sans tapage et des ressources éloignées de toute ostentation. Ce n’étaient ni des Jaguar, ni des Bentley ; elles n’essayaient pas de réinterpréter une philosophie existante puisqu’à la vérité, elles avaient inventé leur propre concept. Et dans cette histoire, la DB4 occupe une place à part, d’abord en raison de son antériorité et aussi parce qu’elle aura multiplié les variantes, plus qu’aucune de celles qui lui succédèrent. C’est à la plus mythique d’entre elles que nous nous intéressons aujourd’hui…

La promesse de l’aube

Précisions tout d’abord que la DB4 « de base » n’avait vraiment rien d’un tombereau sous-motorisé. Sous le capot frappé de la célèbre mention Superleggera (en ce temps-là, ça voulait encore dire quelque chose) se blottissait un six-cylindres en ligne inédit, œuvre du motoriste Tadek Marek. Par rapport aux dernières DB Mark III, les progrès n’étaient pas niables et, avec 240 chevaux SAE à 5500 tours/minute, le gros 3,7 litres, entièrement réalisé en alliage léger, ne s’en laissait pas compter par une Maserati 3500 GT à laquelle il était absolument impossible de ne pas songer en analysant la fiche technique et les chronos de l’Anglaise. Heureux les mortels qui, en cette fin des années 1950, avaient le loisir d’hésiter entre les deux ! La firme nouvellement installée à Newport Pagnell venait de remettre les pendules à l’heure, en particulier vis-à-vis d’une Jaguar XK150, certes tarifée deux fois moins cher, mais dont l’esthétique et les qualités routières paraissaient irrémédiablement datées en comparaison de l’Aston.

D’autant que, pour dessiner celle-ci, c’est la carrozzeria Touring qui avait été missionnée. Une vingtaine d’années auparavant, c’est cette même maison qui avait mis au point le procédé Superleggera que nous avons effleuré plus haut et qui consistait en un treillis tubulaire en acier supportant une carrosserie intégralement constituée d’aluminium. Étudié sous la férule de Carlo Felice Bianchi Anderloni — le fils du fondateur de Touring —, le design de la DB4 s’appuyait sur un vocabulaire original ; le profil, littéralement dévoré par les généreux passages de roues, associant un porte-à-faux avant très court et une poupe en semi fastback, dégoulinait de classe, tandis que la proue actualisait très habilement le thème de la calandre apparue en 1950 sur la première DB2. Comme on va le voir, cette ligne qui, régulièrement actualisée, allait perdurer douze années durant, diffère toutefois sensiblement du coupé commis par Zagato en 1960 et sur la genèse duquel il importe de se pencher.

De la route à la course

Présentée au Salon de Londres 1959, soit exactement un an après la version initiale, la DB4 GT s’efforçait d’exacerber le typage sportif du modèle et, pour y parvenir, les modifications apportées n’étaient pas décoratives. Construite sur un empattement raccourci de treize centimètres, l’auto se signalait par des phares carénés (qui allaient d’ailleurs progressivement se généraliser) et un profil plus râblé, comme ramassé sur lui-même. Constituée de panneaux d’aluminium plus fins que ceux de la DB4 « normale », équipée de vitres arrière et d’une lunette en plexiglas, la GT s’allégeait ainsi d’environ 80 kilos et pouvait de surcroît compter sur une mécanique plus puissante, la barre des 300 chevaux « officiels » étant dépassée de très peu — notamment via la greffe d’un double allumage et de trois carbus double corps Weber en lieu et place des SU d’origine.

