Renault Fuego Turbo Diesel : un peu de désir sinon je meurs
Un coupé à moteur Diesel, il y a longtemps que cela ne surprend plus personne. Cela fait déjà deux décennies que des constructeurs aussi différents que BMW, Peugeot, Opel, Alfa Romeo, Mercedes-Benz ou Audi ont investi ce sous-segment de marché, avec des fortunes diverses. Toutefois, les choses étaient bien différentes il y a quarante ans et, au début des années 1980, l’association paradoxale d’un moteur a priori voué aux tâches laborieuses, et étranger à toute notion de plaisir de conduite, avec une carrosserie dédiée aux loisirs et suggérant la performance, ne pouvait que pétrifier d’horreur les partisans de la tradition, pour qui seuls les moteurs à essence étaient dignes d’intérêt. Ce sectarisme, qui perdure aujourd’hui encore chez certains esprits obtus, ne doit pas nous empêcher de nous intéresser à cette étrange machine, dont on ne peut même pas dire qu’elle a raté sa cible — puisque celle-ci n’existait pas !
Un feu déjà éteint
Pionnière incomprise, pari raté, tentative désespérée de ranimer l’intérêt autour d’un modèle très vite délaissé par la clientèle ou clairvoyance visionnaire ? La Fuego Turbo D, c’est peut-être un peu tout cela à la fois. Passée maîtresse dans l’art de bricoler des variantes inattendues en exploitant sans vergogne les composants disponibles sur ses étagères — même s’ils n’étaient pas forcément de première fraîcheur —, l’ex-Régie avait, au début de 1980, accouché d’une voiture censée prendre la relève du duo R15/R17, au moment même où les clients commençaient de se détourner des coupés « grand public » au profit des GTi. Dérivant étroitement de la R18 mais proposant un design bien plus novateur que celle-ci, la Fuego avait de quoi déconcerter les observateurs. Lever le capot d’un engin fréquemment comparé — à tort — à la Porsche 924 ne pouvait que provoquer un certain désappointement, dans la mesure où la gamme de lancement se trouvait couronnée par une GTS forte de seulement 96 chevaux. Non seulement ce niveau de puissance n’avait rien de particulièrement enthousiasmant (à titre d’exemple, une VW Scirocco GLi proposait, depuis plusieurs années déjà, un tout autre niveau de performances) mais, par-dessus le marché, il constituait un net recul par rapport aux défuntes R17 Gordini. Et, même sans avoir un chronomètre à la place du cœur, il n’y avait pas non plus de quoi se pâmer en détaillant les trains roulants de la nouvelle venue : tout bonnement repris de la R18 — qui n’était, en substance, qu’une R12 améliorée —, ils privèrent d’office la Fuego de toute crédibilité auprès des amateurs de conduite sportive, l’implantation de la mécanique en porte-à-faux, conjuguée au guidage insuffisant du train avant, dictant un comportement dramatiquement sous-vireur dès lors que l’on entendait mener la voiture avec un tant soit peu de dynamisme…
« Ça ne marchera jamais »
Dans ces conditions, les cinq années de carrière de la Fuego sur le continent européen — Renault s’obstina bien plus longtemps en Amérique Latine (avec notamment la GTA Max) — ressemblèrent à une série de rectifications destinées à corriger la maladresse du tir initial et, de la sorte, à restaurer la réputation du modèle auprès d’une clientèle plus ou moins définissable. Car, en vérité, l’identité de la voiture ne fut jamais clairement établie par le marketing de la firme ; s’agissait-il d’un coupé familial (mais ce n’était pas une raison pour sous-motoriser les versions de base de façon aussi flagrante) ? Ou les plus optimistes pouvaient-ils en espérer un niveau de performances suffisant pour pouvoir, à terme, engager la conversation avec une Lancia Beta 2000 ou une Audi Coupé GT5S ? Pour un constructeur généraliste, il n’est certes pas facile de se ménager une place dans une catégorie que chacun associe spontanément au prestige et/ou à la sportivité, surtout lorsque les moteurs disponibles n’ont rien de particulièrement exaltant. Ainsi, au printemps de 1980, la Fuego sommitale récupéra le 1 995 cm3 « Douvrin », bien connu sur le marché puisqu’il équipait déjà la R20 TS ou les Citroën CX d’entrée de gamme. Conservant comme de juste une alimentation par carburateur, ce groupe n’avait pas grand-chose à se reprocher sous le capot d’une berline familiale mais, une fois greffé dans une voiture que son constructeur présentait sans rire comme appartenant au segment du grand tourisme, son caractère effacé n’était qu’insuffisamment compensé par un niveau de performances plutôt correct pour l’époque. Les mentions « 2 litres » orgueilleusement apposées sur les montants de custode n’avaient cependant rien d’impressionnant lorsque l’on comparait la fiche technique de l’auto avec celle de ses rivales directes et, très vite, les ventes chutèrent de façon préoccupante — deux ans après le lancement de la gamme, elles avaient déjà baissé de 30 %. Mais les dirigeants de Renault, dans la meilleure tradition de la firme, ne tardèrent pas à imaginer une solution à laquelle aucun individu sensé n’aurait osé songer !
