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PSA

Et si on parlait de l'affaire Tavares ?

Par - 11/04/2016

Ces derniers jours, la presse (écrite comme télévisuelle, et bien intendu internet) ne parle que de cela : ce salaud de Carlos Tavares a doublé son salaire, pour dépasser les 5 millions d’euros de revenu cette année.

Bien sûr que 5,2 millions d’euros c’est beaucoup, et vus mes revenus actuels (je gagne moins qu’un ouvrier de chez PSA), j’ai l’impression que ma vie ne suffira pas, sauf retournement de situation improbable, à gagner autant que Carlos en une seule année… Et pourtant…

En fait, ce qui m’énerve dans ces infos, commentaires, et éditoriaux vindicatifs ou défensifs, c’est la méconnaissance, la dissimulation ou la manipulation qui en découle toujours. Etre ulcéré ne veut pas dire être idiot et n’entendre que la moitié des arguments. Voici donc mon plaidoyer pour Tavares, et mes charges.

Le Plaidoyer pour Tavares

PSA était à la dérive, depuis de longs mois, voire de longues années, et force est de constater que depuis l’arrivée de Carlos Tavares, les choses vont beaucoup mieux. Qu’un golden parachute (désormais interdit au sein du groupe) puisse choquer, surtout quand l’entreprise est en grave difficulté, d’accord. Mais qu’un patron (aux responsabilités énormes, faut-il le rappeler) soit payé aux résultats (et donc en tire profit lorsque ses objectifs sont atteints) ne me choque pas. Comme un commercial touchant ses primes pour objectif. J’ai fait ce métier (commercial, pas PDG d’un grand groupe auto) et je vous confirme que la pression est énorme. Celle que mes chefs, patrons, ou moi-même me mettaient était sûrement très faible par rapport à celle que Carlos doit subir. La rémunération était en conséquence. Bien sûr, à plus d’un million brut par an de fixe, la pression sur son avenir personnel est moindre, mais la pression de la responsabilité de dizaine de milliers de salariés, si l’on considère que Tavares est quelqu’un de bien, c’est un lourd poids aussi.

Et puis, il faut arriver à s’imposer, décider, orienter, trancher, malgré la pression de son staff, des salariés et de leurs représentants, des actionnaires aux désirs divers (quoi de plus différents que l’Etat, une famille bourgeoise de province ou un industriel chinois?), les marchés, les analystes, les banquiers, les journalistes, les je-sais-tout etc… ??? Qui serait capable de résister à cette pression là ? Pas moi (ou du moins, vu comme ça je ne sais pas, mais qui sait ? On se révèle parfois au gré des événements!).

Nous verrons un peu plus tard que le redressement de Peugeot ne date (en fait) pas d’hier, mais il faut rendre à César ce qui est à César : Tavares a insufflé un mouvement, un dynamisme, une sorte de vent nouveau dans une maison qui semblait sclérosée de l’intérieur ! En matière d’industrie automobile, le temps est long et cours en même temps : long dans le développement des modèles ce qui implique des décisions stratégiques visionnaires, et cours parce que votre marché peut s’effondrer et rendre caduque votre stratégie en deux temps trois mouvements. Seuls des groupes à fortes capacités capitalistiques comme Volkswagen ou Toyota aujourd’hui peuvent sereinement mener une stratégie de long terme sans risques… et encore ! VW en a fait l’amère expérience récemment : les places ne sont jamais figées, et tout peut toujours arriver.

Chez PSA, les prémices du redressement étaient déjà là avant l’arrivée de Tavares : le best-seller de la marque Peugeot aujourd’hui, la 308 était déjà largement en gestation à son arrivée (ce n’est pas pour rien que l’Etat ou Dongfeng sont entrés au capital : le potentiel était là, et les deux feront sans doute une jolie culbute qu’ils oublieront de dire le jour de leur désengagement). Il ne faut pas oublier que les décisions prises par Christian Streiff se paient positivement aujourd’hui, avant qu’il ne subisse un AVC, et à une incapacité conduisant à une certaine vacance du pouvoir. Ajoutons à cela les effets de la crise de 2009 (qui a mis les principaux groupes automobiles américains sous le coup de la loi sur les faillites et sous perfusion de l’état) qui ont mis à genou PSA, à court de cash mais pas à court d’idées.

En fait, Back in the Race, c’est l’histoire d’un plan imaginé avant, mais réalisé par l’homme qu’il fallait, en pleine capacité de ses moyens, connaissant l’auto, pilote à ses heures, relativement humble dans son attitude malgré son exigence envers lui-même et les autres…. Et surtout un homme revanchard plutôt qu’un homme d’argent (rappelons ici qu’il s’est fait viré de chez Renault où il avait fidèlement poursuivi toute sa carrière pour avoir oser des ambitions personnelles).

