Guangzhou-Peugeot Automobile : histoire d'un fiasco !
Le communiqué de presse de 2004 annonçant le retour de la marque Peugeot en Chine évoque bien son premier passage dans l’Empire du Milieu entre 1985 et 1997, mais ne s’attarde pas sur les raisons de son départ, ni ne s’embarrasse pas d’explications sur le formidable gâchis de la joint-venture Guangzhou Peugeot Automobile Company (GPAC). S’installer en Chine dès 1985 était pourtant une idée de génie, et aurait pu permettre à Peugeot de dominer le marché aux côtés de Volkswagen…. Et pourtant, c’est la queue entre les jambes que le constructeur sochalien va quitter le pays.
Si l’on se penche sur l’histoire de GPAC, on comprend mieux pourquoi PSA ne s’est pas attardé sur la question dans son communiqué de presse. Car si les chinois ne sont pas toujours des partenaires faciles, il semble que l’affaire GPAC ait été menée en dépit du bon sens. En fait, dès le départ, les germes de l’échec sont présents.
La 504 était proposée en Pick up simple ou double cabine !La première erreur vient sans doute du choix du partenaire, la municipalité de Guangzhou. Certes, la ville est un port maritime de premier ordre, situé non loin de Hong Kong, ancien comptoir de la route de la soie, et c’est sans doute cette situation portuaire qui a séduit Peugeot. La marque française était encore dans une logique « coloniale » de la délocalisation automobile : à la manière de ce qu’elle faisait au Nigéria (lire aussi : Peugeot au Nigeria), elle envisageait surtout cette joint-venture comme un débouché pour ses propres usines plus qu’une opportunité de conquête de marché. Résultat, les débuts de Peugeot en Chine se firent pas le biais de CKD (kits envoyés de France). Lorsqu’il fallut développer la part des composants chinois dans les voitures produites à Guangzhou, on s’aperçut alors un peu tard que l’arrière pays ne disposait d’aucunes industries liées à l’automobile, que ce soit production d’acier, de plastique ou d’équipementiers automobiles ; ni même d’ailleurs d’autres constructeurs automobiles. L’approvisionnement éloigné, en Chine comme en France, contribuait à la lenteur et à la complexité du processus de fabrication.
Les berlines et breaks étaient quant à elles des 505 !Ce péché originel n’est pourtant pas le seul responsable de l’échec de Peugeot. Le choix des modèles y est aussi pour beaucoup. Si les 504 et 505 avaient pour elle une réputation de sérieux, de solidité, et de fiabilité, ces avantages disparaissaient avec la fabrication en Chine… Les composants chinois de piètre qualité, choisis à l’économie, considérant sans doute que la population chinoise ne méritait pas mieux, et l’assemblage aléatoire des modèles ne contribuèrent pas à la bonne réputation des Peugeot ! En outre, ces modèles commençaient à dater sérieusement, notamment dans le cas de la 504 (sortie en 1968). Si les premiers exemplaires furent vendues à des flottes se souciant peu de l’adéquation des véhicules au marché, lorsque la deuxième phase de « conquête » fut lancée en 1989, les 505 (principale offre) révélèrent une faiblesse insoupçonnée par Peugeot : pas assez prestigieuses ou grandes pour les dirigeants du parti (qui leur préféraient les Audi 100 ou Volkswagen Passat), elles se révélaient trop grandes et trop chères pour les familles chinoises s’initiant à l’automobile. Seuls les taxis s’y intéressèrent vraiment (l’histoire se répète, lire aussi : Peugeot 505 USA)…
A cela s’ajoutaient aussi des problèmes de distribution. Sans réseau digne de ce nom, impossible de conquérir un pays aussi grand que la Chine, et si la zone maritime du Sud-Est de la Chine (proche de Guangzhou) disposait de concessionnaires, ce n’était pas le cas dans le nord, si ce n’est à Pékin… Difficile d’atteindre l’objectif de 150 000 voitures par an dans ces conditions là.
Mais comme si cela ne suffisait pas, la suffisance de l’encadrement français y fut aussi pour beaucoup. Dès le départ, les Français exigèrent la direction de la co-entreprise, et estimèrent qu’à chaque niveau de direction, un cadre « Peugeot » doublerait le cadre chinois, et ce alors que PSA ne détenait que 22 % de la société, contre 46 % pour la municipalité de Guangzhou qui commençait à l’avoir mauvaise et à se dire que ces mangeurs de grenouilles les agaçaient prodigieusement. Résultat, Peugeot se privait de l’initiative de cadres chinois connaissant mieux le marché, et réussit à commettre à peu près toutes les erreurs possibles.
En 1993, à titre d’exemple, GPAC vendait 2554 exemplaires (autant dire peanuts) contre 146 000 pour son concurrent Shangai-VW ! Entre temps, en 1992, Citroën s’alliait de son côté avec Dongfeng (lire aussi : Dongfeng). Mais pour être sûr de bien plomber l’opération, Peugeot fit une nouvelle fois preuve de suffisance en 1992 en tentant de refourguer par la force une ligne de production de cylindres à 100 millions de Francs, ne cédant qu’au dernier moment. Finalement, GPAC acheta une ligne allemande, techniquement plus évoluée et dans le même temps bien moins chère !
C’est à ce moment là que s’engageaient les négociations pour la 3ème phase du contrat, prévue pour 1994. Cette dernière phase devait permettre de faire passer les capacités à 150 000 exemplaires par an, suivant ainsi les directives du gouvernement chinois. Celui-ci avait annoncé dès 1993 que les co-entreprises n’atteignant pas ce seuil seraient abandonnées à l’horizon 1997. La 3ème phase devait permettre à Peugeot de monter au capital à égalité avec Guangzhou, contre un investissement de 900 millions de yuans. Les Français voulaient apporter l’équivalent en technologies, que les chinois n’évaluaient qu’à 100 millions de yuans. Le désaccord était total.
D’un côté Peugeot refusait d’investir plus de cash, tandis que de l’autre, les Chinois reprochaient aux Français leur pingrerie, et de se payer sur la bête (entre 1994 et 1996, PSA vendit pour 3 milliards de yuans à GPAC, qui dans la même période avait perdu 800 millions de yuans ! La messe était dite, d’autant que la Joint-venture n’avait pas atteint le seuil des 150 000 voitures (depuis 1985, à peine 100 000 unités avaient été produites). De son côté, Peugeot estimait qu’avec 85 % de composants chinois, l’affaire n’était plus assez rentable pour elle !
En 1997, la GPAC fut dissoute, et Peugeot laissa seule Citroën en Chine. Guangzhou de son côté construisit un partenariat gagnant/gagnant avec Honda, Il faudra attendre 2004 pour voir à nouveau une Peugeot (la 307) construite dans l’Empire du Milieu. Suffisance, appât du gain, absence de vision stratégique, ont conduit Peugeot à dilapider l’avantage d’une installation précoce en Chine. Que de temps perdu, alors que les analystes savaient dès 1989 que le marché chinois allait devenir le principal marché automobile mondial ! Ironie du sort : c’est dans la même période que Peugeot rata le coche en Inde d’une manière presque similaire (lire aussi : Les aventures de Peugeot en Inde).