Porsche 928 Club Sport : l'inconnue dans la maison
« Conçue au départ pour supplanter progressivement la 911, la 928 pâtit encore, à l’heure actuelle, de la légende hégémonique de son aînée ; singulier destin que celui de cette GT pourtant ô combien talentueuse et qui n’aura pas ménagé ses efforts pour s’extirper de la semi-obscurité à laquelle ses caractéristiques l’avaient semble-t-il condamnée dès sa naissance »
Au long de ses dix-huit années de carrière, et comme toute Porsche qui se respecte, la 928 a connu de nombreuses évolutions, même si ses substrats techniques et architecturaux sont demeurés identiques. En série, il n’y eut ainsi ni cabriolet, ni version à quatre roues motrices, et du berceau à la tombe l’auto resta fidèle au V8 conçu pour elle — un moteur sans doute un peu « tendre » à ses débuts mais qui, toutefois, ne cessa de se bonifier. De nos jours, beaucoup d’amateurs considèrent que la version M28/41 dudit groupe est la plus homogène de la série. Avec ses 32 soupapes et un opportun réalésage ayant poussé la cylindrée jusqu’à la frontière des 5 litres, il s’agit sans aucun doute de la 928 de la maturité, près d’une décennie après la présentation initiale du modèle. Cependant, aux côtés des S4 et GT nanties de ce moteur et bien connues des amateurs, une variante oubliée végète encore dans ce que feu Serge Pozzoli appelait jadis les Tiroirs de l’inconnu : nous avons nommé la Club Sport !
L’ironie du sort
En juin 1987, en conclusion de son essai de la 928 S4 pour Automobiles Classiques, Pierre Dieudonné écrivait : « Un jour sûrement, son tour viendra d’être à la mode ». 35 années plus tard, force est de constater que cette aimable prédiction ne s’est pas encore réalisée. Comme à l’époque, l’auto est respectée mais — sans doute en raison de son statut unique dans l’histoire de Porsche et de son absence de descendance — continue de ressembler à ces rejetons surdoués qui embarrassent le reste de la famille. Conçue au départ pour supplanter progressivement la 911, la 928 pâtit encore, à l’heure actuelle, de la légende hégémonique de son aînée ; singulier destin que celui de cette GT pourtant ô combien talentueuse et qui n’aura pas ménagé ses efforts pour s’extirper de la semi-obscurité à laquelle ses caractéristiques l’avaient semble-t-il condamnée dès sa naissance. C’est certainement durant la seconde moitié des années 80 que Porsche mobilisa le plus ses ressources pour tenter d’infléchir la destinée de son modèle le plus abouti, dont il n’est pas inutile de rappeler que ses rivales se nommaient alors Ferrari 412, Mercedes-Benz 560 SEC, Jaguar XJ-S 5.3 ou BMW M635CSi ; on peut aller jusqu’à affirmer que la firme de Zuffenhausen se lança même dans une expérimentation hasardeuse, sous la forme d’une variante dépouillée dont on se demande encore à qui elle pouvait bien s’adresser…
Une bourgeoise déguisée en ascète
Dépouillée ? c’est vite dit, nous objecterez-vous après avoir pris connaissance de la fiche technique de l’engin. Il est vrai que la Club Sport n’a pas profité de l’occasion pour imiter les schèmes d’une Talbot Samba Rallye et l’habitacle de la 928 gréée de la sorte n’a qu’un lointain rapport avec une cellule de moine trappiste, bien que les équipements supprimés par rapport à une S4 aient été relativement nombreux : les commandes électriques des sièges avant, le verrouillage centralisé, l’essuie-glace arrière, l’antenne de toit, l’accoudoir central ou les pare-soleil arrière furent supprimés, de même qu’une partie de l’insonorisant moteur. Porsche parvint ainsi à réduire le poids de l’auto d’environ 120 kilos, ce qui n’était pas négligeable mais encore insuffisant pour en transfigurer la conduite ; luxueusement dotée au départ, la 928 demeurait toujours la grande voyageuse confortable que l’on avait appris à connaître et à apprécier. Bien entendu, les ingénieurs ne s’étaient pas contentés de supprimer des éléments de confort ; bien qu’affichant une puissance inchangée (toujours 320 chevaux à 6000 tours), le moteur bénéficiait d’une cartographie modifiée (avec une zone rouge à 6400 tours versus 6000 tours sur les S4), permettant, selon les chiffres officiels, de gagner 0,2 seconde sur le 0 à 100 km/h et, sur le marché français, dictant une puissance fiscale passant de 29 à 31 CV. De son côté, la boîte (exclusivement manuelle comme on s’en doute) proposait une démultiplication plus courte, tandis que les suspensions adoptaient des ressorts raccourcis de 20 mm.
