Renault 8 Gordini : école de conduite, concentré de nostalgie
La Renault 8 Gordini est une voiture parfaite justement parce qu’elle n’est pas parfaite, et c’est sans doute ce qui a fait sa gloire à l’époque. C’est sans doute ce qui fait aussi sa gloire aujourd’hui et sa cote particulière : prenez une voiture difficile à conduire (avec son sac à dos), obligeant à comprendre les réactions du dit bolide, à conceptualiser la répartition des masses et les trajectoires, un nom un peu légendaire (Amédée Gordini), un moteur et d’autres bricoles un peu préparés, deux bandes blanches en même temps sobres et distinctives, l’absence de réelle concurrence « nationale », un prix relativement faible par rapport à tout ce qui se prétendait vaguement sportif, une coupe « mono-marque » et « mono-modèle » susceptible de faire éclore de nouveau champion (et pourquoi pas vous, d’ailleurs), et une bonne dose de nostalgie aujourd’hui : vous obtenez la Renault 8 Gordini.
Revenons un instant dans les années 50 : Amédée Gordini, malgré toute l’aura qui le précédait, n’avait plus les moyens de rester indépendant, et de continuer à « entretenir à perte » son officine. L’offre de Renault de devenir le « sorcier » officiel des voitures de la marque est une sorte d’aubaine. Certains diront qu’il y perdit son âme, d’autres argueront qu’ils y auront gagné la Dauphine, la R8 et la R12 du même nom, enchantant tout une époque : désormais, on ne conduisait plus une Renault, mais une « Gord’ » ou « Gorde » ! Renault n’hésitera jamais à mettre en avant les produits Gordini dans ses communication : être une Régie Nationale n’empêchait pas, même à l’époque, de comprendre quelques rudiments de marketing et de communication !
Avant Gordini, il était difficile de vraiment s’appuyer sur un point d’accroche, en matière de communication : la 4CV R1063 n’avait pas de nom marketing suffisant. Pour la Dauphine en revanche, et grâce à l’intégration de Gordini, on pouvait rattacher un nom célèbre, et vendeur, à la version sportive de la gamme (lire aussi : Renault Dauphine 1093). D’autant qu’avec les dérivés sportifs issus de mécaniques similaires fournis par la Régie, il fallait faire avec une concurrence certes plus chère, mais assez attractive (lire aussi : Alpine A106). Un nom vendeur n’était pas un luxe, certaines compétences non plus !
En 1962, Renault lançait la 8 ! Une voiture très carrée dessinée par Gaston Juchet et Philippe Charbonneaux, qui contrastait avec les rondeurs de la Dauphine (lire aussi : Renault 8). Elle en était, d’une certaine manière, l’évolution. Mais avec elle, Gordini disposait d’une base connue pour développer une petite sportive populaire, et relativement abordable. Enfin, cela c’est l’imaginaire de ceux qui ont vécu de loin cette époque, car même en fin de carrière, en 1969, la Gordini en version « 1300 » uniquement disponible à l’époque, coûtait 15 340 francs, contre 9256 francs pour une Renault 8S ! La légende en prend un coup certes, mais c’était toujours moins cher qu’une A110 « Tour de France 1300 » de la même année, à 28 300 francs !
En fait, beaucoup rêvèrent de la Gorde, mais firent leurs armes sur des Major, et dans le meilleur des cas de 8 S, bien peu en « vrai Gordini ». Cela dit, elle était la « 205 GTI » des années 60, celle que l’on rêvait d’avoir, quand Peugeot n’offrait rien de tel dans sa gamme, encore moins Citroën. La 8, c’était la voiture des jeunes, dans les années 60 en tant que fantasme, dans les années 70 en tant que voiture d’occasion.
