Talbot Samba Rallye : à l’école de la course
Comme chacun sait, la carrière de la Talbot Samba aura été anormalement brève : après seulement cinq ans de production, la citadine de Poissy a sombré avec le reste de la gamme Talbot, trucidée sans vergogne par PSA après la très contestable renaissance de la marque opérée peu de temps auparavant. Issue d’un ingénieux bricolage accompli sur l’inusable base de la Peugeot 104, la Samba ne manquait pourtant pas de qualités et, durant sa courte existence, ses concepteurs firent feu de tout bois, aussi bien du côté des modèles récréatifs, avec un très joli cabriolet, que de la sportivité exacerbée, avec l’inattendue et fabuleuse Rallye, qui nous intéresse aujourd’hui…
La dernière danse de Simca
En lançant la 104, à l’automne de 1972, les responsables de Peugeot ne se doutaient probablement pas des multiples déclinaisons que leur plus petit modèle allait connaître au fil du temps, chez Citroën d’abord — avec les LN et Visa —, puis chez Talbot, avec la Samba apparue en 1981. Il faut bien en convenir, la conception de celle-ci ressemblait beaucoup à une opération commando. N’ayant disposé que d’un laps de temps et de ressources très limités pour la concevoir, les responsables du projet n’avaient d’autre choix que de partir d’une base existante et c’est ainsi que l’auto fut élaborée sur les fondamentaux de la 104 à trois portes. Présentée trois ans après le rachat des activités de Chrysler Europe par PSA et la funeste décision de tuer l’identité de Simca en ressuscitant le nom de Talbot, la Samba n’en était pas moins un modèle vital pour la firme, dont la viabilité dépendait étroitement du succès de la nouvelle venue. Aucun constructeur généraliste ne pouvait survivre en étant absent du segment des citadines, en particulier en France, où la Renault 5 dominait outrageusement le marché, avec des taux de pénétration qui laissent rêveur aujourd’hui — elle en occupa 16 % à elle seule durant l’année 1980 !
Bien plus qu’une 104 hâtivement rebadgée, la Samba exploitait très intelligemment les qualités de fond de la Peugeot — habitabilité optimisée grâce au moteur transversal, qualités routières de bon niveau, moteurs modernes et sobres — tout en se montrant plus logeable que le coupé sochalien ce qui, à la vérité, n’était pas très difficile… Avec un empattement plus long de 11 centimètres par rapport à celui-ci, les passagers arrière et les capacités d’emport correspondaient aux valeurs usuellement constatées dans un segment de plus en plus fréquenté. Sous le capot, le célèbre groupe « X » du constructeur franc-comtois reprenait une fois encore du service, avec sa lubrification commune moteur/boîte et sa transmission au sifflement caractéristique. Disponible au départ en deux niveaux de puissance — 50 et 72 chevaux — il conférait à la Samba sommitale, dénommée GLS, des performances très correctes pour sa catégorie mais moyennement capables de satisfaire les conducteurs sportifs. Il s’agissait en fait du gréement intégral de la 104 ZS, une machine certes amusante dans les itinéraires sinueux mais aux ressources bien trop limitées pour pouvoir engager la conversation avec une R5 Alpine, sans parler d’une certaine Golf GTi…
Bienvenue dans la matrice
En 1979, l’éphémère 104 ZS 2 avait cependant démontré le potentiel de l’engin et, au début de la décennie suivante, les dirigeants de Talbot, comme d’ailleurs ceux de Citroën, s’en inspirèrent pour entamer des réflexions similaires aboutissant à deux voitures qui, chacune à sa façon, allaient marquer leur époque : la Visa Chrono et la Samba Rallye ! Pourtant, les différences entre ces deux modèles méritent d’être inventoriées, la voiture de Poissy ayant choisi des solutions souvent distinctes de sa cousine chevronnée. En premier lieu, le moteur n’était plus le 1 360 cm3 de la GLS mais un 1 219 cm3, cylindrée déjà rencontrée sur une Visa Super X de peu glorieuse mémoire. Sauf qu’ici, ce groupe jusqu’alors falot se trouvait littéralement transfiguré par la greffe de deux carburateurs Weber ainsi qu’un travail approfondi se traduisant, entre autres, par l’adoption d’un arbre à cames et de pistons spécifiques. La puissance effectuait un bond sensible en passant de 64 à 90 chevaux à 6700 tours, alors que le couple s’établissait à 10,5 mkg, disponibles à 5400 tours. Il suffisait de comparer ces données avec les fiches techniques de la Samba GLS ou de la 104 ZS pour déceler la différence substantielle de typage caractérisant la Rallye : d’une citadine rapide, plaisante à conduire mais civilisée, on passait à une authentique petite brute prête à courir et assez peu compatible avec une utilisation quotidienne, les redémarrages à chaud n’étant pas forcément une partie de plaisir… Commercialisée à la fin de 1982 en 200 exemplaires réservés aux pilotes professionnels, puis disponible dès le début de 1983 pour le grand public, la Samba Rallye a incontestablement inventé un style, que les 205 puis 106 éponymes — sans oublier l’AX Sport —, reprirent à leur compte par la suite : équipement minimaliste, insonorisation symbolique et bannissement général de toute affectation. Le dépouillement de l’ensemble ratifiait la sincérité de la démarche : le confort est souvent synonyme d’excès pondéral nuisible à la performance ; l’idée consistait à proposer aux pilotes amateurs un outil accessible, aussi léger que possible, n’ayant pas besoin d’une cavalerie délirante pour délivrer le plaisir attendu — et, accessoirement, se montrer compétitif en course !
