Depuis quelques années, les roadsters Mercedes de la série 107 suscitent un engouement croissant de la part des collectionneurs. Produite dix-huit ans durant à plus de 237 000 exemplaires – un succès sans aucun équivalent dans cette catégorie –, avant d’entrer en collection l’auto a longuement vécu dans l’ombre de la Pagode, devancière unanimement saluée pour son design. À présent, on la redécouvre à l’appui d’une nostalgie en partie alimentée par la culture populaire. Icône apparaissant dans bon nombre de séries et de films américains dans les années 70 et 80, c’est au demeurant aux États-Unis que la plus répandue des SL a trouvé l’essentiel de ses clients et, de nos jours, c’est dans le même pays que viennent s’approvisionner bien des amoureux du modèle. Il leur faut alors opter entre deux styles : soit assumer l’américanisation de l’auto, soit la dépouiller de son exotisme transatlantique afin de lui restituer son identité européenne. Quel est le meilleur choix ?
La plus aimée des SL
Présentée en avril 1971, la R107 n’a quitté le catalogue qu’à l’été de 1989. Cette longévité, exceptionnelle chez Mercedes – égalée uniquement par la monumentale 600 et surpassée par le seul G-Wagen – n’a pas empêché l’auto de connaître un succès durable et jamais démenti, s’amplifiant même, contre toute attente, durant ses dernières années de présence au catalogue. Pour mémoire, la Pagode n’avait vécu que huit ans, ce qui signifie qu’en toute logique sa remplaçante aurait dû prendre sa retraite au début des années 80. Mais à l’époque, la firme de Stuttgart avait d’autres priorités et, de surcroît, la laborieuse mise au point de la génération R129 ne présentait aucun caractère d’urgence ; pourquoi, en effet, se serait-on précipité pour arrêter la carrière d’une voiture dont la popularité demeurait constante au fil des millésimes ? À la fois daté et intemporel, non seulement son design – pourtant emblématique du style Mercedes des seventies – ne la desservait pas quinze ans après sa naissance mais, un peu à la manière d’une Porsche 911 de la série G ou d’une Range Rover, il n’était pas avare de relents vintage très appréciés par la clientèle de l’engin. Ce d’autant plus que la Daimler-Benz n’a pas manqué de faire évoluer la SL, à la physionomie quasiment immuable – l’auto a fort heureusement échappé aux errances stylistiques infligées au Spider Alfa – mais à la fiche technique régulièrement actualisée.
Un océan de différences
S’inspirant directement du concept de sa devancière, la SL R107 est, en quelque sorte, conçue comme une automobile à deux visages. Avec le hardtop, on peut circuler durant la mauvaise saison dans un confort thermique et acoustique digne d’un coupé. Puis, dès que les beaux jours reviennent, le constructeur suggère de remiser ledit hardtop au garage et de rouler cheveux au vent aussi souvent que possible, la capote n’étant là que pour être dépliée en cas de pluie. Bien sûr, une telle philosophie s’avère plus adaptée au climat de Los Angeles ou Miami qu’à celui d’Édimbourg ou de Cologne et c’est la raison pour laquelle plus de 60 % des SL ont trouvé preneurs aux États-Unis, au prix toutefois de modifications techniques et esthétiques qui, c’est le moins que l’on puisse dire, n’ont pas fait l’unanimité – ce qui est toujours vrai aujourd’hui. Au fil des évolutions réglementaires affectant un marché de plus en plus exigeant en matière de normes sécuritaires et environnementales, les voitures européennes exportées en Amérique du Nord, en sus de puissances réduites dues aux dispositifs de dépollution, ont souvent été défigurées par la greffe de pare-chocs protubérants et d’optiques modifiées destinés à les « fédéraliser », au grand dam des puristes regrettant amèrement l’élégance des versions européennes, qu’il s’agisse des Jaguar XJ, des Peugeot 604, des Lancia Scorpion ou de notre SL…
Cette voiture est une star
Dans son remarquable Guide détaillé consacré au modèle (éditions Auto Forever), Laurent Pennequin liste très précisément l’évolution des SL américaines. Plutôt discrètes au départ, les adaptations imposées pour obtenir l’homologation de la voiture vont atteindre leur apogée en 1980, lorsque la 450 SL cède la place à une nouvelle variante animée par le nouveau V8 de 3,8 litres inauguré par les berlines Classe S présentées en octobre 1979. Au vrai, la 380 SL distribuée aux clients américains présente des différences significatives par rapport à son équivalent européen, à commencer par son moteur, dont les cotes sont spécifiques et aboutissent à une cylindrée de 3939 cm3, versus 3818 pour le modèle originel, tandis que la puissance chute de 218 à seulement 163 ch ! Dans ces conditions, la soi-disant sportivité de l’auto, pourtant revendiquée par Mercedes, n’est plus qu’une chimère – mais il est vrai que s’il s’agit de cruiser à 90 km/h, c’est amplement suffisant… À l’extérieur, la 380 SL ainsi gréée se présente telle qu’on peut l’apercevoir à l’écran, avec ses jantes Fuchs, ses pare-chocs augmentant la longueur totale de vingt-cinq centimètres, ses quatre projecteurs ronds et ses petits clignotants greffés sous le pare-chocs avant. Aux mains de Richard Gere dans American Gigolo, de Patrick Duffy dans Dallas, de Pamela Sue Martin dans Dynasty ou de Lisa Eilbacher dans Beverly Hills Cop, le roadster allemand est très fréquemment mis en scène en ce temps-là, au cinéma comme à la télévision, car il permet aux scénaristes de situer leurs personnages dans un univers de luxe, de prospérité et de réussite sociale auquel le grand public assimile spontanément les conducteurs de l’engin.
