Peugeot 604 : apprentissage difficile pour la grande berline sochalienne
Chez Peugeot, l’appétit vient en mangeant. Après avoir modernisé son bas de gamme avec la 204 en 1965, avoir musclé son jeu dans les grandes berlines avec la 504 de 1968 (lire aussi : Peugeot 504), et s’être offert un milieu de gamme à pas cher avec la 304 en 1969 (lire aussi : Peugeot 304), la marque sochalienne n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Son sérieux, sa prudence, sa bonne gestion lui avait permis de grappiller des parts de marché mais désormais, il fallait s’imposer aussi dans le haut de gamme. Dès la fin des années 60, Peugeot y songeait, et les premiers prototypes commencèrent à rouler en 1971 : ce projet donnera naissance à la Peugeot 604.
Compléter la gamme par le haut, voilà la première mission de la 604, mais il y avait aussi un autre objectif : conquérir l’Amérique. Sans faire d’étincelles, Peugeot commençait à y trouver avec deux modèles, la 504 lancée là-bas en 1969 (et qui sera le vrai best-seller du Lion outre Atlantique), et la 304 introduite sur le marché américain en 1970 (si si, lire aussi : Peugeot 304 USA). Pour les stratèges de l’Avenue de la Grande Armée, il faut une berline de taille « américaine » pour enfoncer le clou, si possible dotée d’un moteur V8. Associé à Renault et Volvo au sein de la Française de Mécanique, Peugeot va se retrouver seul à désirer ce gros moteur et devra céder : la 604 devra se contenter d’un V6 dit « PRV » (Peugeot-Renault-Volvo) ouvert à 90°, la décision de la production du V8 sera ajournée avec la crise pétrolière de 1973 ! Bref, dès le départ, il faut réviser ses plans. Passons.
Le dessin de la 604 était du à une collaboration entre Peugeot (Paul Bracq notamment) et Pininfarina, sur un cahier des charges ultra-strict, ce qui explique une certaine sagesse. Il fallait séduire les américains avec une voiture sinon aussi grande, du moins pas trop ridicule. L’heure était au carré, aux angles : la 604 en est le parfait exemple, avec un dessin qu’on pourrait résumer par un rectangle à l’avant, un rectangle au milieu, et un rectangle à l’arrière : c’est pas compliqué le design industriel hein ? Bon ok, je simplifie, et la ligne recèle un peu plus de subtilité, mais la cible américaine est visible au premier coup d’oeil. Mais pas que : la cible est aussi étrangère, avec les allemandes, voire les anglaises, dans le viseur. Enfin, ça, c’était sur le papier.
On l’a vu, la 604 n’aura point de V8, mais un V6. Déjà c’était raté pour les States, il ne restait plus qu’à jouer là bas les seconds rôles (elle y sera importée de 1979 à 1984 à quelques centaines d’exemplaires). En outre, ce refus du V8 à cause de la crise pétrolière, c’était bien beau, mais le V6 PRV dans sa version carburateur s’avérait extrêmement glouton, pour une puissance relativement modique de 136 chevaux. Pour un moteur sensé être économe par rapport à un V8, on n’ose imaginer quelle aurait été la conso du 8 cylindres (pour info, le V6 PRV n’est pas un V8 amputé, mais les deux moteurs étaient étudiés en parallèle sur une même base. Pour info, le V6 Maserati de la SM est lui, effectivement un V8 amputé de deux cylindres, et on en a jamais fait le même fromage, prestige italien oblige).
Avant même le lancement de la grande 604, les dirigeants de Peugeot, qui avaient envisager un temps une production de 150 véhicules par jour au minimum (environ 40 000 ex par an), savent que l’objectif sera difficile à atteindre. Surtout que les économies réalisées en empruntant les portes de la 504, tout comme une grande partie de l’accastillage, rendent un peu cheap l’intérieur de la 604 sensée respirer le luxe. Voilà pourquoi dès le départ Peugeot va frapper à la porte de Chapron pour lui faire réaliser des versions plus luxueuses intérieurement, avec toit vinyle (la classe) : seuls une poignée d’exemplaires seront réellement vendus directement par le carrossier. Bref, malgré tout, la 604 a fière allure par rapport à sa concurrente présentée au même moment, la Renault 30 (lire aussi : Renault 30).
