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Lamborghini LM002 : tout dans la culotte

Par Pierre Dauvergne - 22/01/2021

Projetez-vous la scène : vous marchez, par une belle après-midi, dans les rues d’une quelconque ville italienne gorgée de soleil et de bolides, à s’en rendre fou. Le nez au vent, il vous semble entendre derrière vous le feulement d’un chat en train de chercher la mouise à quelqu’un. Ça se rapproche : « Mais oui ! C’est bien un 5,2 litres de Countach QV que je reconnais dans mon dos! », vous dites-vous, enjoué et impatient. Vous vous attendez à voir passer un vaisseau spatial signé Gandini. Plus qu’une seconde de plus à attendre, vous vous tournez et vous voyez passer… une brique. Un genre de tracteur Cournil, en beaucoup plus flippant, de couleur vive avec des treuils à chaque bout, des tonnes de barres et de grilles, et des roues de camion tombereau. Non, ce n’était pas une hallucination : c’est l’étrange et flamboyante Lamborghini LM002, dont voici l’histoire.

Le Lamborghini Cheetah, premier proto qui mènera jusqu’au LMM002 !

Boue, bottes, bidasses (et bide)

Cette aventure surréaliste démarre au milieu des années 70, période automobilement bien mouvementée (et propice à de sacrées bizarreries). Lamborghini étudie alors pour le compte d’un sous-traitant de l’armée américaine — du nom de Mobility Technology International — un véhicule offroad de hautes performances pour manœuvrer à toute berzingue dans le désert, sur la neige, dans la boue, le gravier, etc. Les prospects ciblés seraient les différents corps d’armée ainsi que des sociétés d’exploration et de production pétrolière. D’autres sources évoquent explicitement la participation de Lamborghini à l’appel d’offres de l’armée américaine, à la suite duquel le Humvee sera retenu, ou alors à une simple présentation non assortie d’un essai. Ces deux histoires ne sont sûrement que les deux faces d’une même médaille, dont le pitch reste hallucinant. Pensez-vous, LE fabricant de voitures italiennes les plus crâneuses au monde — fignolées à la main et à l’oreille — qui s’estime légitime pour trimbaler des chiens de guerre ricains ou des chasseurs de pétrole en plein désert…

En 1977, la presse automobile découvre donc le fruit de ce travail, un imposant engin baptisé Cheetah. Comment dire… on est loin d’un Peugeot P4 : un immense buggy au regard troublant, des roues qui arrivent à la poitrine, un big block à l’arrière, une robe couleur sable, quatre sièges avec rien d’autre au-dessus de la tête qu’un arceau-cage. Au Pentagone, on fit immédiatement le lien avec le FMC XR311, prototype local des années 70 aux aspirations identiques. Cette proximité technique et visuelle fit très peur aux avocats de MTI et on expliqua gentiment à Lamborghini qu’il ne fallait pas espérer aller plus loin dans le projet. Le Cheetah fit donc long feu et dégringola de son arbre la nuit venue. Le prototype était mu par un V8 Chrysler de presque 6 litres, crachant péniblement 170 chevaux. Les capacités de franchissement n’avaient rien de félines, la tenue de route était fort curieuse, et l’ensemble plafonnait à 160 km/h.

Après le Cheetah, place au LM001…

Après un râteau pris dans la tronche, l’ego en prend un coup, mais les frères Mimran ne voulurent pas pour autant mettre une pierre sur le projet. Ce qui aurait dû rester à l’échelle du prototypage allait poursuivre une carrière dont la motivation d’achat surfera sur la superficialité et l’insolence, avec 25 ans d’avance sur le phénomène “4×4 de footballeur”. Mais tout d’abord, étudions les quelques essayages bizarres et tentatives techniques boiteuses qu’a essuyé le félin.

Persévérance (ou perversité) des Italiens en 4 étapes

Étape 1 : le LM001 — LM pour Lamborghini Militaria –— foule des pattes les tapis du Salon de Genève en 1981 avec un nouveau moteur V8 5,9 litres de chez AMC, délivrant 180 chevaux (mais quel rendement, messieurs dames !). Sa robe de buggy en fibre de verre à la Mad Max s’est transformée en une carrosserie fermée en aluminium, reposant sur un châssis tubulaire du même métal. Le LM001 n’est ni plus ni moins qu’un Cheetah retravaillé et civilement carrossé. En sus, une très élégante mitrailleuse montée sur mât télescopique est envisagée pour occuper les passagers arrière, naturellement accompagnée d’un toit décapotable. Que de bon goût. Les sièges sont de l’ordre du strapontin de plage et la planche de bord est en tôle pliée, ça sent davantage le prototype fini à la taloche que l’habitacle volontairement spartiate d’un véhicule d’armée. Les portières sont taillées pour des nains (équipés d’escabeaux) et on devine l’emplacement du gros bloc moteur à l’arrière par la quantité de prises d’air sur les flancs — trois de chaque côté, derrière les portières arrière — complétées par deux immenses calandres carrées situées de part et d’autre de la roue de secours.

