Mercedes-Benz coupé C124 : déjà une grande classique !
Si vous prononcez les mots « coupé 124 » devant un collectionneur, ce dernier songera probablement avant tout à la très gracieuse Fiat ainsi nommée, remontant aux temps bénis où les constructeurs généralistes n’hésitaient pas à multiplier les variantes récréatives en partant d’une berline populaire. Toutefois, la Mercedes qui nous occupe aujourd’hui n’appartient ni à la même époque, ni à la même catégorie. Il s’agit d’une deux portes patricienne, s’inscrivant dans une longue tradition et incarnant une très belle séquence dans l’histoire de la firme allemande, quand l’ingénierie, le design et le soin apporté à la construction se rejoignaient pour donner au monde des automobiles très abouties, ennemies de l’outrance et admirablement équilibrées — ce qui, comme on va le voir, n’exclut pas l’émotion, bien au contraire !
Que ma joie demeure
Depuis 1969, Stuttgart s’astreint à proposer des coupés de moyenne gamme à une clientèle incapable de s’offrir les dérivés à deux portes de la Classe S, mais néanmoins désireuse de s’extraire du tout-venant des berlines classiques. De la sorte, les séries C114 puis C123 ont successivement comblé les attentes de cette singulière catégorie d’acheteurs, en général dépourvus d’appétence pour la conduite sportive, peu préoccupés par la praticité ou la logeabilité de leur auto, tout en étant sensibles au typage des coupés authentiques (comprenez par là ce qui les distingue des banales berlines à deux portes, peu goûtées en France mais très répandues de l’autre côté du Rhin jusqu’à la fin des années 1970 — nous songeons par exemple aux Opel Rekord ou aux premières Audi 100). Quand, à l’automne de 1984, les berlines W124 furent officiellement présentées à la presse spécialisée, les observateurs se mirent donc à attendre les dérivés « récréatifs » du nouveau fer de lance de Mercedes. Et ils attendirent longtemps, jusqu’au Salon de Genève de 1987 pour être précis, alors même que la production de l’ancien coupé avait cessé dix-huit mois plus tôt. Pour autant, cette attente en valait la peine car, indéniablement, la Daimler-Benz a accouché là de l’une de ses plus belles carrosseries. Dessiné sous la férule du légendaire Bruno Sacco, le coupé C124 cultive méticuleusement les coutumes esthétiques de la maison : ici, l’innovation affleure chaque détail mais sans toutefois sauter à la gorge du spectateur.
Particulièrement soignée, l’étude aérodynamique, sanctionnée par un Cx de 0,29, ne se révèle qu’à la faveur d’un examen attentif ; l’efficience ne s’est pas construite en sacrifiant les préceptes de la marque. Contrairement aux SEC, la calandre séculaire surmontée de l’étoile est fidèle au poste et, d’ailleurs, la proue tout entière est strictement identique à celle de la berline et du break. C’est à partir du montant A que tout change, sans être dissemblable. La philosophie d’ensemble reprend celle des prédécesseurs du modèle, en l’adaptant à l’époque : l’absence de montant central contribue à définir un profil aérien, très différent de celui de la berline, mais sans rechercher à tout prix la rupture par rapport à celle-ci ; l’air de famille si cher au constructeur se perpétue sans coup férir et, contrairement à une BMW E36, le coupé ne se prive pas de reprendre des éléments de tôlerie préexistants, ainsi que les optiques avant et arrière. Enfin, il arbore les larges panneaux décoratifs latéraux en plastique qui, au fil du temps, essaimeront sur les autres 124 ainsi que sur les 190 et le roadster R129.
Sans concurrence
Nous évoquions le coupé Série 3 qui, à certains égards, a pu être comparé à la C124, mais il est apparu cinq ans après et, d’une manière générale, la Mercedes n’a connu aucune rivale directe : le revival du segment des coupés n’est survenu que dans la seconde moitié de la décennie 90, avec l’irruption de modèles comme la Lancia Kappa, la Volvo C70 ou la Peugeot 406. En 1987, le paysage était bien différent et le duo 230/300 commercialisé initialement ne rencontra qu’une concurrence extrêmement clairsemée. Tout comme cela avait été le cas pour la C123, la gamme de départ se déclinait en deux variantes : une quatre-cylindres de 2,3 litres — qui reprenait le groupe M102 de 136 chevaux connu depuis 1980 — et une six-cylindres dotée du 3 litres M103, à un seul arbre à cames en tête, donnant 188 chevaux. À l’évidence, c’est dans cette dernière configuration que l’auto s’exprime véritablement : sans être un monstre de puissance, le moteur se révèle pleinement à la hauteur de sa tâche. « Une petite SEC surdouée », conclut ainsi Le Moniteur Automobile après son premier essai. Tirant parti du meilleur châssis de sa catégorie, la 300 CE propose un agrément de conduite de tout premier plan, en dépit d’une direction toujours un peu collante et d’une boîte manuelle tirant trop long — dans la plupart des cas, la transmission automatique est chaleureusement recommandée. Pour le reste c’est le sans faute, à tel point qu’aujourd’hui encore la voiture demeure d’actualité sur bien des aspects. Pourtant, Mercedes n’en est pas restée là et, à l’encontre du destin figé de la C123, son successeur s’est lancé dans une course à la sophistication et à la puissance jusqu’alors inédite à Untertürkheim !
