Porsche 924 S : je ne suis pas celle que vous croyez
La 924 fête ses quarante-cinq ans cette année et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette auto en aura entendu des vertes et des pas mûres durant les douze ans de sa carrière commerciale, puis au-delà : voiture de garçon-coiffeur (comme si cette estimable profession avait quoi que ce soit de péjoratif), trop chère pour une Volkswagen déguisée, freinage du type « trompe-la-mort », sans parler des parallèles douteux avec la Renault Fuego ou les critiques acerbes relatives à sa soi-disant sous-motorisation initiale. Sur ce dernier point, il est indéniable que les premières versions ne risquaient pas d’affoler véritablement le chronomètre mais, au fil des années, la première Porsche à moteur avant n’a pas manqué de se bonifier, comme en témoigne sa déclinaison « S » commercialisée sur le tard, mais dont l’homogénéité d’ensemble retient aujourd’hui l’attention des amateurs — forcément — éclairés…
Pas facile d’être une Volksporsche
Tout le monde est d’accord : l’Audi 100 (génération C2) est une excellente routière. Quand on l’évoque, chacun songe spontanément au célèbre « cinq pattes » maison qu’elle a inauguré mais elle était également disponible avec un moteur à l’architecture plus classique — en l’occurrence, un quatre-cylindres de 1984 cm3, codé EA831 au sein du groupe VAG et que l’on trouvait d’ailleurs également dans la fourgonnette VW LT. C’est ce groupe que l’on trouva sous le capot des premières 924, à l’automne de 1975. L’auto apparut comme un modèle de consanguinité entre Volkswagen et Porsche, bien longtemps avant que l’une ne prenne le contrôle de l’autre : issue d’un projet commun auquel la firme de Wolfsburg avait finalement renoncé, la 924 était construite dans l’usine Audi-NSU de Neckarsulm et, outre le bloc — surmonté néanmoins d’une culasse étudiée par Porsche —, elle recevait de surcroît une boîte d’origine VAG. Installée à l’arrière de la voiture, selon le principe de transmission dit transaxle déjà retenu pour l’Alfetta, elle transmettait à l’essieu postérieur les 125 chevaux délivrés par un groupe qui, apprécié dans la grande Audi, fit en revanche couler beaucoup d’encre une fois installé dans le nouveau coupé Porsche, et cette encre ressemblait souvent à du vitriol.
Vouée à remplacer la 914 à moteur central, la 924 suscita autant de réserves de la part des puristes que d’enthousiasme auprès de sa clientèle cible. Avec elle, Porsche entendait élargir son offre vers le bas, en proposant une machine à la fois récréative et polyvalente, nettement moins coûteuse que la 911 et plus facile à maîtriser pour des conducteurs qui n’avaient pas nécessairement le talent de Walter Röhrl. Commercialement, ce fut un carton plein : en Europe comme en Amérique du Nord (en dépit d’une puissance ramenée à 95 chevaux, soit à peu près l’équivalent d’une plébéienne Ford Capri de cylindrée comparable), la 924 parvint à conquérir toute une frange d’amateurs ravis de pouvoir certifier leur ascension sociale en roulant en Porsche, alors que la 911 la moins coûteuse leur restait inaccessible. À l’automne de 1976, cette dernière s’échangeait en effet contre 86 700 francs (soient environ 56 000 euros d’aujourd’hui), la 924 valant 56 500 francs (environ 37 000 euros). La publicité du constructeur insistait lourdement sur la parenté entre les deux gammes, sans pour autant nier la rupture technique et esthétique engendrée par sa plus récente création : « Le changement n’exclut pas la continuité. La nouvelle Porsche 924 rompt avec la ligne et la conception maison, mais qualité, performances et raffinement sont toujours signés Porsche. » On ne saurait mieux dire…
Rien ne remplace les centimètres cubes
De son côté, la presse spécialisée ne fut pas toujours tendre avec la nouvelle venue, et parfois avec des arguments injustes. Certes, l’auto ne possédait que quatre cylindres et la sonorité de sa mécanique n’avait rien à voir avec celle du légendaire flat six ; certes, les freins des premières séries se singularisaient par une efficacité et une endurance peu compatibles avec une conduite sportive ; mais, tout bien considéré, les 125 chevaux de la 924 n’étaient pas ridicules à un moment où la 911 la moins puissante n’en proposait jamais que 165, tandis que les trains roulants se montraient suffisamment à la hauteur de leur tâche pour que l’on puisse espérer la survenue de variantes plus ambitieuses. Il fallut cependant attendre 1979 pour voir apparaître une Turbo dont les 170 puis 177 chevaux constituèrent un incontestable progrès, avec un niveau de performances réellement compétitif.
