Mercedes-Benz 450 SLC 5.0 : un demi-chef-d'oeuvre oublié
« La 450 SLC 5.0 s’apparente presque à une version expérimentale, en premier lieu parce que son huit-cylindres présente une cylindrée spécifique et éphémère de 5025 cm3, versus 4973 cm3 pour celui des 500 qui vont suivre »
De nos jours, le coupé SLC ne bénéficie que d’une aura contrariée auprès des collectionneurs. Non seulement l’auto se morfond dans l’ombre du cabriolet SL issu de la même série — un modèle de plus en plus convoité par les temps qui courent — mais en plus, dans l’histoire de son constructeur, elle se trouve en quelque sorte coincée entre deux légendes : les coupés W111 arrêtés en 1971 d’une part et leurs lointains successeurs C126 apparus dix ans plus tard. Entre ces deux dates, la SLC aura connu un succès commercial honorable pour une voiture de cette catégorie mais, avec le recul du temps, sa carrière ressemble davantage à un intérim discret qu’à une réussite revendiquée sans ambages par l’Étoile qui, bien que très attentive à son patrimoine, n’évoque que très rarement l’auto dans les rétrospectives qu’elle organise ou auxquelles elle participe. Situation d’autant plus injuste quand on se souvient que c’est bien ce modèle qui a inauguré une cylindrée devenue iconique chez Mercedes !
Un coupé sportif et léger (ou pas)
Nous avons déjà relaté dans le détail l’histoire de la SLC, aussi n’y reviendrons-nous ici que de façon succincte. Rappelons toutefois que c’est la série 107, présentée en 1971, qui fut chargée d’étrenner un spectaculaire renouvellement du design maison. Tournant le dos aux préceptes initiés douze ans plus tôt par la série des berlines Heckflosse — incarnés notamment par les phares verticaux —, le roadster SL et le coupé SLC vont ainsi couronner la gamme Mercedes dans un style très différent de leurs prédécesseurs respectifs. Mais si la carrosserie ouverte prend logiquement la suite de la regrettée Pagode, l’identité de la version fermée s’inscrit dès l’abord dans une forme d’ambiguïté. Plus compacte que les grands coupés et cabriolets patriciens dont la série avait culminé avec les très désirables 280 SE 3.5, la 350 SLC commercialisée à l’automne 71 ne parvient pas à acquérir la légitimité nécessaire pour leur succéder réellement. Établi sur la base d’un empattement allongé de 36 centimètres par rapport au roadster, le nouveau coupé souffre de proportions souvent jugées moins équilibrées et, en raison de son mimétisme esthétique, ne se démarque pas suffisamment de la SL. Celle-ci, au contraire, va remporter les suffrages d’une clientèle séduite par l’agrément de cette décapotable à la fois puissante et fiable, capable de surcroît d’affronter la mauvaise saison dans de bonnes conditions grâce à son hard-top, offrant de la sorte deux voitures en une.
L’enfant caché de Stuttgart
La SLC, dont la gamme de moteurs est strictement identique à celle du roadster, n’a que peu d’arguments à faire valoir pour justifier un prix plus élevé de 20 %, mis à part un coffre un peu plus volumineux et des places arrière réellement utilisables (la banquette optionnelle de la SL étant réservée aux enfants en bas âge ou aux contorsionnistes). C’est peu, on en conviendra, d’autant que la capacité d’emport ou l’habitabilité n’arrivent évidemment pas en tête des préoccupations lorsqu’on envisage l’acquisition d’un coupé ou d’un cabriolet… Conscient d’avoir loupé sa cible, Mercedes ajustera très opportunément le tir avec la série des coupés SEC, plus convaincants à tous égards et, tandis que la SL continuera sa route jusqu’en 1989, la SLC aura disparu huit ans auparavant dans l’indifférence générale, laquelle persiste aujourd’hui encore. Lorsqu’on visite le Mercedes-Benz Museum, ce ne sont pas les hommages aux différentes générations de SL qui manquent — et le roadster R107 appartient à la collection des voitures exposées en permanence. En revanche, ceux qui voudraient admirer un exemplaire de SLC doivent faire preuve de vigilance, car la seule voiture de cette série présentée à Stuttgart est une version de course, furtivement présentée à l’avant-dernier niveau, dans un environnement sombre et à l’éclairage parcimonieux. Un exemplaire qui mériterait pourtant de meilleures conditions d’exposition lorsqu’on connaît son histoire, ses caractéristiques et son palmarès en compétition !