Après le LM001, place au LMA002

Tous ces efforts ne changent cependant pas grand-chose au problème structurel central du Cheetah : avec son pesant moteur arrière, sa haute garde au sol et ses suspensions à grand débattement, le véhicule est absolument incontrôlable à l’accélération. Effectivement, sans être ingénieur, on imagine facilement le problème de répartition des masses : rien qu’à l’arrêt, il baisse du cul comme une vieille  Mercedes chargée à bloc. Lorsqu’on sait que la version finale était censée recevoir un V12 de Countach dans la même configuration, on imagine la sueur en train de couler sur les tempes des courageux pilotes d’essai, à la simple idée d’un tour de piste.

Étape 2 : en 1982, l’engin est totalement remanié et devient LMA002 — avec un A pour Anteriore — tout le monde ayant bien compris le danger de mort imminente dont le moteur arrière était synonyme. Allégresse chez Lamborghini, les ingénieurs sont arrivés, non sans mal, à loger le moteur de la Countach entre les roues avant ! Ça tire fort, même très fort, le cadre tubulaire a été revu en conséquence, d’autant que la bestiole frise désormais les 2 600 kilos… L’arrière ainsi débarrassé prend la forme d’un genre de benne — entendons-nous — assurément moins grande et pratique que celle d’un pick-up. Une direction assistée, une bonne sono et des vitres teintées sont prévues. La version définitive, commercialisée quelques années plus tard, restera assez proche visuellement, à l’exception d’une face avant moins compliquée (dont un capot différemment ouvragé), de feux avant ronds et de feux arrière non plus repris d’une Countach.

Difficile de trouver des photos du prototype LM003, mais il donnera son nom à une étude de style, en 1997, censée remplacer le LM002 (et préfigurant sans le savoir l’Urus)

Il se dit sur quelques sites internet que l’armée saoudienne signa à cette époque une précommande pour un lot de 500 à 1 000 véhicules. D’autres sites démentent et parlent d’effets d’annonce ou de rumeurs diffusées à la suite d’un envoi isolé de quelques modèles armés et équipés de blindages. Dommage, quoi de plus saoudien que de foncer à travers les dunes à bord d’un LMA002 blanc immaculé, les armoiries du royaume flanquées sur les portières, la mitrailleuse dépliée sous un chaud vent sablonneux ?

Après le LM003, place au LM004

Étape 3 : LM003 est le nom porté par un prototype de LM dont le but était de tester l’emploi d’un moteur Diesel VM Motori de 5 cylindres et 150 chevaux. Encore un essai motivé par un excès de confiance et conclu par la réalité de la force de gravité. Bien plus tard, dans les années 90, LM003 fut également le nom d’un projet signé avec SZ (anciennement Zagato) pour imaginer la succession du LM002. Quelques esquisses et une maquette seront livrées. Ces dessins de 1997 préfigurent certaines formes brutalistes qui firent fureur chez Lamborghini à partir des années 2000.

Étape 4 : une information reprise sur de nombreux sites automobiles généralistes développe l’idée que le moteur de bateau de course Lamborghini L804 de 7,3 litres pouvait être adapté et livré en option sur le véhicule, pour donner le change aux clients les plus esbroufeurs. C’est en réalité une information erronée. La seule LM équipée dudit moteur marin fut la LM004. Elle ne fut ni vraiment fiabilisée et encore moins vendue, le rapport poids/puissance n’étant pas plus favorable et l’ajustement du compartiment moteur beaucoup trop laborieux.

Enfin, le LM002 dans sa version définitive

Un éléphant blanc 

Le LM002 enfin terminé et commercialisable arrive en 1986 au Salon de Bruxelles. Évidemment, il ne ressemble à rien d’équivalent, sa silhouette tricorps lui donne un lien de parenté avec un Hummer et l’éloigne de tout ce qui comporte 4 roues motrices à l’époque. Gigantesque et apocalyptique, le meilleur des Range Rover a l’air d’une Fiat Panda à côté. Deux énormes filtres à air sont installés sur le V12, obligeant Lamborghini à concevoir un capot moteur entièrement déformé par la mécanique, accentuant le brutalisme par rapport au prototype. Plusieurs réservoirs à la capacité totale de 297 litres ne sont pas de trop au regard de l’appétit du monstre. Pensez-vous, 30 litres de super aux 100 kilomètres sur le plat et sans vent de face ! Mais c’est avant tout le 4×4 le plus rapide du monde, j’aborderai quelques chiffres dans les lignes qui suivent.

