Prost Grand Prix : chronique d'une chute annoncée
L’histoire du sport automobile est une affaire de spécialistes, et je m’attends déjà aux innombrables précisions, corrections voire oppositions à cet article. J’avoue même avoir depuis longtemps lâché l’affaire de la Formule 1, n’y trouvant plus mon intérêt. Malgré cela, j’avais envie de vous parler d’une histoire qui me passionne, celle de Prost Grand Prix. On y retrouve tous les ingrédients d’une bonne histoire malgré une fin pathétique : amour, haîne, jalousie, argent, orgueil, erreurs grossières et débuts en fanfare, politique ou chauvinisme ! Tout y est !
En ce début des années 90, il se passe beaucoup de choses en Formule 1, suffisamment en tout cas pour que je la regarde avec passion. Venturi s’engage dans l’épreuve reine (lire aussi : Venturi en F1) en rachetant l’écurie de Gérard Larrousse (l’aventure fera long feu), Renault motorise Williams, Peugeot devient motoriste de F1 à partir de 1994 (pour McLaren), et Ligier continue de survivre dans un monde de brutes. Les pilotes français sont là aussi, Jean Alesi ou Olivier Panis : bref, la présence française dans les paddocks contente mon côté chauvin !
Peugeot s’engage en F1 en 1994 avec McLaren.. .une association qui ne durera qu’une annéeMalgré le palmarès de Renault en Formule 1, c’est Peugeot que je soutenais ouvertement à partir de 1994 : j’avais été marqué par l’aventure des 205 en Rallye, des 205/405 en Rallye raid, et des 905 au Mans. Peugeot avait tout gagné à chaque fois, et j’étais persuadé qu’il en serait de même en Formule 1. Je soutenais aussi Ligier, par principe : j’aime les petits qui se battent contre les gros. Autant vous dire que j’ai sauté de mon canapé lorsque Olivier Panis, au volant de sa JS43 remporta le Grand Prix de Monaco de 1996 à la surprise générale.
Peugeot s’associera à Jordan, avant de rejoindre Prost au sein de Prost Grand PrixLigier justement est en mauvaise posture financière et donc sportive depuis longtemps. Alain Prost tentera d’ailleurs à plusieurs reprises, en 1992 et en 1994, de racheter l’écurie française, mais c’est Flavio Briatore qui l’a emporté, rachetant Ligier en 1994. Mais ce rachat est plus stratégique que sportif. Renault avait un accord de fourniture moteur avec Ligier, ce qui bloquait l’écurie Benetton dirigée par Briatore désireuse d’obtenir le fameux V10 français. En devenant propriétaire de Ligier, plus rien ne s’opposait au partenariat Benetton, aux dépends de Ligier obligée de se fournir chez Mugen-Honda à partir de 1995. D’ailleurs, si Ligier bénéficie de l’appui technique de Benetton, il ne faut pas s’attendre à des miracles, malgré un Tom Walkinshaw rompu au sport automobile à sa tête. Malgré ces handicaps, Ligier termine 5ème du championnat constructeur cette année-là. En 1996, l’écurie termine 6ème mais la victoire d’Olivier Panis à Monaco lui apporte un prestige inattendu.
La JS45 fera illusion durant la saison 1997 avec un Panis survolté avant son accident au Canada !Pendant ce temps-là, chez Peugeot, on mange son pain noir ! Divorcé d’avec McLaren après une seule année, la marque sochalienne se rabat sur l’écurie Jordan, dont elle devient le motoriste à partir de 1995. Cette année-là, Jordan-Peugeot finira 6ème derrière… Ligier. La saison 1996 sera un peu mieux, avec une 5ème place devant Ligier, mais sans victoire pour autant. Bref, Peugeot l’a mauvaise, d’autant que l’habitude de gagner commence à dater.
