Renault Dauphine USA : le fiasco du siècle
La Renault Dauphine est un bon moyen de mesurer les différences automobiles entre européens et américains. Vendue (et parfois soldée) pendant presque dix ans aux Etats-Unis (1957-1966), la Dauphine réussit à se classer 9ème sur 51 au classement des « pires voitures de tous les temps » du magazine Time. Petit florilège des citations : « la chose la plus inefficace de l’ingénierie française depuis la Ligne Maginot » ; « si vous vous teniez à côté, vous pouviez l’entendre rouiller » ; « mettre 32 secondes pour atteindre 60 miles à l’heure donnait à la Dauphine un sérieux désavantage lors d’une course de vitesse avec du matériel agricole »… Sévère… mais finalement relativement juste vu les mésaventures de Renault aux USA durant cette période.
Dès le lancement de la 4CV, le gouvernement français, à la recherche de devises (et surtout de dollars), poussa la Régie désormais nationale à exporter vers le pays de l’Oncle Sam. A partir de 1951, près de 170 000 exemplaires de la petite française se vendront aux USA, soit par le biais d’importateurs indépendants, soit via la société d’importation « officielle », Renault Incorporated. Lancée en France en 1956, la nouvelle Renault Dauphine est évidemment toute désignée pour continuer cette conquête de l’Ouest.
La Dauphine va recevoir des adaptations au marché américain : du chrome un peu partout (bah ouais, pas bête, c’est l’Amérique), un capot avant différent, des phares avant plus gros (on les retrouvera sur la 1093, lire aussi : Renault Dauphine 1093), pare-chocs plus imposant, avec des renforts tubulaires (qui lui vont pas mal d’ailleurs), chauffage « grand froid » sur certains modèles, filtre à air renforcé, feux arrières spécifiques à catadioptres séparés, éclairage de plaque, compteur en miles, et diverses petites différences (comme le renfort de la protection du réservoir, entre autre). Bref, on croit la Dauphine prête à conquérir l’Amérique.
Présentée le 22 mai 1957 dans un tout nouveau show room sur Park Avenue en présence de Pierre Dreyfus, le PDG d’alors, la Dauphine semble promise à une paisible carrière. Renault envisage un rythme de croisière à 25 000 exemplaires par an, un objectif pas si difficile à atteindre. Oui mais voilà, la Dauphine, ce sera un soufflet, qui gonflera, gonflera, gonflera, pour finir par s’écraser comme une crêpe. Car dans un premier temps, ce sera un succès incroyable. La petite voiture française, avec sa bouille craquante, sera l’icône des journaux de mode américains. Et le réseau de 900 dealers va réclamer de la Dauphine.
D’une certaine manière, on va plus se sentir pisser du côté de Billancourt, et les usines de Flins ou de Vilvorde vont produire à tout va des Dauphine « Export US », embarquées sur des Liberty Ships (des bateaux qui servaient au ravitaillement de l’Angleterre pendant la seconde guerre mondiale) achetés par Renault. Il faut dire que les ventes explosent entre 1957 et 1959 : cette année là, près de 100 000 Dauphine sont vendues sur le territoire américain (90 536 ex selon http://www.dauphinomaniac.org et 102 000 selon https://www.hemmings.com/). Cette euphorie conduira à commander et envoyer un paquet de bagnoles outre-atlantique.
Sauf que tout ne se passera pas comme prévu. Après l’enthousiasme du début viendra la Bérézina ! Fiabilité douteuse, certes, mais aussi rouille galopante pour les exemplaires en bord de mer ou régions humides, démarrage impossible pour les régions du Nord sujettes au grand froid, réseau bien en mal de fournir des pièces détachées, sans parler des voitures mal isolées qui laissent passer la poussière des régions désertiques.. Un vrai fiasco.
Avec les succès du début, la Régie a vu trop grand, à tel point qu’avec la chute des ventes dès 1960, les dealers se retrouvent avec l’équivalent d’une année de vente en stock. Cette année là, 62 177 Dauphine sont vendues, laissant près de 45 000 voitures sur les bras… Des voitures qui prennent la poussière, le vent, l’humidité, la rouille… Une perte sèche pour Renault, qui tentera de les reconditionner pour arriver à les vendre soit sur place, soit en Europe. Pire, en 1961, les ventes tombent à 28 000 ce qui est en soit un exploit vue la réputation déplorable de la voiture et de son réseau. Pour arriver à vendre, il faut baisser le prix de 200 $ (sachant que reconditionner les voitures coûte déjà 100 $).
Entre temps, la Régie aura tenté de refourguer la Floride, devenue Caravelle pour les Etats-Unis (lire aussi : Renault Floride/Caravelle) mais le mal était fait. Les exemplaires déjà fabriqués de la Dauphine et non rapatriés en France s’écouleront dès lors lentement mais sûrement jusqu’en 1966. L’engouement du départ laissera la place à un sentiment tenace aux USA : « les voitures françaises, c’est de la merde ». Malgré la ténacité de Renault à perdurer sur ce marché jusqu’à la vente d’AMC à Chrysler en 1987, et les tentatives de Peugeot pour s’imposer, les voitures françaises paieront toutes, d’une certaine manière, ce péché originel : une voiture pas préparée aux divers climats américains, pas adaptée dans certains cas, et surtout un réseau bâti de bric et de broc empêchant un suivi correct de la voiture. Vouloir voir trop grand, trop vite, trop tôt, aura privé Renault d’un enracinement américain que Volkswagen, le grand concurrent de l’époque avec sa Beetle, saura pérenniser ! Dont acte.