Les Mercedes dans la série « Dallas »
Il y a quarante ans comme aujourd’hui, rouler en Mercedes-Benz permettait d’afficher une certaine forme de réussite matérielle. Les producteurs de « Dallas » — dont la diffusion s’étendit sur CBS de 1978 à 1991, nous parlons bien sûr de la série originale et non pas de son pathétique revival de 2012 — l’avaient bien compris et eurent largement recours aux voitures de Stuttgart afin d’inscrire leurs personnages dans l’univers d’opulence et de luxe propre à une série qui, bien plus qu’une simple production télévisuelle, fut l’un des phénomènes de société de la décennie 1980. Chacun se souvient évidemment du célèbre roadster rouge de Bobby Ewing mais plusieurs autres modèles à l’étoile eurent l’honneur du célèbre feuilleton, suivant assez fidèlement l’évolution de la firme allemande. En voici la recension exhaustive, dans le désordre des plaques d’immatriculation…
Ewing 4 : pétrole et cheveux au vent
C’est donc la SL de Bobby qui aura le plus marqué les téléspectateurs. Incarné par Patrick Duffy (qu’on avait précédemment connu en slip de bain dans « L’Homme de l’Atlantide »), le personnage a utilisé ce modèle de la série 107 (devenu tout aussi emblématique dans bien d’autres programmes, comme par exemple Hart to Hart, devenu Pour l’amour du risque en VF) jusqu’à la fin de la dixième saison, en 1987. Les amateurs peuvent utilement se référer à l’excellent « Guide détaillé des Mercedes-Benz SL/SLC » publié récemment par Auto Forever afin d’identifier les différentes versions car, jusqu’à ce que le personnage la délaisse au profit d’une Maserati Biturbo Spyder (à ce moment-là, cet homme avait manifestement décidé de vivre dangereusement), plusieurs variantes se succédèrent dans la probable indifférence du téléspectateur moyen.
Le tout premier cabriolet utilisé dans la série est donc une 450 SL R107 de 1978, identifiable à ses jantes en tôle associées aux enjoliveurs typiques de la marque et au spoiler avant spécifique aux millésimes 1978 et 1979. Son coloris est un peu éloigné du rouge très vif (Bright Signal Red) qui sera adopté par la suite. Équipée d’un V8 de 4520 cm3, l’auto, victime des normes de dépollution déjà en vigueur outre-Atlantique, ne développe que 190 chevaux, soit 35 de moins que la version européenne — mais ça reste amplement suffisant pour cruiser à 90 km/h et interpréter la majorité des scènes dans lesquelles le roadster est mis en scène. Longtemps, cette voiture figurera dans la toute première image du générique d’ouverture de la série ; il faut être attentif, elle apparaît en bas à droite de l’écran dans un plan très large de la ville de Dallas.
Dès la deuxième saison, une autre 450 SL prend le relais, reconnaissable à la nuance susmentionnée, qui restera désormais constante. Dotée de jantes en alliage Fuchs, cette auto sera remplacée par une troisième 450 dans le courant de la saison 4 ; cette dernière comporte les modifications esthétiques intervenues en 1980 — entre autres, appuie-tête plus carrés et nouveau volant. Elle quittera toutefois très vite l’écran, remplacée l’année suivante par une 380 SL quasiment identique esthétiquement mais dont la puissance avait chuté à seulement 155 chevaux. C’est cette version que l’on verra le plus ; elle ne quittera la scène qu’au printemps 1985, à l’issue de la saison 8, lorsque son infortuné conducteur perdra la vie, volontairement renversé par la Buick Regal de sa belle-sœur jalouse.
Comme les scénaristes américains ne reculent devant aucune invraisemblance à l’époque, Bobby, déclaré mort durant les 31 épisodes de la neuvième saison, ressuscite au début de la dixième. L’explication d’un retour aussi miraculeux vaut son pesant de cacahuètes : son décès (et toute l’intrigue qui s’en est suivie) n’était en fait qu’un cauchemar de son ex-épouse ! Après l’avoir rassurée au sortir de la douche (la scène, tournée dans le plus grand secret, est demeurée dans les annales de la télévision américaine), le voici donc qui ressort paisiblement de la maison devant laquelle l’attend une rutilante 560 SL, dernière évolution de la R107 avant la retraite et dont les 227 chevaux permettent de retrouver un punch digne des modèles européens. Las ! Bobby n’en profitera pas longtemps : sa voiture est détruite lors d’un accident lors du cliffhanger de 1987.
Ewing 3 : le triomphe de la Sonderklasse
« Dallas » a innové à plus d’un titre ; le fait que, pour la première fois, un programme aussi populaire — qui totalisa jusqu’à 90 millions de téléspectateurs lors de la diffusion de l’épisode Who Done It en novembre 1980 — se soit majoritairement appuyé sur un personnage négatif n’est pas la moindre de ses témérités. J.R. Ewing, que la publicité présentait comme « l’homme que aimerez haïr », était en effet un être particulièrement détestable, dépourvu de toute moralité, n’hésitant pas à faire interner abusivement son épouse, à harceler ses ennemis jusqu’au suicide ou à hypothéquer le ranch familial à l’insu de ses parents. Interprété par Larry Hagman — qui, incontestablement, y trouva le rôle de sa vie —, J.R. a majoritairement usé une longue série de Classe S, ce qui a permis à Mercedes de conforter encore l’image de sa berline de luxe dans l’esprit du grand public.