Assemblée à seulement 75 exemplaires jusqu’en 1963, la GT est la plus rare des DB carrossées at home ; parcellairement tournée vers la performance, sa radicalité s’est néanmoins arrêtée aux frontières de la civilisation : l’habitacle n’est pas plus dépouillé que celui d’une DB4 classique et les sièges de série n’ont pas cédé la place à des baquets de compétition ; la démarche d’Aston s’adressait à des gentlemen-drivers qui n’éprouvaient pas forcément le besoin d’aller limer le bitume des circuits chaque week-end que Dieu faisait. Même si, gréée de la sorte, l’auto ne dépassait guère les 1200 kilos, il était donc certainement possible d’aller plus loin encore dans cette direction. C’est du moins la teneur des réflexions dont Gianni Zagato fit part à David Brown et à John Wyer — alors directeur technique d’Aston Martin — lors de leur première rencontre, qui eut justement lieu à Earl’s Court durant la présentation de la GT…

Une destinée en demi-teinte

Les trois hommes se mirent rapidement d’accord sur le principe d’une variante plus allégée encore et Ercole Spada, embauché par Zagato au début de 1960, supervisa alors le dessin d’une carrosserie aux galbes sensuels, substantiellement différente du coupé originel — à tel point que seules la calandre caractéristique et les prises d’air situées sur les ailes avant permettaient de l’identifier comme une Aston. Si les qualités aérodynamiques de l’engin ne faisaient aucun doute, l’amaigrissement promis par les Italiens s’avérait quelque peu décevant, puisqu’il se limitait derechef à 80 kilos, le châssis étant demeuré strictement identique. Dans ces conditions, et en dépit d’une nouvelle augmentation de puissance — le straight-six développant désormais 314 chevaux —, la GT Zagato souffrait encore d’un handicap de près de 200 kilos par rapport à la Ferrari 250 GT SWB, ce que confirme un palmarès plutôt modeste étant donné les ressources du moteur.

Vendue 20 % plus cher que la GT « usine », la voiture ne suscita pas tout à fait l’intérêt escompté de la part de la clientèle visée et, entre 1960 et 1961, seuls dix-neuf exemplaires virent le jour. Évidemment, six décennies plus tard, le regard de l’amateur a changé : il y a belle lurette que le pedigree de l’objet, son extrême rareté et l’exotisme de sa conception ont édifié la légende qui l’entoure. Bien que moins répandue (toutes proportions gardées) qu’une 250 GTO à laquelle on l’a très souvent comparée, l’aura de l’Aston semble avoir grandi dans l’ombre de celle de la plus mythique des Ferrari. Sa cote s’en ressent et (toutes proportions gardées aussi), la DB4 est bien plus accessible que sa rivale italienne : les résultats des ventes aux enchères les plus récentes montrent qu’environ dix millions de dollars devraient vous suffire pour en acquérir une ; la Ferrari, pour sa part, vaut tout de même cinq fois plus cher…

Money for something

En 1988, en 2000 puis en 2019, les propriétaires successifs d’Aston Martin ont pris l’initiative ou accepté l’idée d’une « recréation » de la Zagato à partir des plans originels (quatre exemplaires la première fois, dix-neuf la suivante). Une démarche qui nous semble très discutable : quand les constructeurs se mettent à s’auto-citer, c’est qu’ils tournent en rond et n’accordent pas à leur propre passé tout le respect qui lui est dû. L’idée peut sembler amusante pendant cinq minutes puis, très vite, des questions embarrassantes surgissent, qui concernent entre autres l’authenticité, la cupidité ou les facilités du marketing mémoriel.

Tout cela n’est pas très glorieux même si, rassurons-nous, personne n’essaiera à l’avenir de faire passer ces autos pour ce qu’elles ne sont pas — c’est-à-dire des machines d’époque, avec toute leur singularité et la sincérité de ceux qui les ont conçues puis construites. Il n’empêche qu’il y a quelque chose d’un peu obscène à qualifier d’ « hommage » ce qui n’est, en définitive, qu’une opération commerciale et, à notre sens, tout collectionneur digne de ce nom devrait se détourner de ces autos construites pour faire le buzz et alimenter des conversations triviales sur la façon dont les happy few dépensent leur argent. À chaque fois plus ou moins « améliorées » par rapport aux vraies Zagato, ces DB4 artificialisent la nostalgie et ne sont entrées dans la légende que par effraction. Comme disait l’autre, entre les originaux caractérisés par les charmantes péripéties de l’artisanat et les copies froidement « optimisées », c’est pourtant facile de ne pas se tromper…

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