A l’originalité de l’une, l’autre répond par sa grande sagesse. L’une est une traction, l’autre une propulsion, mais toutes les deux partagent le même moteur. Au printemps 1975, chaque concessionnaire reçoit un exemplaire de la 604, tandis que les commandes sont ouvertes pour des voitures millésimés 1976 ! Pour cette première année, 10 284 exemplaires trouvent preneurs, soit en version SL manuelle (4 vitesses), soit SL Automatique (3 vitesses). Pas d’entrée de gamme, malgré la tentation, pas de 4 cylindres, que du V6 glouton.
En 1976, la production passe à 36 026 voitures produites, ce qui laisse entrevoir une réussite inespérée. Las, dès le début de 1977, les ventes fléchissent dangereusement. Il faut réagir, et conscient des faiblesses du PRV, Peugeot va opter pour l’injection, lançant pour l’AM 1978 (juillet 77) une 604 TI dont la consommation devient enfin raisonnable (enfin façon de parler), et qui gagne un peu de chevaux pour culminer à 144 ch, avec une boîte à 5 vitesses. Pour l’AM 1979, Peugeot va innover en lançant la première berline Turbo-Diesel du marché, un an avant Mercedes. La D-Turbo (2.3 Turbo Diesel) offre généreusement 80 chevaux. Entre temps, Heuliez s’est lancé dans la transformation des 604 en limousines : seuls 139 versions rallongées seront vendues (lire aussi : Peugeot 604 Limousine HLZ).
On l’a vu, 1979, c’est aussi le lancement de la 604 aux USA, dotée de gros pare-chocs immondes, disons le, et de nouveaux optiques avant. L’équipement est rehaussé, avec notamment la clim mais aussi le régulateur de vitesse. Le succès ne sera pas au rendez-vous, à tel point que certaines 604 françaises recevront des régulateurs fabriqués en trop grand nombre pour les versions américaines. Conscient que les objectifs sont loin du compte, absorbé par le rachat de Chrysler Europe gourmand en capitaux (lire aussi : Le rachat de Chrysler Europe), et désireux d’amortir au maximum la voiture, Peugeot va livrer en CKD des 604 à Kia, qui va écouler en Corée du Sud 381 exemplaires assemblés sur place (lire aussi : Kia 604).
Les ventes cependant ne décollent pas, stagnant aux alentours de 25 000 ex par an entre 1977 et 1979. Les modèles évoluent ensuite par petites touches, devenant STI et SRD Turbo en 1981. En 1981 d’ailleurs Talbot lance sa Tagora, dotée en version SX d’un PRV porté à 165 ch (lire aussi : Talbot Tagora): un projet Simca/Chrysler, le C9, trop abouti pour que Peugeot lancera tout de même, quitte à faire concurrence à son vaisseau amiral. Une concurrence pas si banale que cela : voyez plutôt, la Tagora fut fabriquée de 1981 à 1983 à 20 133 exemplaires. Sur la même période, la 604 est produite à 16 370 exemplaires. En 1983, décision est prise d’arrêter la Tagora (dont quelques exemplaires encore en stock se vendront en 1984), mais pas la 604. Etrange décision pour un modèle plus ancien, en perte de vitesse, et finalement surclassé par la grande Talbot (notamment dans sa version SX).
Au lieu de cela, en 1984, la STI devient GTI (oui le sigle est à la mode à ce moment là, même sur une grande berline), et s’offre un PRV à 10 chevaux de plus (155, mais c’est toujours 10 de moins que le PRV de la Tagora, ce qui, avouez-le, est assez étonnant). La 604 sera fabriquée jusqu’en 1985, et vendue jusqu’en 1986. survivant 2 ans à la Tagora pourtant plus récente, qui aurait pu faire le lien avec la 605 apparue en 1989 si on avait bien voulu la vendre, que ce soit sous le badge Talbot ou dans une version restylée Peugeot. La 604 en tout cas n’aura trouvé que 153 252 clients. Même la 605, sa descendante, considérée comme un échec, se vendra sur une période équivalente, à 254 501 unités.
Au chapitre des curiosités, sachez qu’il existe deux exemplaires d’une version Landaulet (lire aussi : 604 Chapron Landaulet). Mais il serait sans doute plus judicieux de vous rabattre sur des « classiques », et particulièrement à injection (TI, STI ou GTI), les SL ayant le charme des « débuts » certes, mais bon, à vous de voir. Les D-Turbo et SRD Turbo peuvent être aussi un bon choix si le mazout ne vou rebute pas trop. Enfin, les versions américaines sont désirables, malgré leur drôle de look, mais ça c’est mon côté décalé.