Les portières, de même que tous les pans de la carrosserie, sont plates et optimisées de manière à faciliter l’application de panneaux de blindage sur une carrosserie fabriquée à Bilbao, puis ramenée à Sant’Agata pour être connectée au châssis. Les immenses roues de 120 kilos sont équipées d’onéreux pneus « Scorpion » spécialement développés par Pirelli, prévus pour rouler même à plat. De très vilaines jantes en tôle laisseront la place à de plus jolis modèles en alu à 8 branches de chez OZ en cours de carrière.

À l’intérieur, c’est toute la magie de l’Italie appliquée à un style de véhicule diamétralement opposé à ce que fait Lamborghini habituellement : une planche de bord droite posée sur un tunnel ultra-mastoc sur lesquels on a jeté au hasard un volant, des boutons et des compteurs. Quatre sièges (tous identiques) joliment galbés, mais qui paraissent fort minces, et un outrancier cuir rouge, blanc, noir ou crème, qui recouvre tout. Une climatisation vient heureusement tempérer l’atmosphère des passagers qui ont le V12 de Countach de 455 chevaux devant leurs genoux. On ne tient qu’à quatre dans l’habitacle mais la benne arrière permet d’asseoir face à face quatre autres amis (ceux que l’on aime moins) et qui doivent se cramponner comme ils peuvent à la barre qui court sur le pourtour arrière. Cramponner est bien le mot car, malgré son aérodynamique de tank, le LM002 monte à plus de 200 km/h et abat le 0 à 100 en moins de 8 secondes — eh oui, quand même.

Les brochures du LM002 l’exhibent en goguette dans les rues de villes italiennes typiquement Rinascimento pour lui donner bon genre, rassurer sur son origine, son pedigree, malgré une physionomie de chasse-neige débarrassé de sa lame. Le nom barbare et « ingénierial » LM002  — sans A — est conservé en dépit de l’esthétique linguistique. Lamborghini Sballo, Lamborghini Tempesta, Lamborghini Duna, les idées me viennent pourtant facilement. Il est difficile d’établir une cohérence de gamme avec les Jalpa et Countach contemporaines mais, quand on est à la base un constructeur de tracteurs agricoles, produire un tel Léviathan ne revient ni plus ni moins qu’à rattraper un boomerang qui revient…

Vendus au même prix qu’une Countach 5200 QV, les 301 exemplaires du LM002 furent aspirés par l’enchanteur écosystème des stars américaines et des fortunes pétrolières arabes entre 1986 et 1992. L’époque n’était pas au conformisme automobile et les monstruosités à gros moteur trouvaient toutes leur clientèle. Des clients de très bonne réputation au goût pointu tels que le roi du Maroc, Kadhafi, Amin Dada, Mike Tyson ou encore Pablo Escobar auront leur LM002. Si une étude de marché préparatoire avait été exécutée, il y a fort à penser que ces cibles auraient été à la base du plan produit. Or, la réunion projet se déroula autrement : l’armée n’en veut point ? Qu’à cela ne tienne, collons-y plein de cuir, une sono, une clim et voyons si le feu prend, le capital marque et le goût du scandale feront office de catalyseurs.

Conduire LM002, mais pour aller où ?

Les différents testeurs professionnels rapportèrent des conclusions aussi fantastiques qu’anormales pour une voiture de ce poids et de ce prix : d’énormes ornières que l’on ne sent pas, des virages pris sans trop de roulis à des vitesses déraisonnables, un freinage hallucinant, mais aussi des configurations mécaniques dangereuses (un silencieux d’échappement très proche du différentiel arrière), une climatisation possédée par le diable, une électricité tout aussi colérique, un embrayage et une direction de camion, un commodo de clignotant qui ne revient pas en place après avoir redressé les roues… Mais bon, la voiture étant tellement aberrante et illogique par essence, peut-on vraiment lui en vouloir ?

Pour ce qui est de mouvoir la machine dans son environnement naturel, les sabots avant et arrière nous renseignent visuellement sur ce qui est envisageable. Lamborghini promettait des franchissements d’angles à 50 degrés (c’est-à-dire des pentes à 120 %), on peut donc considérer que le véhicule grimpait aux arbres. Personnellement, je n’engagerais pas un V12 italien dans des franchissements de cours d’eau ou pour jouer dans la boue, de la même manière que je ne me sers pas d’assiettes en porcelaine peintes à la main lors d’un pique-nique au ski. De toute façon, le LM002 se conduit

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