Rare et ignorée
On l’aura compris : dans ces conditions, celui qui portait son choix sur une 928 Club Sport plutôt que sur une S4 ne devait pas s’attendre à conduire une machine radicalement différente — et en aucun cas à se trouver en présence d’une pistarde bruyante et dépourvue de compromis. Avec 1450 kilos à vide, le typage de l’auto n’avait pas changé et, de toute façon, il aurait été difficile d’aller beaucoup plus loin sans dénaturer sa personnalité. Club Sport ou non, la 928 a souffert toute sa vie durant d’une certaine ambiguïté dans son positionnement, un peu à l’instar d’une Citroën SM : pas assez luxueuses ou somptueusement finies pour pouvoir concurrencer les Mercedes ou les Jaguar, ces deux autos n’étaient pas non plus suffisamment sportives dans l’âme pour convaincre les conducteurs les plus exigeants. La CS témoigne à sa façon de cette identité erratique et démontre qu’une décennie après le lancement du modèle, son constructeur hésitait encore quant à sa destination précise, même si l’insuccès de la formule (on compte seulement 19 Club Sport « officielles », plus quelques pré-séries destinées à plusieurs pilotes maison, comme Derek Bell ou Jacky Ickx) a en soi constitué une forme de réponse… Contemporaine des 911 semblablement nommées, la 928 CS n’avait en réalité pas grand-chose à voir avec celles-ci et, aujourd’hui, elle excite beaucoup moins la plupart des collectionneurs, en dépit d’une incontestable rareté.
Pour ceux qui savent…
Rarissime et fourmillant de détails susceptibles d’éveiller l’intérêt des seuls initiés, la 928 Club Sport demeure néanmoins une voiture intéressante à traquer, si vous savez apprécier le charme déconcertant de la singularité et les modèles méconnus qui, pour s’exprimer poliment, n’ont pas trouvé leur public. Proposée seulement durant les millésimes 1988 et 1989, l’auto n’a pas connu de suite directe ; avant même sa disparition, Porsche a continué à tâtonner en scindant la gamme en deux versions, la S4 conservant le moteur 320 ch et l’exclusivité de la boîte automatique Mercedes, tandis qu’une inédite GT rejoignait le catalogue, proposant dix chevaux de plus et se réservant la boîte manuelle, avec la même démultiplication que la CS mais en conservant un équipement plus riche qu’icelle. Ce qui n’a pas fondamentalement changé la donne en termes de réussite commerciale, l’auto étant alors durement concurrencée par certains coupés japonais comme la Nissan 300 ZX, voire par la Mercedes SL R129, notamment sur le marché nord-américain.
Avec le recul que procurent les années, la Club Sport apparaît comme un jalon discret mais révélateur de la carrière d’un modèle incapable de trouver une destinée alternative à sa mission initiale et, dès lors, ballottée au gré des initiatives d’une firme qui n’avait pas encore réussi à s’extraire de la monoculture 911. Elle reste avant tout une 928, c’est-à-dire, à notre sens, la meilleure GT de son temps ; si vous en doutez, c’est que vous ne l’avez jamais conduite !
Texte : Nicolas Fourny