J’ai pu conduire à Montlhéry sur quelques tours une Renault 8 Gordini 1300 (donc 88 chevaux DIN) juste après une Dauphine R1093 : quelle progression, certes, mais il fallait à l’époque avoir un sacré coup de volant pour en profiter ! De toute façon, cette remarque est valable avec l’ensemble des voitures à moteurs arrières (et pas central arrière hein). L’équilibre est difficile à comprendre, sauf à y passer des heures. Comme toute voiture de l’époque qu’on conduit aujourd’hui, il faut donc comprendre la « gymnastique des masses » (néologisme que je trouve adapté) autant que le freinage « particulier », surtout si, pris par un excès de confiance, on commence à conduire sur un rythme élevé ! Mais ce qui pourrait être un défaut s’avère une qualité : elle était (et reste encore aujourd’hui) parfaite pour apprendre et comprendre le pilotage.
Deux facteurs permirent à la 8 Gord’ d’entrer dans la légende : les courses monotypes organisées par la marque, qui permirent l’éclosion de nombreux pilotes français, et entretinrent le rêve auprès de nombreux amateurs ; le faible coût en occasion dans les années 70 voire au début des années 80, permettant à une nouvelle génération de s’entraîner (voire de s’enrouler autour de platanes) hors de tout circuit officiel. Certains aujourd’hui en gardent encore beaucoup de frissons.
La Renault 8 Gordini apparaissait deux années après le lancement de la 8 « tout court », en 1964 : à cette époque, elle récupérait le 1100 travaillé par Amédée himself (R1134) pour 77 chevaux DIN. Suffisamment pour déjà amuser les pilotes en herbes ou les papas sportifs, mais pas suffisant pour Renault (ou Gordini?), au point de sortir la version 1300 cc deux ans plus tard, en 1966 (R1135) avec ses 88 chevaux DIN ! La même année, la Coupe Nationale Renault 8 Gordini était créée par le magazine Moteurs et Renault, avec le soutien de Dunlop. Au programme : courses de côtes et rallyes pour voir émerger une toute nouvelle génération de pilotes comme Jabouille ou Ragnotti. Tandis que depuis 1964, la R8 Gordini raflait quelques victoires en Rallyes officiels (Tour de Corse 64 ou Rallye du Maroc 68).
En mai 1970, la Renault 8 Gordini laissait la place à la R12 qui, pour les pilotes en herbe, présentait l’hérésie d’être une traction (ce qui en terme de facilité de conduite, était un progrès, lire aussi : essai Renault 12 Gordini) ! Cela ne l’empêcha pas d’avoir elle aussi son cercle d’afficionados (lire aussi : histoire Renault 12 Gordini). Toujours qu’entre 1964 et 1970, 2626 exemplaires de la 1100 et 8981 exemplaires de la 1300 furent construits. Une production relativement faible au regard de l’ensemble des 8 produites, qui explique aussi sa cote de plus en plus élevée, à mesure qu’elle disparaît et qu’elle s’idéalise (11 607 exemplaires, c’est en soi assez peu!). Même les 8S voient leur cote s’envoler, preuve qu’il s’agit plutôt de retrouver un concept (le moteur arrière façon sac à dos) et l’ambiance de l’époque plus qu’une Gord’ en particulier.
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES | |
Motorisation | |
Moteur | 4 cylindres en ligne position arrière (1134 / 1135) |
Cylindrée | 1108 cc (1134) ou 1255 cc (1135) |
Alimentation | 2 carburateurs double corps Solex (1134) ou Weber (1135) |
Puissance | 77,5 ch (1134) ou 88 ch (1135) DIN |
Couple | 10,4 mkg SAE (1134) ou 12,4 mkg à 5000 trs/min |
Transmission | |
Roues motrices | Propulsion |
Boîte de vitesses | Manuelle à 4 rapports (1134) ou 5 rapports (1135) |
Roues / Pneus | |
Pneumatiques | 135 x 380 / 4 x 15 |
Dimensions | |
Longueur | 3995 mm |
Largeur | 1490 mm |
Hauteur | 1370 mm |
Poids à vide | 795 kg (1134) ou 860 kg (1135) |
Performances | |
Vitesse maxi | 170 km/h (1134) ou 175 km/h (1135) |
Production | 2626 ex (1134) et 8981 ex (1135) / 1964-1970 |
Tarif | |
Cote moyenne 2018 | 30 000 euros |