Les centimètres cubes ne font pas tout
Lors du léger restylage intervenu pour 1986, la SL troque ses jantes Fuchs contre des modèles plus modernes de 15 pouces, que l’on trouve également sur la Classe S, et arbore désormais un spoiler avant plus massif. En Amérique (de même qu’au Japon et en Australie), la 380 SL cède la place à une 560 SL qui ne sera pas commercialisée en Europe. Réalésé à 5547 cm3, le V8 M117 existe alors en plusieurs versions dont la puissance varie significativement en fonction des marchés et des niveaux de dépollution. De la sorte, si les clients français peuvent profiter de berlines et coupés 560 dépourvus de catalyseur et disposant de 300 ch, les propriétaires du roadster 560 SL doivent se contenter de 235 ch, alors que la 500 SL européenne en revendique alors 245, revendiquant par conséquent des performances supérieures – il est vrai certainement plus importantes sur l’Autobahn que sur une Highway californienne… Il n’empêche que, dans l’absolu, le progrès est considérable par rapport à feue la 380 fédéralisée, même si la voiture n’a que peu évolué par ailleurs. Il lui reste alors un peu plus de trois ans à vivre et c’est sous cette forme que la SL va achever son parcours américain. Plus de 46 000 roadsters 5,5 litres ont été vendus aux États-Unis, auxquels il faut ajouter environ 44 000 380 SL et 58 000 450 SL ; à l’heure actuelle, la 380 et la 560 sont les modèles les plus fréquemment réimportés en Europe.
Bobby Ewing attitude
Or, il suffit de parcourir les petites annonces, en Allemagne, en France ou ailleurs, pour constater qu’une proportion notable de ces voitures ont été européanisées sur le plan esthétique, certaines officines s’étant même spécialisées à cet égard. Les SL ainsi traitées reçoivent des projecteurs, des clignotants, des phares antibrouillard et des pare-chocs conformes aux versions européennes – et je dois dire que cette démarche me laisse songeur. Certes, pour ces voitures le marché est vaste en Amérique du Nord, mais l’offre est loin d’être inexistante de ce côté-ci de l’Atlantique ; il n’est vraiment pas difficile, notamment avec l’aide des spécialistes de CarJager, de trouver une SL d’origine européenne en bel état. À quoi bon s’en aller chercher une voiture à des milliers de kilomètres et lui faire traverser l’océan à grands frais si c’est pour la dénaturer ? On peut bien entendu ne pas apprécier les particularismes des SL fédéralisées mais, dans ce cas, le marché européen vous tend les bras… À l’inverse, il est réconfortant de noter que certains amateurs portent délibérément leur choix sur des SL américaines et les préservent donc en l’état, car c’est justement à leur exotisme qu’ils sont attachés, et à l’imaginaire que ces autos transportent avec elles. C’est bien connu, la nostalgie n’a pas de prix – mais elle a un coût : comptez environ 45 000 euros pour une 380 SL en bel état, et 52 000 euros pour une 560. Somme toute, pour une auto aussi plaisante, quasiment mythique et utilisable au quotidien sans arrière-pensées, c’est presque abordable… mais ne tardez pas trop !
Texte : Nicolas Fourny