Sus aux Bavarois !
Au mois de décembre 1990, le six-cylindres de 2960 cm3 reçut le renfort d’une culasse à 24 soupapes et, ainsi gréée, la 300 CE-24 gratifia ses utilisateurs de performances en sensible augmentation, la puissance passant à 220 chevaux. L’offensive se confirma dès le mois de janvier suivant, lorsque que des versions « Sportline » firent leur apparition, correspondant à une démarche absolument inédite chez Mercedes, d’autant que l’initiative ne se limitait pas à un simple logo. Sur les coupés, cette nouvelle ligne comportait en effet un châssis surbaissé, des pneumatiques plus larges, une suspension affermie, un volant au diamètre réduit (39 centimètres contre 40 : on passait de l’autobus à la camionnette), des sièges plus enveloppants et revêtus d’un charmant tissu à carreaux censé rappeler celui des monoplaces des années 1950 et, pour la « 24 soupapes », une boîte Getrag à 5 vitesses avec grille inversée.
À ces mots, j’en vois déjà qui arborent un sourire entendu et qui ne vont pas tarder à évoquer une troublante parenté avec certaines options proposées par une obscure firme bavaroise établie à Munich ; il sera difficile de leur donner tort car, en s’engageant sans vergogne dans cette quête inattendue de sportivité et de dynamisme, Mercedes piétinait allègrement les plates-bandes de BMW et, par la même occasion, bousculait la répartition des rôles scrupuleusement respectée jusqu’alors : l’étoile se chargeait d’approvisionner la bonne bourgeoisie en automobiles plus ou moins puissantes mais ne franchissant jamais les limites de la convenance, alors que l’hélice s’adressait aux véritables amateurs de conduite (avec un peu d’imagination, n’est-ce pas, même un conducteur de 518 ou de 315 pouvait se prendre pour Hans-Joachim Stuck). Bien sûr, il ne suffit pas d’additionner les chevaux pour aboutir à une véritable voiture de sport et, même avec le châssis « Sportline », avec ses 1500 kilos à vide le coupé stuttgartois ne pouvait suivre le rythme d’une Porsche 944 Turbo sur un parcours sinueux. En revanche, l’auto s’avérait impériale sur les longs parcours autoroutiers et en reprendre le volant trente ans après stupéfie encore par l’homogénéité du concept. Les approximations, les sous-investissements ou les replâtrages techniques de bases antédiluviennes n’ont pas leur place ici — nous ne sommes ni en Angleterre, ni en Italie —, mais le sérieux n’est pas forcément synonyme de tristesse ; et le soin apporté à l’étude générale trouve sa traduction dans le plaisir que prodiguent ces voitures, tout autant capables d’assurer un service quotidien que d’être dédiées aux loisirs.
Privée de V8… ou pas
La gamme évolua continûment par la suite mais, de façon surprenante, les développements se concentrèrent principalement sur les quatre-cylindres. En haut de la gamme, un 3,2 litres de puissance identique supplanta rapidement le 3 litres « quatre soupapes », la version originelle disparaissant après le restylage de 1993. Or, quand on compare le catalogue des berlines avec celui des coupés, on note que ceux-ci n’eurent jamais droit aux huit-cylindres proposés dès 1991, sous le capot de la 500 E puis de la 400 E. S’agissait-il de ne pas risquer de cannibaliser les 420 et 500 SEC ? Toujours est-il que celui qui désirait aller au-delà de l’offre Mercedes « officielle » devait obligatoirement se tourner vers des préparateurs, au premier rang desquels AMG, future filiale du constructeur et qui, dès 1984, n’hésita pas à implanter le V8 maison, agrémenté de culasses à 32 soupapes, dans la berline 124 ! Une épopée mécanique qui culmina en 1988 avec la mythique version 6 litres dite « The Hammer » et dont les 385 chevaux animèrent également le coupé.
Devenue inabordable — en 2019, RM Sotheby’s en a vendu un exemplaire pour 240 000 euros — cette motorisation n’est heureusement pas la seule digne d’intérêt, la six-cylindres E 36 AMG proposée jusqu’en 1997 et forte de 272 chevaux valant elle aussi le déplacement. Retenez qu’au demeurant, la C124 peut répondre à des attentes très diversifiées, les contemplatifs pouvant se contenter des versions de base (230 puis 220, voire 200) vouées comme on s’en doute aux conducteurs paisibles mais, si vos goûts et vos ressources vous y incitent, aucun des six-cylindres ne vous décevra. Ils représentent d’ailleurs près de 60 % des quelque 140 000 voitures produites, ce qui en dit long quant à la typologie de la clientèle ciblée par cette série dont les exemplaires les plus courants sont encore accessibles, mais sans doute plus pour longtemps. Sur le marché français, une enveloppe d’environ 10 000 euros doit vous permettre d’acquérir une belle 300 ou 320 avec un dossier d’entretien digne de ce nom et un historique aussi limpide que possible. Fuyez les voitures modifiées et/ou négligées qui, hélas, sont légion sur le marché : sur une auto de ce calibre, les frais de remise en état d’origine peuvent vous faire perdre votre chemise. Ces précautions vous permettront de goûter sans arrière-pensée aux innombrables bonheurs que ces machines réservent à une petite tribu de voyageurs pour qui le style importe au moins autant que la destination. En serez-vous ?