Alfa Romeo 1900 M AR51 "Matta": le premier 4x4 au trèfle
Lorsque Alpine sortira son SUV, je serai bien en mal de trouver un ancêtre dans l’historique de la marque. Mais lorsque c’est Alfa Romeo qui s’y colle avec son nouveau Stelvio, c’est tout de suite plus facile (même s’il m’a fallu la complicité d’un lecteur pour m’y faire repenser). Et oui, si Alfa Romeo nous a plus fait rêver avec ses berlines sportives, ses cabriolets et ses moteurs enchanteurs, la marque s’est aussi coltiné le marché des utilitaires, des camions, et, brièvement, celui du 4×4. Voici l’histoire de l’Alfa Romeo 1900 M AR51, affectueusement surnommée « Matta » (la folle en rital).
Bon ok, il m’a fallu remonter assez loin pour trouver autre chose qu’un prototype. Dans les années 80, Alfa avait présenté les AR146 et AR148, sans lendemain, tandis qu’en 1951, l’AR51, elle, entrait en production. Tout commence à l’automne 1950. Les temps sont durs pour les constructeurs italiens, qui doivent faire feu de tout bois dans une période de reconstruction encore loin du faste des années 60. Cette année-là, l’Armée italienne lance un appel d’offre pour un véhicule de reconnaissance (Autoveiculo da Ricognizione, AR quoi, vous suivez?) en remplacement des Jeeps américaines : l’heure est encore à la préférence nationale. La Fiat est inévitablement sur les rangs, mais Alfa veut sa part du gâteau et va elle-aussi proposer sa vision de la Jeep à l’italienne…
Enfin, au départ, plutôt à l’anglaise. Chez Alfa Romeo, on y connaît rien, certes, mais on sait réagir rapidement. Aussitôt, on achète un Land Rover chez un concessionnaire en Suisse, pour le désosser, l’étudier sous toutes les coutures, et fortement s’en inspirer, dans un premier temps. Pourtant, le résultat final sera loin d’être une simple copie. D’abord, le moteur : il s’agit du nouveau 4 cylindres 1884 cm3 qui équipe la toute nouvelle berline 1900, tout juste présentée en octobre 1950. Un moteur retravaillé pour l’occasion avec un taux de compression réduit, plus de couple à bas régime et 65 chevaux seulement. Le moteur AR1306 garde cependant son caractère sportif, inédit pour un tel véhicule. Pour le reste, les choix sont assez sophistiqués : train avant craboté par levier, et blocage de différentiel sur les roues arrières.
Les ingénieurs de chez Alfa, dont Giuseppe Busso, auront fait vite, car le premier prototype destiné aux épreuves de qualifications fut présenté en mai 1951 (soit à peine 8 mois après l’appel d’offre), tandis que le premier modèle dans sa version définitive sera présenté en septembre 1951 à la foire de Bari. Autant dire que les hommes aux trèfles n’auront pas chômé ! Fiat, qui était sur le coup depuis plus longtemps (car contacté plus en amont par l’Armée) présente son Campagnola au même moment.
La lutte est serrée, et l’enjeu de taille, entre les deux constructeurs. Mais malheureusement pour Alfa, c’est le Campagnola de chez Fiat qui sera choisi par l’Armée, avec à la clé une petite rente annuelle (au total, 39 076 exemplaires, entre 1951 et 1974). Il faut dire que l’AR51 « Matta » s’avère presque 3 fois plus cher que son compatriote, à cause de l’utilisation de nombreuses pièces spécifiques, et de sa sophistication. Le Campagnola, plus rustique, semble plus adapté aux besoins de l’Armée qui cherche un véhicule, simple, efficace et pas cher.
Pourtant l’Etat italien ne sera pas en reste, et attribuera un lot de consolation à Alfa Romeo, en passant de petites commandes. Le ministère de la Défense en commandera 1281 exemplaires, le ministère de l’Intérieur 457, la Marine 29, l’Aviation 11, le ministère des Finances 3, l’Agriculture et les Transports 1 chacun. En 1952, une version « civile » AR52 disposant d’un moteur porté à 1975 cm3 sera lancé. En tout, 2059 exemplaires seront produits entre mars 1952 et 1954, dont 6 prototypes, 116 AR51 vendus à des clients civils, et 154 AR52.
Mais alors, pourquoi ce surnom, « Matta »… Tout simplement parce que, pour promouvoir l’AR51, Alfa Romeo fit une démonstration un peu folle en lançant la bête à l’assaut des marches permettant l’accès à la basilique d’Assise, démontrant les qualité de franchissement de l’AR51. Ce petit nom lui restera, y compris en interne. L’AR51 connaîtra aussi une carrière sportive en gagnant les Mille Miglia 1952, en accompagnant le Tour de France cycliste, ou comme voiture d’assistance du “Raid della Fratellanza e della Pace Roma-Pechino” quelques années plus tard, aux côtés de Giulias.
L’AR51 pendant le tour de France (en haut) et le raid Rome Pékin (en bas)
Vue la faible production, l’AR51 est aujourd’hui une pièce rare et donc relativement chère. On en trouve cependant quelques unes un peu partout en Europe, et particulièrement en Italie. Des modèles souvent restaurés amoureusement, mais vous pouvez espérer une sortie de grange avec un gros boulot de restauration qui sera de toute façon passionnant. En tout cas, vous épaterez sûrement plus la galerie (ou du moins les connaisseurs) qu’avec votre Stelvio flambant neuf (mais sûrement beaucoup plus confortable).