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Si l’on évoque les coupés allemands de moyenne gamme mais confortablement motorisés des années 1980, il y a de fortes chances pour que seules deux marques vous viennent spontanément à l’esprit : BMW et Mercedes-Benz. De fait, chacun de ces constructeurs, dans des styles certes différents, représentait alors une sorte de climax en termes de maîtrise technique, de qualité de conception et de construction comme de performances, laissant le soin à leurs rivaux européens de jouer les seconds rôles. Parmi ceux-ci, Opel fut l’un des rares à tenter l’aventure, par le truchement d’une Monza qui n’a laissé que des bons souvenirs à ses conducteurs – ce qui n’a hélas pas suffi à assurer son succès, l’auto ayant été, à l’évidence, avant tout pénalisée par la roture de son label. Pourtant, ceux qui l’ont snobée à l’époque (et qui persistent à l’ignorer aujourd’hui) ne savent pas ce qu’ils ont raté…
La perfection était en route
Il faut reconnaître une certaine constance dans l’effort aux dirigeants de l’ex-filiale européenne de General Motors – tout du moins à ceux qui présidèrent aux destinées d’Opel dans les années 60, 70 et 80 ; ensuite, les choses ont mal tourné mais il n’en demeure pas moins que la firme de Rüsselsheim s’est évertuée, des décennies durant, à concurrencer Mercedes et BMW en concevant des berlines et des coupés dont la fiche technique n’avait, en théorie, pas grand-chose à envier aux voitures de Stuttgart ou Munich. Ainsi, se souviendra-t-on (ou pas) des Kapitän, Admiral et Diplomat – cette dernière ayant même reçu un très opulent V8 Chevrolet – puis des coupés Commodore GS et GS/E, dont les ultimes versions tutoyaient sans vergogne les chronos des Mercedes 280 C ou BMW 2800 CS contemporaines… Las, rien n’y a fait et, en dépit de ces efforts méritoires, le statut d’Opel n’a jamais vraiment évolué. Appréciée avant tout pour la robustesse de ses voitures, l’entreprise n’est jamais parvenue à se défaire de son image – infamante aux yeux de certains – de constructeur de masse, voué à produire en très grande série des bagnoles certes solides et sans histoires, mais dépourvues de tout prestige. Sentence injuste s’il en est, surtout lorsque l’on aborde le cas de la Monza qui nous occupe aujourd’hui…
BMW et Mercedes dans le viseur
À la disparition de la Commodore B, en juillet 1977, le haut de la gamme Opel se trouve momentanément veuf de tout coupé, alors que plusieurs constructeurs, généralistes ou spécialistes, demeurent présents dans ce segment de marché – que l’on songe à la Peugeot 504, à la Lancia Gamma ou à l’Alfa Romeo Alfetta. La nouvelle Commodore C – qui, comme sa devancière, n’est qu’une variante embourgeoisée de la Rekord E (vous suivez ?) – est toujours exclusivement animée par des moteurs six-cylindres, mais n’est proposée qu’en berline à deux ou quatre portes, puis en break. Aucun coupé n’est prévu, et pour cause ; Opel a décidé de lancer une nouvelle offensive dans le haut de gamme, qui va se matérialiser sous la forme d’un duo aux appellations inédites : la berline Senator et le coupé Monza ! Présentés en au Salon de Francfort 1977 puis commercialisés au mois de mai suivant, les deux modèles ne dissimulent pas leur étroite parenté avec les Rekord et Commodore datant de l’année précédente ; ils en constituent, en quelque sorte, un développement nettement plus ambitieux, aussi bien du point de vue stylistique que pour ce qui concerne leurs motorisations. Dès l’abord, la berline comme le coupé reçoivent en effet un nouveau 3 litres à injection Bosch L-Jetronic dont les 180 ch permettent à la Monza de rivaliser avec les récentes Mercedes 280 CE (6 cylindres, 2,8 litres, 177 ch) et BMW 630 CS (6 cylindres, 3 litres, 185 ch).