Dans l’antichambre de la 500
Il s’agit en effet d’une 500 SLC identique à celle qui, en 1980, remporta le rallye du Bandama de Côte d’Ivoire, clôturant victorieusement les trois années d’engagement en course d’un modèle que son typage ne semblait pas a priori destiner à de telles excentricités (un coupé de 4,75 mètres de long, un gros V8 et une boîte automatique, voilà le genre d’équipage qu’on ne rencontrait pas souvent en course). Ayant brièvement existé en version civile, la 500 SLC n’a été que peu produite (1154 exemplaires de 1979 à 1980 d’après le précieux Guide Détaillé consacré à la série 107 et publié par Auto Forever), mais il existe une variante plus rare et plus recherchée encore, dont la différence d’appellation peut intriguer ceux qui ne sont pas familiers avec les mystères nomenclaturaux de la maison (que l’on se souvienne par exemple des 300 SEL 6.3 ou 450 SEL 6.9). De fait, la 450 SLC 5.0 s’apparente presque à une version expérimentale, en premier lieu parce que son huit-cylindres présente une cylindrée spécifique et éphémère de 5025 cm3, versus 4973 cm3 pour celui des 500 qui vont suivre. Entièrement réalisé en aluminium, c’est là le tout premier V8 5 litres Mercedes et la SLC va, à tout jamais, en conserver l’exclusivité — on ne le trouvera ni dans la Classe S W116 contemporaine, ni dans le roadster SL.
Le poids, voilà l’ennemi
C’est dans le cadre de l’IAA de Francfort, à l’automne de 1977, que la 450 SLC 5.0 fait sa première apparition publique et, comme on va le voir, les évolutions par rapport à la 450 « normale » — qui subsiste au catalogue — ne se bornent pas à un simple réalésage, lequel passe de 92 à 97 mm. Tout d’abord, le V8 est désormais intégralement construit en aluminium, ce qui entraîne une réduction du poids de l’ordre de 43 kilos, tandis que la puissance progresse sensiblement pour atteindre désormais 240 ch, le couple évoluant pour sa part de 360 à 402 Nm. Les responsables du projet ont également recours à l’alu pour le capot et la malle alors que les jantes du même métal intègrent la fourniture de série et qu’un becquet arrière ainsi qu’un spoiler avant font leur apparition (on les retrouvera plus tard sur les 500). Comme on peut s’en douter, les performances suivent le mouvement avec une vitesse maximale de 225 km/h et le kilomètre départ arrêté abattu en 28,9 secondes… Il faut néanmoins attendre le printemps 1978 pour que débutent les livraisons de l’engin, qui se négocie alors contre 210340 francs, soit dans les mêmes parages qu’une Maserati Bora et plus très loin des 245000 francs exigés pour une Ferrari 400…
Je voudrais tant que tu te souviennes
À la fin de 1977, dans un comparatif intitulé « Les plus beaux V8 d’Europe », André Costa avait, dans l’Auto-Journal, opposé la 450 SLC à la Porsche 928 et à la Ferrari 308. Sur le Vieux Continent, rares étaient les huit-cylindres à cette époque et, si l’on mettait de côté les firmes ayant recours aux moteurs d’origine américaine, seuls Rolls-Royce/Bentley, Maserati et Lamborghini auraient éventuellement pu se joindre à la fête… Voiture de connaisseurs au charisme incertain, la 5.0 va connaître une diffusion confidentielle ; un peu plus de 1600 unités quittent l’usine de Brême jusqu’en 1980, date à laquelle la 500 SLC prend le relais — perdant au passage sa malle en alu ; entre-temps , l’alésage avait été légèrement réduit au printemps 1979 pour des raisons d’homologation en compétition, aboutissant ainsi à la cylindrée devenue classique de 4973 cm3, que l’on retrouvera jusque sur le V8 M119 à 32 soupapes dont la production ne s’achèvera qu’en 1998. D’une puissance inchangée, le groupe M117 ainsi modifié anime les dernières SLC 5 litres en revendiquant de meilleures accélérations et une consommation légèrement réduite, sans que l’expérience de conduite en soit transfigurée. On le retrouvera dans la série 126 et, bien sûr, dans le roadster SL, nettement plus coté à l’heure actuelle que le coupé. À notre sens et en raison de leurs spécificités, les 450 SLC équipées du 5025 cm3 sont les plus intéressantes d’une série mésestimée et étonnamment accessible. Sachez en profiter pendant qu’il est temps !
Texte : Nicolas Fourny