Volkswagen Golf II GTi : un brillant malentendu
Ça ne rate jamais : en automobile comme ailleurs, quand vous accouchez d’un chef-d’œuvre, vous êtes fatalement attendu au tournant. Telle fut la mésaventure que connut VW lorsque la Golf II prit, en Europe tout du moins, la suite de l’adorable cube à roulettes dessiné sous la férule de Giorgetto Giugiaro. Dépourvue du charisme de son aînée, il s’agissait avant tout d’une création opportune et intelligemment pensée qui, en dépit des réquisitoires dont elle fut l’objet au début de sa carrière, devint très vite le benchmark de sa catégorie. Et, bien que conceptuellement éloignée de l’attachante boule de nerfs originelle, la GTi ne fut pas en reste, incarnant elle aussi la référence de son temps, comme en attestent des chiffres de production strictement inaccessibles à ses rivales. Automobile totémique, icône publicitaire et grande pourvoyeuse de joie de vivre, voilà une machine à redécouvrir !
Tout doit changer pour que rien ne change
Depuis quelques années, les réseaux sociaux sont infestés de montages photographiques ineptes représentant des modèles contemporains aux côtés de leurs ancêtres, dans le but de psalmodier, une fois encore, que c’était mieux avant, sous prétexte que les voitures d’autrefois étaient moins larges, moins longues et moins lourdes — en négligeant, bien entendu, de rappeler ce que ces surcroîts de dimensions et de poids doivent au progrès, à l’innovation technique et à la sécurité. De la sorte, il est devenu de bon ton de pleurnicher en comparant une Porsche 911 Classic à une 992 ou une Fiat 500 de 1957 à son équivalent à traction avant… Si quelqu’un s’avisait d’effectuer le même exercice en comparant une Golf I à une Golf VII ou VIII, il ne serait pas déçu non plus et cette inflation a commencé dès 1983, lorsque Wolfsburg dévoila les formes et les caractéristiques de la deuxième génération de son best-seller.
Bien que s’appuyant sur les mêmes thématiques que sa devancière, en conservant notamment des phares ronds et un montant C singulièrement épais, la première nouvelle Golf de l’histoire — « on a tout changé, sauf son nom », proclamait la publicité, de façon quelque peu abusive —, avait une fois encore su flairer les tendances du marché et les aspirations d’une clientèle dont la maturité avait renouvelé les attentes. Le gabarit de l’auto en témoignait : avec plus 17 centimètres en longueur, 5 en largeur et un empattement plus long de 7,5 centimètres, la Golf II rejoignait les plus imposantes compactes de l’époque (Opel Kadett ou Ford Escort) avec, comme on pouvait s’y attendre, d’indéniables bénéfices en termes d’habitabilité et de capacité d’emport. Malheureusement, cette mutation correspondait aussi à une prise de poids d’autant plus conséquente qu’en dehors de l’apparition d’une variante de 90 chevaux qui allait connaître un grand succès commercial, les moteurs étaient restés globalement les mêmes que sur le modèle sortant. Dans ces conditions, les amateurs de conduite sportive, pour qui la légèreté demeure une vertu cardinale, ne pouvaient qu’être déçus par la nouvelle GTi qui s’annonçait…
Un match en trompe-l’œil
Il est toujours instructif de se replonger dans les comptes-rendus d’essais publiés par la presse spécialisée. Un tiers de siècle après l’apparition de la Golf de deuxième génération, leur lecture vaut son pesant de cacahuètes, tout particulièrement dans certaines publications françaises dont le chauvinisme militant serait inconcevable aujourd’hui — cet esprit de clocher ayant étrangement coïncidé avec l’apparition d’une certaine Peugeot 205… Ainsi, dès son premier banc d’essai, sous la plume de Bernard Carat, l’Auto-Journal brocarda cruellement l’esthétique de la nouvelle venue : « Nous préférons ne rien dire du dessin de la carrosserie sinon qu’il n’est pas du tout moderne. Les surfaces vitrées restent mesurées et on a conservé, contre toute logique, les phares ronds et les faux montants de déflecteurs aux portières avant. » De son côté, André Costa s’exprimait tout de même plus positivement au sujet de la GTi, en saluant les performances d’ensemble, la remarquable souplesse du moteur, les qualités routières et les progrès accomplis en matière de freinage — il est vrai que, sur ce dernier point, il n’était pas difficile de faire mieux que la Golf I —, tout en comparant malicieusement les projecteurs de l’auto à des lumignons…
