Opel Omega (B) V8 : le vaisseau-amiral fantôme
Pour beaucoup d’amateurs d’automobiles français, le positionnement de la marque allemande Opel (aujourd’hui dans le giron du groupe PSA) a toujours été flou. Pour certains, c’était « cheap et beauf », pour d’autres « du solide et du sérieux », et pour la majorité c’était… bah justement, c’était pas grand chose. En Allemagne, c’était un peu différent. Constructeur généraliste, Opel cherchait quand même à rivaliser avec ses compatriotes spécialistes BMW, Mercedes ou Audi en proposant en haut de sa gamme de grandes berlines qu’on nommerait aujourd’hui « d’access-premium ». Acheter une Opel Omega, c’était un peu un achat malin, obtenir le luxe au prix de l’ordinaire. Avec une gamme coiffée par une MV6 (V6 3 litres de 211 chevaux), l’idée vint à l’état-major du constructeur d’aller encore plus loin, et de concurrencer les autres grandes berlines allemandes avec sa vision d’une Omega B V8.
Avant toute chose, replaçons l’Omega B (puis B2, restylée en 2000) dans son contexte : on pourra toujours en rire, mais avec 815 322 exemplaires produits en 10 ans (1994-2003), on peut tout de même parler d’un certain succès quand nos grandes berlines françaises n’arrivaient même pas à la moitié de ce chiffre (pour une période comparable, 1992-2000, la Safrane se vendit à 310 000 unités seulement, lire aussi : Renault Safrane). Lorsque l’idée d’une version haute dotée d’un V8 surgit chez Opel, en 1998, la voiture existait déjà depuis 1994, mais devant le succès certain du modèle, il ne devenait pas incongru de penser à un modèle V8 (surtout sur un modèle « propulsion » classique).
A contrario de la précédente Omega (A) et de son dérivé Lotus (lire aussi : Lotus-Omega), le nouveau flagship se voulait concurrent des BMW 535i et 540i, ou de la Mercedes E420/E430 : il s’agissait d’offrir le velouté et la puissance onctueuse d’un V8 coupleux plutôt que de créer une berline sportive type BMW M5. Grâce à la banque d’organe du groupe GM alors propriétaire d’Opel, il n’y avait même pas besoin de développer un nouveau moteur : il suffisait d’aller faire ses courses chez Chevrolet, et de revenir (comme le faisait depuis longtemps Holden en Australie) avec le LS1 V8 5.7 litres de la Corvette, juste retravaillé pour proposer moins de puissance (315 chevaux) et moins de bestialité.
Les premiers travaux pour adapter l’Omega à son nouveau moteur commencèrent en octobre 1998. Le planning prévoyait la sortie des premiers modèles de série pour l’année 2000, à l’occasion du facelift de l’Omega (dite B2). Le premier problème fut d’arriver à faire rentrer le moteur dans la voiture, obligeant à la conception d’un nouveau compartiment moteur, et d’un nouveau carter d’huile. Côté boîte de vitesse, il était impossible de trouver chez GM ou Opel une boîte manuelle adaptée à ce moteur, et il fallut se rabattre sur la boîte automatique 4 vitesses 4L60E.
Les premiers prototypes commencèrent à rouler au milieu de l’année 1999, tandis que les services de communication d’Opel commençaient déjà à parler de leur futur vaisseau-amiral. En septembre de cette même année, la firme allemande présentait au salon de Francfort une Omega B V8.com, un concept-car sur la base d’un break rallongé, et équipé de tous les gadgets technologiques et de communication de l’époque (c’était très à la mode, un an avant, Citroën présentait la XM Multimédia), et bien entendu du V8 5.7.
En mars 2000, au Salon de Genève, Opel présentait cette fois-ci le modèle quasi-définitif, une berline, qui ne reprenait pas l’empattement rallongé de la V8.com. Tout semblait prendre le chemin d’une commercialisation en septembre de la même année. Et puis… Plus rien, silence radio, plus de nouvelles de l’Omega V8, qui ne rentrera finalement jamais en production. Pourquoi, alors que le gros du travail avait été accompli, et que 32 prototypes et modèles de pré-série avaient été construits, fut-il décidé de stopper le projet ?
Officiellement, les rares informations expliquant ce raté étaient d’ordre technique. Un problème de refroidissement du moteur fut d’abord invoqué, bien que celui-ci prenait déjà place sans problème sous le capot des Commodore australiennes (type VT) dérivées de l’Omega B. On expliqua ensuite que la boîte automatique 4L60E n’était pas adaptée à la conduite européenne, et se trouvait incapable de tenir sur une longue période à un rythme de 6000 tours/minutes : modifier cette boîte aurait coûté trop cher, et aurait pris trop de temps : la fin de l’Omega B approchait à grand pas.
Officieusement, on parle aujourd’hui d’une certaine tièdeur américaine sur ce projet (pour ne pas parler de veto): entre la Saab 9-5 non disponible en V8 mais présentée comme premium (lire aussi : Saab 9-5 OG), et la Cadillac Séville STS dotée, elle, d’un V8 Northstar de 4.6 et 305 chevaux que GM tentait d’imposer en Europe comme son véritable haut de gamme, il y avait peu de place pour cette Omega V8. Enfin, la voiture arrivait en fin de vie, et le futur s’annonçait différent chez Opel : abandonnant la classique berline 3 volumes, les designers et marketeurs s’engageaient dans une nouvelle voie, préparant la Signum (lire aussi : Opel Signum) qui ne jouait absolument plus dans la même catégorie.
L’Omega V8 restera donc un projet sans suite. Il semblerait qu’un certain nombre des 32 prototypes continuèrent à servir au sein de l’usine de Rüsselsheim durant quelques années comme voiture de service : que sont-elles devenues aujourd’hui ? Mystère. Aussi, si un jour vous tombez, soit dans la circulation allemande, soit parmi les petites annonces teutonnes, sur une drôle d’Omega siglée V8, ne laissez pas passer votre chance !