L’équipe Prost Grand Prix au grand complet !C’est en 1996 que tout va se jouer. Walkinshaw veut racheter Ligier à Briatore. Pour Guy Drut, ministre des sports, et Jacques Chirac, président de la République depuis 1995, il n’est pas question que Ligier passe à nouveau sous pavillon étranger. Ce sont eux qui vont pousser Alain Prost à racheter l’écurie de Magny-Cours. L’idée d’une écurie 100 % française voit alors le jour et Prost se laisse convaincre. D’autant que les négociations entamées avec Peugeot qui veut marquer un grand coup sont intéressantes : la fourniture gratuite pour 5 ans du V10 français, le soutien de Peugeot, y compris Jacques Calvet, tandis que des grands noms de l’industrie française s’engagent à devenir sponsors de l’équipe. C’est l’enthousiasme.
Avoir un quadruple champion du monde à la tête d’une écurie ça change la donne ? Pas sûr !C’est en février 1997 qu’Alain Prost devient véritablement propriétaire de Ligier, peu de temps avant le début de la saison 97. Trop tard pour que les accords avec Peugeot s’appliquent. On s’accorde donc le temps pour peaufiner le contrat, concevoir une nouvelle voiture pour la saison 98, dotée du fameux V10, et terminer les contrats avec Mugen-Honda pour l’un, avec Jordan pour l’autre. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, d’autant plus que le début de saison de la nouvelle écurie Prost Grand Prix est prometteuse : avant le Grand Prix du Canada, Panis pointe à la 3ème place du championnat pilote, rien que cela. Ce début d’année 1997 laisse entrevoir de grandes choses pour Prost Grand Prix, et pour la future association avec Peugeot Sport. Enfin, de grands sponsors comme Bic, Alcatel ou Canal + sont là comme prévu !
Pourtant, rien ne va marcher comme prévu. L’accident d’Olivier Panis au Canada ruine les espoirs de l’écurie française, obligée de trouver un remplaçant en catastrophe pour la fin de la saison : c’est Jarno Trulli qui s’y collera, jeune pilote prometteur mais qui n’arrivera pas à maintenir le même rythme. L’écurie finira 6ème au championnat constructeur, comme en 96 ! La dissolution de l’assemblée nationale par Jacques Chirac conduira à une cohabitation qui ne fait pas les affaires de Prost Grand Prix : Alain Prost perdra ses soutiens politiques, et le nouveau gouvernement Jospin, soutenu par les écologistes, refuse de promouvoir un projet automobile polluant (déjà), même au nom de l’image de la France. Enfin, Jacques Calvet part à la retraite, et son successeur chez Peugeot, Jean-Martin Folz, est beaucoup moins enthousiaste. D’une fourniture gratuite du V10 pendant 5 ans, on passe à une fourniture payante pendant 3 ans. Décidément !
L’AP01, première Prost Grand Prix à moteur Peugeot !La saison 1998 s’engage mal, et se terminera mal ! Un seul point marqué, une neuvième place au classement constructeur, la belle alliance franco-française ressemble dès le début à un fiasco. A leur décharge, il a fallu digérer des nouveaux règlements techniques, le déménagement à Guyancourt, et les problèmes de fiabilité de la boîte de vitesse. Une saison à oublier. La saison 1999 sera un peu meilleure, avec une 7ème place au classement constructeur, mais elle laisse surtout beaucoup d’espoir : si les 9 points marqués ne suffisent pas à déchaîner les foules, les occasions multiples de bien figurer laissent entrevoir de réels progrès. L’avenir sera-t-il enfin radieux pour Prost Grand Prix et son partenaire Peugeot ?
