Ta berline est politique camarade
« Mon mari est Peugeot à mort » . C’est avec cette phrase vacharde que Nathalie Morin (Josiane Balasko) décrit son mari Bernard (Gérard Jugnot) dans Les Bronzés. Pas besoin d’explication à l’époque, chacun comprenant l’allusion, Bernard est un conservateur. A cette époque (début 70 fin 80), les modèles ou les marques, particulièrement en haut de gamme, ont un sens politique.
Les modèles Renault, fabriqués par une régie nationale et par des ouvriers ouvertement CGT, sont forcément « de gauche », tandis que les modèles Peugeot, fabriqués par une société anonyme, propriété d’une famille protestante et bourgeoise, représentent assez facilement la France de droite et conservatrice. Le cas Citroën est à part, et pourrait facilement représenter cette troisième voie que la France n’a jamais su trouver depuis l’époque Gaullienne.
En effet, pendant une décennie, la DS (et sa version plus abordable ID, lire aussi: Citroën ID et DS), compromis Gaullien entre tradition et modernité, singularité française et révolution technique, domine le haut de gamme français comme une évidence. Mais la DS ne survivra pas à Pompidou (contrairement à la SM, conservée comme la preuve d’une certaine gloire passée, lire aussi: SM Présidentielle), tout comme le Gaullisme. Désormais il faudra choisir entre Peugeot et Renault. Les Citroenistes quand à eux seront de moins en moins nombreux, considérés comme de doux dingues. D’ailleurs Citroën est racheté en 1974 par Peugeot, l’année de l’élection de Giscard.
Pendant ces années là, c’est la Peugeot 604 qui représente le pouvoir (lire aussi: Peugeot 604). Traditionnelle, elle l’est en tous points : carrosserie tricorps, propulsion, moteurs V6, inspiration Mercedes. Face à elle, un duo R20/R30 tendance « progressiste », très miterrandienne, traction avant, carrosserie à hayon, grappille du terrain petit à petit jusqu’à 1981 (lire aussi: Renault 20 et 30). En ce soir de mai, les conducteurs de Renault exultent tandis que ceux de Peugeot redoutent les chars soviétiques à Paris. Ironie de l’histoire, Bernard Morin roule désormais en R20 dans « Les Bronzés font du ski », malgré un embourgeoisement évident. Tout un symbole.
En 1984, Renault colle à la politique de gauche et sort la 25, très Fabiusienne, surtout dans sa version V6 Turbo Baccara « gauche caviar » (lire aussi: 25 Baccara). La R25 fait office de grande familiale abordable en bas de gamme (version TS) et de porte étendard en version baccara : la quadrature du cercle selon Renault. En face, la 604 fait de la résistance jusqu’en 86, et la CX elle jusqu’en 91 (lire aussi: Citroën CX). L’alliance RPR/UDF gagne les législatives 1986, mais sans leader, un peu comme PSA qui cartonne avec ses 205 et 405 sans haut de gamme à présenter, laissant le champs libre à la R25.
En 1990, la Peugeot 605 entend s’imposer haut la main sur le haut de gamme français (lire aussi: Peugeot 605), tandis que la Citroën XM persiste dans l’originalité malgré quelques concessions conservatrices (lire aussi: Citroën XM). Des problèmes de jeunesse ruineront les carrières de ces deux là malgré de grandes qualités. Mais il n’y a pas que cela : c’est la fin d’une époque. Les volumes de ventes des grandes berlines sont en baisse. La Safrane chez Renault n’arrivera pas à inverser la tendance. C’est la fin d’une certaine idée de la voiture, et en politique, le déclin des grands partis traditionnels. Jacques Chirac l’a bien compris et pour se démarquer de Balladur ou Jospin roule en Citroën CX. Une façon de montrer sa singularité, et un pari gagnant.
D’ailleurs, les grandes berlines se succèdent, comme les gouvernements, sans jamais trouver la solution. Les Vel Satis ou 607 se cassent les dents face aux allemandes. La Citroën C6 elle, arrive à contre temps et donc en retard d’au moins 5 ans, comme une sorte de Modem automobile. Les hommes politiques cherchent les symboles dans leurs voitures. Nicolas Sarkozy choisit la Peugeot 607 Paladine (lire aussi: 607 Paladine), symbole de la tradition liée à l’audace avec son toit arrière rétractable. François Hollande lui choisit la Citroën DS5 Hybride (lire aussi: DS5 Présidentielle), symbole du progrès et de l’innovation. On notera que désormais Renault n’existe plus en haut de gamme, se contentant de rebadger des berlines coréennes.
Le point commun de toutes ces berlines, de la DS de 1955 à la DS5 d’aujourd’hui, c’est l’échec à l’exportation. L’exception française ne se vend pas ailleurs, malgré toutes les tentatives, qu’elles soient automobiles ou politiques. N’est pas de Gaulle ni la DS qui veut.
Epilogue: Emmanuel Macron vient de remporter les élections présidentielles, et devient notre nouveau président. Convaincu par le travail fait pas les équipes de DS, il utilise pour son « intronisation » une DS7 Crossback spécialement conçue pour l’occasion (lire aussi: DS7 Crossback présidentielle). On pourrait y voir un signe, comme disait Goldman, mais en fait non: aujourd’hui, il n’y a plus de message politique, et Macron a fait au plus simple en acceptant la proposition opportuniste de DS. Heureusement, le message est passé autrement: avant de descendre en DS7, c’est en ACMAT VLRA qu’il a remonté les Champs-Elysées (une certaine idée de la France ? A moins que notre président soit très BR lui aussi ? lire aussi: VLRA).