Malheureusement, les acquéreurs potentiels ne se précipitèrent pas sur l’engin, il est vrai vendu 56 % plus cher que la 924 atmosphérique, ce qui rapprochait dangereusement son tarif de celui d’une 911 SC et, en dépit d’une ultime tentative avec la confidentielle Carrera GT de 210 chevaux, produite à moins de 500 unités au total, Porsche renonça à poursuivre le développement de son 2 litres. Et pour cause : dès 1982, la présentation de la 944 confirma que la marque avait décidé de s’engager sur une autre voie en extrapolant un tout nouveau quatre-cylindres du V8 de la 928. D’une cylindrée exacte de 2 479 cm3, il conférait à l’entrée de gamme Porsche des ressources plus conformes aux attentes, ses 163 chevaux représentant un appréciable progrès par rapport à la 924 de base. Toutefois, plus encore que l’accroissement de la puissance, c’est la générosité du couple disponible qui caractérisait le 2,5 litres, dont les 206 Nm déboulaient à 3000 tours/minute, déterminant un typage très différent de celui du 2 litres turbo (250 Nm à 3500 tours). La 944 ne cherchait pas à reproduire les performances de la 924 suralimentée ; les ingénieurs avaient avant tout choisi d’exploiter les potentialités d’une cylindrée confortable, offrant ainsi à la clientèle des « PMA » un surplus de performance et aussi d’agressivité esthétique, la carrosserie de l’auto s’inspirant largement des études réalisées pour la 924 Carrera GT.
L’heure de la réhabilitation a sonné
En 1983, la disparition de la 924 Turbo acheva de restructurer la gamme des Porsche à quatre cylindres, la 924 poursuivant sa route avec son moteur à aspiration naturelle et sa caisse « étroite », laissant à la 944 l’exclusivité du groupe 100 % Porsche qui avait été conçu pour elle et de la caisse « large », dont les ailes hypertrophiées semblaient revendiquer une sportivité accrue. Les choses restèrent globalement en l’état jusqu’en 1984, date à laquelle Volkswagen décida de mettre un terme à la production du groupe EA831, privant par ricochet la 924 du moteur qui l’animait depuis sa naissance. Qu’à cela ne tienne : Porsche implanta alors le 2,5 litres de la 944 dans la caisse « étroite », aboutissant à un séduisant hybride qu’en toute logique on baptisa 924 S ! À Zuffenhausen, la lettre « S » revêt depuis toujours une signification particulière et, cette fois encore, elle correspondit à une progression sensible des performances et de l’agrément d’utilisation. Quoique dégonflé à 150 chevaux afin de ne pas faire d’ombre à la 944 — potentiellement moins rapide à puissance égale, car aérodynamiquement défavorisée en raison de la largeur de sa carrosserie —, le gros 4 cylindres renforça notablement l’attrait de la 924, à laquelle on ne pouvait plus reprocher l’origine plus ou moins roturière de sa mécanique.
Au demeurant, les chiffres parlaient d’eux-mêmes : la vitesse maximale passait ainsi de 204 à 215 km/h et la nervosité n’était pas en reste, avec deux secondes gagnées sur l’exercice du kilomètre départ arrêté. Dès lors, en abordant la question de façon strictement rationnelle, la 944 justifiait plus difficilement son tarif, 25 % plus élevé ; mais cela ne l’empêcha pas de mieux se vendre que la 924 S : de 1986 à 1988, cette dernière trouva un peu plus de 16 000 acheteurs dans le monde, contre plus de 33 000 ayant opté pour la 944 durant la même période. Plus suggestive dans son design et bénéficiant du prestige de sa version Turbo, celle-ci demeura seule en lice dès 1989, la 924 S s’effaçant dans l’indifférence générale. De nos jours, elle relève pourtant d’un choix à la fois original et clairvoyant pour qui souhaite entrer dans l’univers des Porsche à moteur avant, moyennant un débours raisonnable : sur le marché allemand, les plus beaux exemplaires sont accessibles pour moins de 25 000 euros. Si vous souhaitez approfondir vos connaissances en la matière, nous ne saurions trop vous conseiller l’excellent ouvrage qu’Aurélien Gueldry a consacré en 2015 aux 924, 944 et 968 (éditions E.T.A.I.). Sa lecture vous confortera dans l’idée que, loin de la réputation surfaite que certains s’obstinent à entretenir, la 924 — et plus encore dans sa version S — vaut amplement le détour. À vous de savoir dépasser les apparences en infligeant aux pseudo-amateurs, volontiers goguenards, l’indifférence qu’ils méritent !
Texte : Nicolas Fourny