Dédiée aux ennemis de la frime
Dans son numéro de janvier 1983, l’Automobile Magazine, sous la plume de Robert Séjourné, publia le premier essai de la Samba Rallye, sous le titre Le cheval de course le moins cher. Tarifée 45 900 francs — soient un peu plus de 14 000 euros actuels —, l’auto s’avérait extrêmement bien placée par rapport à ses rivales potentielles, dont aucune, toutefois, ne se rapprochait véritablement de la radicalité de la Talbot. La 104 ZS « 80 hp » coûtait le même prix à cent francs près mais souffrait d’un handicap de dix chevaux ; chez Citroën, la Visa GT utilisait le même moteur que la Peugeot mais sa philosophie sportivo-bourgeoise l’orientait vers une tout autre clientèle, tandis que la Chrono valait dix mille francs de plus. Robert Séjourné évoquait l’Alfasud Ti ou l’Opel Kadett 1600 SR, c’est-à-dire des modèles plus encombrants, plus lourds, nettement plus onéreux et qui, surtout, exigeaient une très sérieuse préparation pour pouvoir être homologués en course. En définitive, la Rallye ne se connaissait aucune concurrente réelle et les conclusions de l’essai étaient très positives : « Enfin, si le circuit le permet, dès qu’on passe la barre des 5 000 tr/mn, la mécanique se déchaîne. L’aiguille du petit compte-tours fait un bond rapide vers les 7 000 tr/mn et un son rauque se manifeste sous le capot, la Rallye dévoile alors ses réelles aptitudes sportives. » La vitesse maximale mesurée dépassait de peu les 170 km/h, mais l’essentiel était ailleurs : avec ses 785 kilos à vide, la Samba affichait un rapport poids/puissance redoutable, d’autant que la nouvelle entité Peugeot Talbot Sport, pilotée par Jean Todt et très vite désignée par les initiés sous l’acronyme PTS, ne tarda pas à proposer des kits destinés à accroître les possibilités du moteur qui, de la sorte, pouvait aller jusqu’à 135 chevaux, ou à adapter les suspensions aux diverses utilisations envisageables en compétition. Le saisissant contraste entre la pauvreté de l’équipement — même l’essuie-glace arrière était refusé à la Rallye — et le soin apporté à la définition de la mécanique ne laissait planer aucune ambiguïté quant à la vocation du modèle, imaginé à l’intention de pilotes authentiques et non pas de charlots à la godasse de plomb abonnés aux lignes droites.
Souviens-toi de m’oublier
De nos jours, lorsqu’on évoque le défunt Groupe B qui, jadis, fit les beaux jours du championnat du monde des rallyes, on songe spontanément à des bolides surpuissants comme la Lancia Delta S4 ou l’Audi quattro et, ce faisant, on oublie que des machines bien plus modestes furent également homologuées dans la même classe — et la Samba en fit partie. Base idéale pour les pilotes privés, la Rallye a ainsi mis le pied à l’étrier de nombreux talents, à l’instar de François Delecour, dont l’émouvant témoignage figure dans l’ouvrage de Christian Cazé, La Talbot Samba de mon père (éditions ETAI). Par ailleurs, toujours dans l’Automobile Magazine, on pouvait découvrir, en juin 1983, un comparatif entre la Rallye et la Visa Chrono « 1440 » préparée dans l’atelier de Denis Mathiot. Rédigé par le pilote Pierre-François Rousselot, le compte rendu de l’essai est éloquent : « Le train avant (…) s’avère très efficace : bonne motricité en sortie de virage serré et sous-virage raisonnable lors du franchissement, à la limite de l’adhérence, de grandes courbes rapides. Maniable, sain et amusant, tels pourraient être les qualificatifs apportés au comportement de ce châssis. » Moins efficace sur la terre que la Citroën, la Samba se rattrapait amplement sur le goudron, où son poids réduit compensait la faiblesse de sa cylindrée.
À près de quarante ans de distance, la lecture de ces différents sujets nous laisse une impression singulière, où la nostalgie le dispute à l’amertume. « Ce que l’indifférence disjoint, le regret l’accomplit », a écrit Marc Lambron. La suite de l’histoire est connue de tous : la Rallye a disparu en 1985, un an avant ses sœurs de gamme. On l’a vu, son concept lui a survécu de longues années durant chez PSA mais cela ne pondère guère la tristesse que l’on peut éprouver devant un tel gâchis, que l’on doit tout autant à l’incompétence des dirigeants du groupe qu’à l’irresponsabilité des syndicats qui, de façon suicidaire, sabotèrent la carrière de la Samba en multipliant les grèves et l’occupation de l’usine de Poissy au moment même où l’avenir du constructeur se jouait. Aujourd’hui encore, la Rallye survit dans la pénombre et n’intéresse qu’un nombre restreint de collectionneurs, d’autant plus que Talbot eut la mauvaise idée de dévoyer son appellation en rebaptisant la GLS « Rallye 80 hp » à partir du millésime 1985. Qu’on se le dise, la vraie Rallye, c’est bien la 90 chevaux, normalement reconnaissable à l’extracteur d’air en plastique noir fixé sur le capot… En septembre 2018, au cours d’une vente aux enchères organisée par la maison Leclère pour le compte de l’Aventure Peugeot, un exemplaire de 1983, conforme à l’origine et en excellent état, estimé entre 13 et 17 000 euros, n’a pas trouvé preneur, alors même que les voitures non coursifiées et demeurées dans leur état d’origine sont devenues rarissimes. Si vous en cherchez une, il vous faudra faire preuve de patience mais, croyez-nous sur parole, votre attente en vaudra la peine !