L’AP01 avec Panis à son volant !Plutôt que de stabiliser et faire progresser l’écurie pas à pas, Prost va prendre la décision de tout changer : changement de pilotes d’abord, avec Jean Alesi et Nick Heidfeld en lieu et place de Panis et Trulli qui n’avaient pourtant pas démérité ; Changement de designer avec Alan Jenkins en provenance de Stewart Grand Prix ; changement de sponsor ensuite, avec l’arrivée de Yahoo qui remplace Canal+ ; changement de moteur enfin, avec un tout nouveau V10 plus léger et plus puissant, le Peugeot A20. Beaucoup d’espoirs sont placés dans ce nouveau bloc, alors que l’année dernière des rumeurs avaient couru sur la volonté d’Alain Prost de changer de motoriste. Dès lors, les relations entre Peugeot et Prost n’avaient cessé de se dégrader. Hélas, ce nouveau moteur va au contribuer au contraire en envenimer les choses. Manquant de fiabilité et peu performant, ce V10 plonge Prost Grand Prix dans les abîmes du classement, tandis que Prost et Alesi le mettent ouvertement en cause dans le fiasco de cette saison 2000. Les relations deviennent exécrables, entraînant même la « grève » des salariés de Peugeot au Grand Prix de Magny Cours. La saison 2000 tourne même au ridicule avec un zéro pointé côté point, une dernière place au classement général (privant l’écurie des transports gratuits pour l’année suivante), le départ la queue entre les jambes de Peugeot, qui quitte la Formule 1 pour se consacrer au Rallye, et la fin des contrats de sponsoring, obligeant Alain Prost à se démener pour trouver moteur, investisseurs, et sponsors pour l’année suivante.
L’AP03, dernière monoplace « Peugeot » !Mais les ennuis ne s’arrêtent pas là, et Prost va se découvrir un nouvel ennemi par la force des choses. En effet, Renault s’apprête à revenir en Formule 1 en rachetant Benetton en mars 2000, et avec l’ambition d’une écurie 100 % Renault taillée pour gagner à partir de 2002. L’objectif est louable, mais dans l’esprit de Louis Schweitzer, Renault ne peut tolérer une concurrence française et fera dès lors tout pour éliminer l’autre écurie tricolore. Prost va donc faire les frais du grand retour de Renault. La tactique utilisée est simple : siphonner tous les sponsors de Prost Grand Prix arrivant à échéance. Autant dire que la saison 2001 s’annonce mal. Malgré le soutien d’Acer ou d’Adecco, les sponsors de la saison n’apportent pas autant d’argent que prévu. D’autant qu’il faut désormais payer un prix fou (28 millions de dollars) le moteur Ferrari qui remplace désormais le Peugeot ! Comble de malchance, Prost croyait avoir trouvé de nouveaux investisseurs saoudiens, mais le 11 septembre 2001 les fera renoncer à une trop grande exposition médiatique en ces temps troublés. C’est auprès de Pedro Diniz que Prost obtiendra de quoi « survivre » en lui vendant 40 % des parts. De quoi survivre mais pas assez pour espérer atteindre la saison 2002. Malgré un léger mieux par rapport à 2000, avec 4 points marqués, ce n’est pas suffisant, et Prost GP termine 9ème du championnat.
L’AP04 dernière du nom et son moteur Ferrari/Acer !Surtout, le 22 novembre, c’est le redressement judiciaire qui mettra un premier terme à l’affaire, avant la liquidation début 2002 et la vente aux enchères de tout ce qui pouvait combler le passif de 30 millions d’euros. Alain Prost gardera une dent contre Renault qu’il considère comme responsable de la fin de Prost Grand Prix. Mais l’association avec Peugeot n’est pas exempte de tous reproches. D’ailleurs, Prost a tout de même joué de malchance, même si beaucoup jugèrent le Professeur trop docte, trop cassant, et parfois trop inconstant. On ne peut cependant pas nier l’implication qu’Alain Prost a mis dans ce projet, et regretter qu’une écurie purement française du type Prost Grand Prix, mêlant un ex-quadruple champion du monde à un grand constructeur national motoriste, n’ait pas perdurée. Mais avec des si, hein… !
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