Trop chère, mon fils
« Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas ». Cette glaçante définition est due à Jacques Lacan et, d’un certain point de vue, on pourrait fort bien paraphraser le célèbre psychanalyste pour explorer le destin du premier coupé à moteur Diesel proposé en Europe. Ceux qui n’ont pas vécu la présentation officielle de la Fuego Turbo Diesel, en septembre 1982, éprouveront sans doute quelque difficulté à se représenter la stupéfaction, voire même l’incrédulité de la presse spécialisée à l’égard de la nouvelle venue. D’autant plus qu’il ne s’agissait pas de l’une de ces variantes expérimentales lancées en catimini, sans réellement y croire : l’auto a fait l’objet d’une campagne de publicité éloquente, qui revendiquait le titre de « coupé Diesel le plus rapide du monde » ! Argument facile, me direz-vous : on aurait aussi bien pu recenser les guitaristes manchots et zoophiles mais il faut néanmoins reconnaître que l’initiative de Billancourt ne manquait pas d’intrépidité. Substantiellement, l’idée consistait à récupérer le quatre-cylindres J8S apparu un an auparavant sur la R30 pour le greffer, tant bien que mal, derrière la calandre suggestive de la Fuego. Nanti d’un échangeur air/air encore peu courant en ce temps-là, ce 2 068 cm3 — qui perdura sans grandes modifications jusqu’à la Safrane — revendiquait un niveau de puissance qui n’avait rien de ridicule : avec 88 chevaux à 4 250 tours/minute, le moteur Renault faisait légèrement mieux que le 2,3 litres Indenor des Peugeot 505 et 604. Par surcroît, c’était un groupe moderne à arbre à cames en tête et tout en alu, dont la presse française avait unanimement salué les performances, y compris dans sa version atmosphérique. Pour autant, ce qui était acceptable au volant d’une R20 ou d’une R18 (fumées, vibrations, crépitements grossiers à froid) pouvait-il le rester lorsque l’on avait signé un chèque de 87 000 francs (c’est-à-dire tout de même 10 000 francs de plus qu’une Alfa Romeo GTV 2 litres, et à peine moins qu’une BMW 323i) ?
Ce n’est pas une bagnole, c’est un prophète
En décembre 1982, André Costa publia dans l’Auto-Journal un banc d’essai de la Fuego Turbo D, sous un titre évocateur : « Remarquable… mais pour quoi faire ? ». Extrêmement laudatif quant au comportement global de la voiture (« en deux mots, disons que les qualités routières de la Fuego Turbo Diesel sont celles d’une véritable voiture de sport »), le célèbre essayeur s’attardait sur l’agrément et la sensation de puissance prodiguées par les bons résultats du modèle en matière de reprises : « On éprouve réellement l’impression d’être amené par un engin puissant et ce comportement aide de manière assez spectaculaire à l’obtention de moyennes routières très supérieures à ce que l’on pourrait attendre d’un engin de ce style. » Au vrai, les performances chiffrées du coupé Renault ainsi gréé annonçaient assez précisément ce qu’allaient devenir les Diesel modernes durant la décennie suivante : des voitures devenues agréables à conduire, ayant banni le lymphatisme endémique de ce type de motorisation grâce aux bienfaits de la suralimentation et s’attirant les suffrages d’une clientèle élargie, séduite par un rapport performances/consommation jusqu’alors strictement inconnu. De fait, au début des années 80, dépasser les 170 km/h au volant d’un Diesel relevait encore de l’exceptionnel et, à cette aune, l’éphémère tentative de Renault — la Fuego Turbo Diesel ne figurera qu’un an et demi au catalogue — s’apparente à une sorte de prototype déjà très abouti, dont le tort majeur concerne l’emploi d’une carrosserie très vite ringardisée (les coupés ne restent jamais longtemps à la mode). En somme, la firme française aura eu raison trop tôt…
L’opinion de votre voisin n’a pas d’importance
Vers 1985, j’ai connu un professeur d’EPS qui roulait en Fuego TL (il est inutile de rigoler). Un jour qu’il se lamentait de n’avoir pas les moyens de s’offrir la R25 GTX de ses rêves, je lui fis remarquer que, somme toute, stylistiquement parlant sa voiture n’était rien d’autre qu’une R25 avec deux portes en moins et il n’est pas exagéré d’affirmer que le coupé, si méprisé de son vivant, a en quelque sorte servi de brouillon aux stylistes du Losange lorsque, sous la férule du regretté Robert Opron, ils dessinèrent leur première (et dernière) grande berline à succès. La thématique est globalement la même : une proue plongeante affublée d’un imposant porte-à-faux, une poupe haut perchée et, bien sûr, la très célèbre bulle tenant lieu de hayon. Tout cela définit un design dont le vulgum pecus se gausse souvent sans réfléchir, alors que les amateurs véritables y trouveront de multiples motifs d’intérêt. De nos jours, la Fuego vaut probablement mieux que l’opprobre et les quolibets qui lui collent aux pneus depuis sa naissance, son crime étant sans doute de porter un logo bien trop populaire pour échapper aux sarcasmes faciles. Son absence totale d’image et sa cote au ras des pâquerettes l’ont livrée à des individus peu recommandables (ou à des amateurs de tuning, ce qui revient au même). Il en reste désormais très peu en état de rouler et la Turbo D est certainement la plus rare de toutes. Sachez donc vous libérer du carcan des propos convenus et des jugements sentencieux qui répètent en boucle que « le Diesel n’a pas d’avenir en collection »… En l’espèce, ce sont les collectionneurs qui décident et, ne serait-ce qu’en raison de l’innovation qu’elle a représenté, voilà une machine bien plus captivante qu’on ne le croit en général, et qui mérite amplement d’être redécouverte !