Durant les années 1960 et 70, plusieurs petits constructeurs européens développèrent des coupés de grand tourisme plus ou moins confidentiels et destinés à rivaliser avec la fine fleur du Vieux Continent, de Ferrari à Aston Martin en passant par Maserati, Jaguar ou Lamborghini. Faisant toutes appel à des moteurs américains, la plupart de ces officines virent le jour en Italie, à une ou deux exceptions près – dont l’entreprise fondée en 1967 par le Suisse Peter Monteverdi. Et à l’instar de la quasi-totalité de ses concurrents transalpins, celui-ci ne se contenta pas de concevoir des sportives à deux portes, mais proposa, de 1970 à 1978, l’une des plus fascinantes et méconnues berlines de l’après-guerre : nous avons nommé la High Speed 375/4 !
C’est l’histoire d’une revanche
Né en 1934 à Binningen, dans le canton de Bâle, Peter Monteverdi développe l’affaire créée par son père et devient le représentant officiel de plusieurs marques de prestige, dont Ferrari, avec lequel les relations vont cependant tourner court. Un peu à la manière de Ferruccio Lamborghini, Monteverdi décide alors de lancer sa propre marque en développant des modèles de grand tourisme destinés, entre autres, à concurrencer son ancien partenaire. Comme Bizzarrini, Iso ou De Tomaso, la petite firme se tourne vers la solution la plus commode à l’époque, en se procurant un V8 américain pour animer ses voitures. Le groupe retenu provient de chez Chrysler ; il s’agit d’un moteur Hemi développant de 375 à 450 ch SAE (la désignation des modèles correspondant à leur puissance nominale). Les premières voitures produites sont des coupés et cabriolets dessinés par Pietro Frua et dont la production est en partie assurée, à partir de 1969, par la carrosserie Fissore. C’est l’année suivante que Monteverdi présente sa première berline (qui ne connaît aucune rivale chez Ferrari), dont la très discrète carrière durera jusqu’en 1978.
Un choc esthétique
Quel que soit l’angle sous lequel on la contemple, la 375/4 ne ressemble à aucune autre berline, que l’on se tourne vers des modèles de (relative) grande diffusion – Mercedes-Benz Classe S ou Jaguar XJ par exemple – ou que l’on considère des créations plus artisanales – nous songeons entre autres à l’Iso Fidia ou à la Maserati Quattroporte, sans parler de la malheureuse et éphémère Monica. Et sa dissemblance avec le tout-venant est délibérément violente, disruptive, presque punk dans son approche : Frua s’est emparé des codes de la berline de luxe classique pour les disloquer sans ménagement avant de les réinterpréter en s’écartant de toute convention. Les proportions de la 375/4 sont à proprement parler saisissantes : basse, acérée et provocante, l’auto présente un traitement inédit des trois volumes qui constituent sa carrosserie, laquelle rappelle à chaque instant sa filiation avec la GT dont elle est issue. Sa grammaire évoque la puissance avant de se préoccuper d’un luxe dont on devine la consistance, mais qui passe à l’arrière-plan ; la berline Monteverdi est de celles qui donnent d’instinct l’envie d’en prendre le volant au lieu de se blottir mollement à l’arrière.
Une voiture qui monte et verdit
Car, somme toute – et comme son nom l’indique – la 375/4 n’est rien d’autre qu’une sorte de coupé à quatre portes avant l’heure, c’est-à-dire une rivale de choix pour la rarissime Lagonda établie sur la base de l’Aston AM V8 (sept exemplaires), elle aussi construite sur la base d’une GT à moteur V8 et elle aussi tombée dans l’oubli. Elle reprend donc le typage de sa matrice et l’intégralité de sa base technique ; le châssis tubulaire de la 375 originelle a simplement été rallongé de 51 centimètres afin de ménager un espace suffisant aux passagers arrière, l’empattement atteignant à présent 3,15 mètres. Lesdits passagers voyagent dans un environnement dont l’opulence s’inspire des meilleures réalisations européennes : cuir généreusement distribué, boiseries sur certains exemplaires, sans oublier les babioles devenues banales aujourd’hui mais qui, en ce temps-là, étaient encore réservées aux hauts de gamme véritables, à commencer par la climatisation – indispensable pour une voiture dont l’essentiel de la production s’est écoulé au Moyen-Orient. À ce sujet, il est difficile de déterminer avec précision le nombre exact de 375/4 construites, mais on estime que le total n’a pas atteint les trente unités. En termes de rareté, le modèle navigue donc dans des eaux encore moins fréquentées que les Iso Fidia (192 exemplaires) ou De Tomaso Deauville (244 voitures).
Bien mieux qu’un chef-d’œuvre
Vous l’aurez compris, la 375/4 ne se trouve pas sous le pied d’un cheval et, parmi les berlines surmotorisées de l’époque, la Mercedes 450 SEL 6.9 constituerait un choix presque banal en comparaison. Comme pour les autres modèles de la firme – qui a fermé ses portes en 1984 après une longue déliquescence – les transactions sont rares, ce qui est facilement compréhensible pour une auto aussi peu répandue et dont, par surcroît, la plupart des gens ignorent l’existence, y compris parfois chez les collectionneurs. Il est donc difficile d’établir une cote précise même si, en l’espèce, les résultats des enchères peuvent donner quelques points de repère. Ainsi, à Gstaad en 2022, Bonhams a vendu une 375/4 de 1974, sans papiers et à l’historique flou, pour 112 000 francs suisses ; trois ans plus tôt, RM Sotheby’s avait vendu un exemplaire de 1970 en excellent état pour 175 000 euros – ce qui n’est vraiment pas cher pour une machine aussi charismatique et exclusive. Bien sûr, le recours à des organes mécaniques roturiers peut indisposer les snobs, mais il n’a pas que des désavantages : l’entretien et la réparation du V8 sont à la portée de n’importe quel atelier compétent, tandis que la boîte Torqueflite à trois rapports – c’est amplement suffisant, compte tenu du couple disponible – s’avère particulièrement solide. Bien sûr, s’agissant d’une marque défunte, il en va tout autrement pour ce qui concerne les pièces de carrosserie et d’habitacle et, plus encore que pour n’importe quelle autre auto, il est donc impératif d’acquérir un exemplaire complet. Méfiez-vous toutefois du pouvoir d’attraction de l’engin : une fois que vous en aurez rêvé, il sera trop tard pour lui résister !
Texte : Nicolas Fourny