Au vrai, même si leurs niveaux de puissance naviguaient dans les mêmes eaux, la comparaison entre la Golf et la 205 n’avait qu’une pertinence limitée. Les clientèles des deux autos divergeaient, à la fois en raison des écarts dimensionnels entre les deux autos et du glissement philosophique de l’allemande qui, tout en continuant à s’adresser aux passionnés, s’attachait à offrir une meilleure polyvalence d’usage que la sochalienne et s’avérait plus facile à contrôler à la limite, sans parler d’une isolation acoustique de bien meilleure qualité, qui contribuait à rendre les longs trajets plus supportables.
Le retour de la 16 soupapes
Toutefois, dans l’absolu, VW méritait bel et bien de recevoir un certain nombre de critiques quant à sa réinterprétation du concept que la firme avait elle-même inventé en 1976. Dans sa toute première version, sa nouvelle GTi, qui plus est perchée sur des jantes de 13 pouces, ne se démarquait qu’insuffisamment des modèles courants : seul un discret liseré rouge autour de la calandre (à seulement deux phares), des élargisseurs d’ailes en plastique noir et un très sobre becquet de hayon venaient agrémenter l’ordinaire. Il fallut attendre 1985 pour que le constructeur daigne entendre les reproches que lui adressaient toute une cohorte d’observateurs plus ou moins scandalisés par le dénuement de l’auto ; cette année-là, non seulement l’équipement se rapprocha enfin d’une décence minimale avec, entre autres, l’ajout d’une paire de longue-portée et du fameux ordinateur de bord MFA (Multifonction Anzeige, soit « indicateur multifonctions ») mais, surtout, on assista à la présentation de la première Volkswagen « officielle » à quatre soupapes par cylindre ! Rappelons qu’à son couchant, la Golf I Oettinger semblablement gréée avait été commercialisée dans le réseau VAG, à l’initiative de l’importateur français. Ses 136 chevaux rageurs, ses performances et sa légèreté avaient laissé de très émouvants souvenirs à ceux qui avaient eu la chance de la conduire — « une vraie balle ! » avait titré l’Auto-Journal — et c’est peu dire que le Typ 19E suscita une réelle impatience de la part d’un public qui ne fut pas déçu.
Désormais développée en interne et intégrant le catalogue régulier de Volkswagen, la « 16S » ne dissimulait rien des détails intimes de sa culasse : de gros autocollants « 16 SOUPAPES » étaient ainsi apposés sur les vitres arrière, un logo « GTi 16s » décorait la calandre, tandis qu’un spoiler avant plus imposant que celui de la GTi « de base » vous incitait définitivement à quitter la file de gauche lorsque cet impressionnant faciès faisait irruption dans votre rétroviseur… De très belles jantes en alliage léger (et de 14 pouces, Mazel tov !), complétaient la panoplie. Néanmoins, c’est bien sûr sous le capot que les choses sérieuses se passaient et, en l’espèce, les ingénieurs VW ne s’étaient pas loupés. Avec son couvre-culasse si joliment dessiné qu’il pourrait fort bien être exposé dans votre salon et qui affichait fièrement la mention « DOHC 16V » (sans doute pour rappeler à son propriétaire qu’il ne se coltinait pas la poussive version Diesel), le groupe « KR », fort de 139 chevaux qui constituèrent longtemps une valeur-étalon dans la catégorie, a indéniablement marqué son époque et a glorieusement participé à l’édification de la légende. Dans un style sportivo-chic absolument inimitable, empruntant ses codes tout autant à l’évocation de la vitesse qu’à celle d’une bourgeoisie bon chic bon genre, la « 16S » quittait définitivement le microcosme des sportives populaires ; sur sa plage arrière, on pouvait aussi bien trouver une édition du « Figaro Magazine » que de « Sport Auto » et cela en dit long sur son positionnement.
