Commencée il y a près de vingt ans, la saga des Mégane labellisées Renault Sport vient de s’éteindre avec l’entité qui leur donna naissance. Trois générations durant, la paisible compacte au Losange s’est donc métamorphosée en sportive de haut niveau, unanimement respectée – y compris de ceux qui, spontanément, n’auraient juré que par la propulsion… On le sait depuis la première Golf GTi, on peut aussi s’amuser au volant d’une traction et, si Renault a certes pris le train en marche, tardant même à rivaliser avec les machines les mieux motorisées du segment, on peut dire que Billancourt a par la suite largement rattrapé son retard, partant régulièrement à la conquête du meilleur chrono sur la redoutable boucle Nord. Pour autant, au regard de la postérité toutes les Mégane R.S. ne se valent pas et certaines sont d’ores et déjà très convoitées par les collectionneurs. En particulier l’éphémère et radicale R26.R !
De la R19 à la Mégane
De longues années durant, Renault s’est tenu à l’écart de la course à la puissance entretenue dès le milieu des années 1980 par plusieurs constructeurs de berlines compactes. De la sorte, aux VW Golf GTi 16s et Opel Kadett GSi 16v répondit la brillante Peugeot 309 GTi 16, bientôt elle-même concurrencée par la Golf GTi G60, tandis que, de l’autre côté des Alpes, une certaine Lancia Delta Integrale, dans ses diverses déclinaisons, mettait tout le monde d’accord… Pendant ce temps, l’ex-Régie, sans se désintéresser du sujet, ne se mêla que de loin au débat, tout d’abord avec la 19 16s en 1990, puis cinq ans plus tard avec le premier coupé Mégane – lequel reprenait la mécanique de feue la Clio Williams, forte de 150 ch. Jusqu’à l’aube du XXIe siècle, Renault aura ainsi rendu des copies irréprochables, qu’il s’agisse de la mise au point du fameux moteur « F » dans ses variantes successives ou de liaisons au sol qui ont souvent fait référence ; mais la presse spécialisée formulait toujours le même reproche à leur encontre : ces autos manquaient de sel, de maestria, de brio, et leurs châssis étaient généralement considérés comme surdimensionnés par rapport aux ressources des moteurs qu’ils emmenaient.
Cap sur la Nordschleife
Il aura fallu attendre 2004 pour que souffle enfin le vent du changement. Pionnier du turbocompresseur dans les années 80, Renault avait alors donné naissance à une longue série de sportives suralimentées à plusieurs échelons de sa gamme, allant de la citadine énervée (R5 Alpine Turbo puis Supercinq GT Turbo) à la familiale en survêtement (R18 Turbo puis R21 2L Turbo), en passant par l’ineffable duo R9/R11. Néanmoins, dans la décennie suivante, Billancourt avait brusquement tourné le dos à la rusticité du turbo, lui préférant la sophistication des culasses multisoupapes, qui permettaient de tenir tête à la surenchère technologique des Allemands et des Japonais. Toutefois, fallait-il donc impérativement choisir entre les deux solutions ? Hormis la très confidentielle 205 Turbo 16 de route, il est vrai que la première tentative française consistant à greffer un turbo sur un moteur à quatre soupapes par cylindre n’avait pas fait long feu – nous songeons bien sûr à l’éphémère 405 T16… Pourtant, c’est en reprenant ce principe, mis en œuvre sur la base de la très baroque Mégane II présentée en 2002, que les sorciers de Renault Sport vont élaborer la toute première compacte Renault capable de « faire des temps » sur le Nürburgring !
Esprit Alpine, es-tu là ?