Parlons de Carlos Ghosn d’ailleurs, qui gagne grosso modo 3 fois plus que Tavares chez Renault-Nissan : fait-il autant scandale ? Parlons aussi des primes de 2000 euros à chaque salariés, 3 ans à peine après une quasi faillite, en récompense de leurs efforts. Enfin, last but not least, les 5 millions dont on parle ne sont pas tout à fait 5 millions, puisqu’une partie salariale, une partie variable, et une partie (plus de 2 millions) en actions invendables avant 2018 ! Bon ok, j’aimerai le même type de revenu, mais parle-t-on de la participation et de l’abondement des salariés de PSA qui j’imagine doivent avoir aussi des plans de participations du même genre (à moindre échelle, évidemment).

Bref, ce qui me gêne, ce n’est pas son salaire (à ce niveau de thune) mais c’est l’information tronquée, peu ou pas expliquée… qui font de Tavares le mec à abattre alors que bon… y’a pire, largement pire. D’autant qu’un grand patron d’industrie automobile aujourd’hui, ça se négocie en million d’euros. Comme disait un représentant de PSA : « c’est cela ou on le perd » !

Il m’est arrivé de le croiser sur des salons, notamment à Francfort récemment : il m’a rappelé certaines personnes que je connais, brillantes, et même parfois riches, mais n’en laissant rien paraître. J’ai même eu l’impression d’être bien habillé en voyant son blazer, son pantalon en flanelle (ou du genre) et des chaussures ne laissant pas transparaître ces fameux 5 millions. Relativement humble le gars.

Les charges contre Tavares !

Mes charges sont assez légères, et seraient plutôt des charges contre les journalistes. Quitte à critiquer le boss de PSA, autant le faire avec précision.

Si vraiment on voulait attaquer Tavares, on pourrait en premier lieu dire que le redressement de Peugeot-Citroën-DS n’est pas totalement de son fait. Le plan engagé par Varin est largement responsable de la nouvelle rentabilité de PSA, mais personne ne le dit. Comme personne ne dit que les décisions discutables de Jean-Martin Folz, le prédecesseur de Streiff et de Tavares, ont précipité PSA dans le gouffre. Rappelez-vous : le temps long et le temps court ! Les décisions prises courant 2000 ont compté dans la débâcle de 2012 ! On aurait donc du, pour critiquer Tavares, dire que le redressement de Peugeot n’était pas de totalement de sa responsabilité ! Et pourquoi pas réhabiliter Christan Streiff, dont l’AVC a sans doute porté préjudice à Peugeot… Voire Philippe Varin !

On aurait du dire aussi, pour démonter Tavares, que les conditions « d’actionnariat » mais surtout de garantie n’ont pas été respectées ! Car l’Etat a joué d’incompétence. Son entrée au capital n’a été conditionnée par aucune contrepartie réelle, tandis que sa garantie bancaire, oui ! Sauf que PSA a vite trouvé la parade, en se débarrassant de la tutelle de l’Etat pour ses emprunts, grâce à un nouveau garant, la banque espagnole Santander (vieux réflexe capitaliste). Dans le deal, la rentable et juteuse banque PSA ! Le tour de passe-passe financier est passé relativement inaperçu, mais cela a permis à PSA de se dédouaner de tout contrôle de l’Etat hors du conseil d’administration. L’obligation de contrôle de la rémunération des dirigeant ne tenait que tant que l’Etat se portait garant des emprunts de PSA. Au bout d’un an, PSA n’avait plus besoin de cette garantie, et renégociait sa relation avec l’Etat, pouvant dès lors être à nouveau libre sur la rémunération !

On peut objectivement regretter ce côté bonneteau… L’aspect financier reprend le dessus, et le naturel revient au galop. De là à plomber Tavares et sa façon de faire. Rappelez-vous le début de l’article : il y a pression des actionnaires sur l’ami Carlos… Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, sa rémunération ne dépend pas de lui… mais bel et bien des actionnaires. L’Etat a voté contre, mais la majorité a voté pour, après 3 années sans augmentation notoire.

Ce qui choque, et moi le premier, c’est la somme comparée à ce que gagne un ouvrier ou à mon propre salaire aujourd’hui ! Mais ne faisons pas de démagogie : un patron sera toujours mieux payé qu’un ouvrier, et à titre de comparaison, Tavares est mal payé pour la taille de l’entreprise, même avec 5 millions d’euros, si l’on compare à ses confrères dirigeants de grands constructeurs. On peut regretter cela, mais c’est la réalité économique : les meilleurs se payent chers !

Bref, vous l’aurez compris, mon avis est finalement relativement tranché : cette histoire de salaire est encore une affaire « médiatique » plus qu’un véritable problème. Car la prime de 2000 euros proposée aux 184 000 salariés (selon le site de PSA) représente tout de même 368 millions d’euros… Remis dans son contexte, les 5 millions de Tavares paraissent un peu moins grand non ?

Photos : Les Echos ©


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PAUL CLÉMENT-COLLIN - 04/03/2014
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