Une nouvelle ère
Dessinée en interne sous la supervision de Henry Haga – qui dirigea le design Opel de 1974 à 1980 – la Monza surprend agréablement les observateurs par sa ligne fastback, qui rappelle celle de la Manta CC présentée en 1977. Contrairement à la plupart des autres coupés de sa catégorie, l’auto comporte un large hayon donnant accès à une capacité d’emport honorable, que la banquette rabattable peut encore améliorer. Ce choix permet à la Monza de se démarquer résolument de la Senator, dont elle reprend toutefois la proue, le pare-brise et le mobilier de bord. Cette carrosserie, tout à la fois élégante et fonctionnelle, ne comporte aucune outrance esthétique, ni de fioritures superflues – le spoiler avant et le becquet arrière sont ainsi intégrés très proprement à l’ensemble. L’amateur peut également s’estimer satisfait lorsqu’il prend connaissance des chronos de l’engin qui, dans sa version 3.0 E, atteint, selon l’Auto-Journal, une vitesse maximale de 210 km/h, le kilomètre départ arrêté étant abattu en 30,5 secondes. La plupart des essayeurs de la presse spécialisée louent de surcroît le comportement routier de la Monza, qui partage avec la Senator une caractéristique bienvenue : ce sont les premières Opel dotées de roues arrière indépendantes ! Par rapport aux anciennes Commodore, le progrès est flagrant à tous égards ; à la rusticité d’un châssis dépassé et peu avare en ruades de toutes sortes succèdent des liaisons au sol en tous points dignes de la concurrence la plus affûtée.
Le diable est dans les détails
Pour avoir fréquemment pratiqué la Monza dans plusieurs de ses déclinaisons il y a une vingtaine d’années, je puis témoigner des ambiguïtés de l’objet. À bord, vous attend une étrange agrégation entre la raideur luthérienne de la sellerie – dont les couleurs souvent improbables réjouiront à coup sûr les amateurs du style seventies – et la prodigalité de l’équipement, sans grand rapport avec le scandaleux dépouillement des BMW ou Mercedes de la même époque dans leurs exécutions de base. Manifestement, les responsables du projet ont voulu faire cossu, mais ce n’est pas vraiment réussi. Les matériaux sont tous de bonne qualité et bénéficient d’un assemblage très correct, conçu pour durer. Malheureusement, il manque à cet habitacle plutôt accueillant ce qui ne peut s’acquérir qu’avec un certain savoir-faire – c’est-à-dire du cachet. À l’automne de 1979, une Monza 3.0 E coûtait 87 570 francs (soit environ 48 000 euros de 2023) alors qu’il fallait débourser presque 50 % de plus pour rouler en BMW 628 CSi, pourtant à peine plus puissante ; quand vous séjournez successivement dans ces deux modèles, vous comprenez très vite d’où provient cette différence de prix. L’image des constructeurs les plus réputés ne vient pas de n’importe où ; à partir d’un certain niveau, la puissance, la performance pure, la générosité de l’équipement ni même la qualité de l’ingénierie ne suffisent plus. Il faut parvenir à s’éloigner de la plèbe et de la grande série pour offrir ce sentiment d’exclusivité qu’une planche de bord à peu près identique à celle d’une Rekord contemporaine est incapable d’offrir…
La cruauté de l’oubli
Construite jusqu’en 1986 à un peu moins de 44 000 exemplaires, la Monza n’a pas fait de miracles : pour mémoire, de 1977 à 1985 Mercedes a réussi à écouler presque 100 000 unités de son coupé C123, sensiblement plus onéreux… Opel a pourtant fait feu de tout bois pour soutenir son coupé haut de gamme, en multipliant les versions ; après le restylage intervenu en 1982, l’auto fut également proposée avec des quatre-cylindres sans relief mais susceptibles de contenter les conducteurs au tempérament paisible. À l’autre bout de la gamme, la GSE, à la physionomie plus agressive, exclusivement dotée du moteur 3 litres et équipée d’un différentiel autobloquant, demeure aujourd’hui encore une compagne de route extrêmement fréquentable… Pour autant, l’auto n’a d’ailleurs pas connu de descendance directe, la Calibra lancée en 1989 étant nettement plus compacte. Jamais à court de mauvaises idées et après le concept-car sans lendemain présenté en 2013, Stellantis envisagerait de commercialiser prochainement un SUV haut de gamme reprenant le nom de Monza. Ce ne serait guère rendre justice à cette machine dont le patronyme évoque davantage la performance et le grand tourisme que le pénible conformisme du marché actuel, déjà saturé de bousins ridiculement surélevés et plus ou moins interchangeables. De son côté, la Monza – la vraie – mériterait davantage d’attention de la part des amateurs de youngtimers. Sa cote est toujours inexplicablement basse ; même sur le marché allemand, les plus beaux exemplaires n’atteignent pas les 15 000 euros. Sachez en profiter avant tout le monde !
Texte : Nicolas Fourny