La première Mégane R.S. apparaît donc au Salon de Francfort 2003. Son capot abrite le célèbre F4RT qui, reprenant la cylindrée de 1998 cm3 connue et très répandue chez Renault depuis la Clio Williams, a subi un véritable traitement de choc. Au vrai, le groupe « F » existe déjà, au préalable, en version « turbo light » de 165 ch – on peut notamment la trouver dans la Laguna II ou la malheureuse Avantime – mais les motoristes de Renault Sport Technologies, installés dans l’ex-usine Alpine de Dieppe, se sont évidemment orientés dans une tout autre direction. Dans la Mégane sommitale, la puissance fait un bond de 60 ch tandis que le couple passe de 271 à 300 Nm, disponibles dès 3000 tours/minute. Les chronos sont à l’avenant : Renault revendique une vitesse maximale de 236 km/h (sur circuit, bien entendu…), un 0 à 100 km/h abattu en 6,5 secondes et un kilomètre départ arrêté accompli en 26,7 secondes. De quoi tenir tête, pour ne prendre que cet exemple, à une Porsche Boxster 2.7 Typ 986, il est vrai alors à son couchant – et, surtout, de remettre les pendules à l’heure vis-à-vis des Honda Civic Type R, Ford Focus RS, Seat Leon Cupra ou Opel Astra OPC, rivales désignées de la Dieppoise, en cette époque où il est de bon ton de revendiquer le meilleur tour (pour une traction, s’entend) sur la Nordschleife !
Fille de la course
D’autant que la partie châssis n’est pas en reste. Chez Renault, on s’y entend depuis belle lurette pour mettre au point des trains roulants à la hauteur des attentes des conducteurs sportifs et, sur ce plan, la Mégane II ne déçoit pas en s’offrant un train avant spécifique à pivots découplés qui s’avère, à lui seul, responsable des qualités routières d’exception d’un engin bluffant de polyvalence. Capable de transporter une petite famille à grande vitesse sur autoroute dans des conditions de confort inconnues de la concurrence, la R.S. sait aussi gratifier son conducteur d’un tempérament particulièrement réjouissant quand la route se met à tourner, même si des esprits chagrins lui reprochent d’être un peu trop policée, pas assez caractérielle – car, naturellement, l’électronique veille déjà au grain et tue dans l’œuf toutes les velléités de survirage. Crédible à tous égards face à une Golf R32, la Mégane laisse cependant sur leur faim les plus radicaux des amateurs. Après une série « Trophy » déjà optimisée mais limitée à 500 exemplaires, la première réponse tangible de Renault arrive au Mondial de Paris 2006, sous la forme de la F1 Team R26, ainsi désignée en hommage à la monoplace du même nom avec laquelle Renault a remporté les titres pilote et constructeur cette année-là.
8 minutes 17 secondes
Outre un moteur désormais poussé à 230 ch, c’est surtout la présence d’un différentiel à glissement limité – équipement très peu répandu à un moment où la plupart des constructeurs préfèrent s’en remettre à l’électronique – qui convainc les amateurs. Ceux-ci remarquent également la présence en série d’un châssis « Cup », synonyme d’une efficacité encore accrue, au détriment du confort de roulage même si celui-ci demeure acceptable au quotidien. Tel n’est cependant pas le cas de l’évolution ultime de la R.S. : dévoilée en juillet 2008, la R26.R revendique sans ambages son caractère de pistarde accomplie. Si le moteur reste identique à celui de la R26 « de base », l’auto perd 123 kilos par rapport à celle-ci. Cet impressionnant gain de poids se perçoit aussi bien de l’extérieur (le capot moteur est en carbone) qu’à bord de l’auto, qui a perdu sa banquette arrière et la plupart des équipements de confort. Les sièges avant sont quant à eux remplacés par des baquets Sabelt équipés de harnais qui réjouissent les puristes mais sont évidemment très peu pratiques dans l’optique d’un usage quotidien, de toute façon peu recommandé aux dos sensibles étant donné la raideur extrême de la suspension. Automobile à piloter plus qu’à conduire, la R26.R – chronométrée en son temps à 8 minutes 17 secondes sur la boucle Nord – est sans conteste la plus captivante et la plus exclusive des Mégane R.S., comme en témoigne la cote des 450 exemplaires construits (dont 126 pour le marché français), tout près des 50 000 euros désormais…
Texte : Nicolas Fourny