La course à la puissance
Par la suite, confiants (et à juste titre) dans la validité de leurs choix, les responsables de VW n’éprouvèrent pas le besoin de procéder à d’incessantes modifications sur leur GTi. Seul le remplacement de l’injection Bosch K-Jetronic par le système maison, baptisé Digifant, sur le moteur huit soupapes, puis l’arrivée du catalyseur sur certains marchés méritent d’être notés alors que le design du modèle demeura globalement figé — du moins jusqu’à 1989, quand les fins pare-chocs d’origine furent remplacés par des boucliers lourdingues épaississant encore une ligne qui n’en demandait pas tant… C’est cependant dans cet équipage que fut lancée la GTi G60 en 1990, au moment où la Golf III s’apprêtait à entrer en scène. En ce temps-là, Volkswagen s’était, comme d’autres — on pense par exemple à Lancia — remis à croire aux vertus du compresseur, système de suralimentation qui avait eu son heure de gloire avant la guerre mais que l’on avait cru complètement périmé par l’avènement du turbo. Le compresseur « G » (ou G-Lader dans la langue de Goethe) n’avait rien de particulièrement érotique mais, avec un peu d’imagination et un ou deux verres de schnaps, on pouvait estimer que sa structures en spirales ressemblait vaguement à la septième lettre de l’alphabet.
Une ultra rage VW Golf G60 Limited produite en AutricheToujours est-il qu’il se trouva greffé sur le vaillant quatre-cylindres 1 781 cm3, dans sa version à deux soupapes par cylindre, pour donner naissance à la G60. Celle-ci reprenait en fait la mécanique de la Golf Rallye, tout en lui soustrayant sa transmission intégrale et l’odieux kit carrosserie qui la défigurait. Avec 160 chevaux et un couple de 225 Nm, n’imposant aucun temps de réponse au contraire d’un moteur turbocompressé, la voiture dispensait un agrément de conduite de très haut niveau et, à notre sens, c’est certainement la variante la plus désirable à l’heure actuelle. Hormis la rarissime G60 Limited, cette variante a également existé avec la transmission Syncro, mais sa diffusion fut circonscrite à l’Allemagne et à la Suisse, durant une très courte période.
N’oubliez pas d’être heureux
Avec plus de 600 000 exemplaires produits au total, on ne peut pas dire que la Golf II GTi soit une voiture rare. Naturellement, à l’instar de bien d’autres, le modèle a mangé son pain noir de longues années durant ; le tuning pour demeurés et les bricolages imbéciles destinés à « rajeunir » des voitures qui n’avaient rien demandé ont fait des ravages et ce n’est manifestement pas terminé, comme en témoigne la mode du rabaissement qui, dans la plupart des cas, aboutit à des résultats grotesques. Comme toujours, ce sont les voitures full stock qui sont les plus recherchées et, par ricochet, les flétrissures que nous venons d’évoquer font encore grimper leur cote… Longtemps sous-estimées, ces voitures ont tout d’abord suscité l’intérêt d’amateurs qui se détournaient de la Golf I pour des raisons financières et ont ensuite découvert les grandes qualités intrinsèques de l’auto, qui n’a rien d’un lot de consolation. Pour notre part, c’est probablement la huit soupapes, authentique et dépouillée, que nous choisirions ; mais, quelle que soit la version, le bonheur est garanti ! Pour autant, n’attendez pas trop longtemps pour vous décider…