Au début de la série, J.R. roule dans une 280 SE W116 dark green. Une auto sur les performances de laquelle il valait mieux ne pas s’attarder : étouffé, comme tant d’autres moteurs, par les contraintes nord-américaines, le six-cylindres n’exhalait que 144 malheureux chevaux. C’est peut-être la raison pour laquelle, dès la saison 2, l’aîné des fils Ewing la remplace par une 450 SEL silver green, sans doute plus conforme à son standing — huit cylindres et châssis long… Lui succèdera une 380 SEL W126 silver thistle-coloured qui fera long feu, puisqu’on la verra jusqu’en 1985, après quoi une 500 SEL, puis une 560 SEL l’évinceront.
Cependant, en 1987, revendiquant son patriotisme, J.R. abandonnera ses Mercedes pour une Cadillac Allanté — mais on ne peut pas dire que son choix ait été suffisant pour sauver du naufrage la carrière du cabriolet italo-américain… Une anecdote amusante : lors du 26ème épisode de la saison 6, initialement diffusé en avril 1983, Sue Ellen sort de Southfork au volant de la 380 SEL de son charmant époux avant d’avoir un accident et de faire un tonneau… exécuté par une W116 ! Les différences entre les deux autos apparaissent très nettement à l’écran d’un plan à l’autre mais les producteurs ont sans doute pensé que les téléspectateurs s’y laisseraient prendre… ce qui fut très probablement le cas.
J.R. fera une infidélité à Mercedes par patriotisme, au volant d’une Cadillac Allanté reprenant l’immatriculation Ewing 3Ewing 2 : du break au coupé
Sue Ellen Ewing, à laquelle Linda Gray prêta ses traits jusqu’en 1989, est justement un personnage intéressant parce qu’il n’a cessé de s’affermir au fil des saisons. Pocharde névrosée et manipulée par son mari au début, elle prend peu à peu de l’assurance, allant de thérapie en rechute, de divorce en remariage, de crise de delirium tremens en tentative de meurtre. Les péripéties de sa triste existence s’engagent au volant de plusieurs station wagon Mercury Colony Park, jusqu’à ce qu’en décembre 1980, à la faveur d’une énième réconciliation, J.R. ne lui offre sa première Mercedes — en l’occurrence, un break 300 TD de la série S123, portant fièrement le logo « DIESEL » sur son hayon, selon l’habitude du constructeur pour ses modèles états-uniens en ce temps-là. Le bruit de crécelle du cinq-cylindres atmosphérique (77 chevaux en colère !) est clairement audible durant la scène au cours de laquelle sa propriétaire en prend le volant pour la première fois. Deux ans plus tard, cette auto laissera la place à un coupé 380 SEC C126 bleu métallisé qui, après le restylage du modèle, sera délaissé au profit d’une 560 SEC ; une belle fin de parcours !
Quand l’automobile devient un personnage
Naturellement, « Dallas » n’était pas une série centrée autour de l’automobile, comme « Knight Rider » ou « The Dukes of Hazzard ». Néanmoins, on peut dire que, pour ses personnages les plus emblématiques tout au moins, les voitures ont joué des rôles essentiels, au moins en termes d’identification. De la sorte, la série ayant été tournée à Hollywood pour les scènes d’intérieur et au Texas pour les extérieurs, un certain nombre de plans destinés à illustrer les allées et venues des uns et des autres ont consisté à filmer les différentes Mercedes utilisées dans la série aux abords du Southfork Ranch (lequel existe toujours et a été reconverti en centre de conférences), conduites la plupart du temps par des doublures : ainsi, il suffisait de montrer une SL rouge stationnée dans une rue pour que l’on comprenne que Bobby allait entrer en scène. L’importance des berlines, breaks, coupés et roadsters à l’étoile en matière de promotion sociale et de crédibilité patricienne a crû au fur et à mesure de la surenchère opérée par les producteurs de « Dynasty », la série concurrente diffusée sur ABC et qui, à un moment donné, menaça de ringardiser les pétroliers texans, leurs Lincoln démodées, leurs costumes de confection, leurs Stetson et leurs santiags. Les Carrington roulaient en Rolls-Royce Corniche et vivaient dans un manoir, tandis que les Ewing se contentaient de Mercedes (parmi les plus coûteuses, certes) et habitaient un ranch environné par de frustes cow-boys. À la fin, c’est quand même « Dallas » qui gagna, survivant deux ans à sa rivale. La disparition de la série, dont les personnages étaient devenus leurs propres caricatures, n’émut pas grand monde. Elle avait commencé sous Jimmy Carter, à la veille de la révolution iranienne et du second choc pétrolier ; elle s’acheva sous George Bush senior, au lendemain de la guerre du Golfe. Les soap operas ne faisaient plus recette depuis longtemps et les quelques tentatives de relance qui eurent lieu par la suite ne se firent remarquer que par leur médiocrité. Il n’en demeure pas moins que « Dallas », mettant en scène une ville jusqu’alors associée à l’assassinat de JFK dans la mémoire collective, a légué bon nombre de repères à la culture populaire ; elle constitue aussi l’un des symboles les plus visibles d’une époque morte, où circulaient l’argent, les grosses cylindrées, le pétrole et le cynisme mais où, d’un autre côté, les présidents américains ne prétendaient pas soigner les virus à l’eau de Javel. Il est permis de la regretter et, de nos jours, à la faveur d’une balade en 560 SL depuis Dealey Plaza, dans Dallas, jusqu’à la bonne ville de Parker, Texas, en cheminant jusqu’au 3700 Hogge Drive, entre tragédie et divertissement, il doit encore être possible de retrouver la douce et réconfortante nostalgie de notre jeunesse enfuie…