Delahaye Type 235 : la fin d'une époque
Durant les années 30, la France comptait encore de nombreuses marques automobiles de prestige. Quelques années et une guerre mondiale plus tard, la situation n’était plus du tout la même. Pour Delahaye, l’une de ces prestigieuses marques, il fallait redresser une situation particulièrement défavorable. Pour cela, les dirigeants du constructeur créé en 1894 par Emile Delahaye allaient se lancer dans deux projets bien différents : le développement d’un Véhicule Léger de Reconnaissance (VLR) pour remplacer les Jeep de l’armée française et le lancement d’un nouveau modèle de grand luxe, la Type 235.
Au sortir de la seconde guerre mondiale, Delahaye devait se contenter de relancer son modèle Type 135 pour tenter de se refaire une santé financière, une voiture lancée en 1935 accusant le poids des années, construite de façon artisanale et à l’ancienne : Delahaye n’en produisait que les châssis et la mécanique, tandis que des carrossiers extérieurs se chargeaient d’habiller la voiture en fonction des désirs d’une riche clientèle. Le plan Pons, organisant l’industrie automobile dans cette période de reconstruction, maintenait Delahaye dans la production de voitures de prestige, mais aussi une activité de production de camions dédiés notamment aux pompiers, permettant à l’entreprise de survivre.
Les Delahaye Type 235 carrossées par Antem (en haut et en bas)En effet, l’immédiat après-guerre n’était pas une situation très favorable à la production de voitures de luxe : le rationnement était encore en vigueur, la situation économique était catastrophique et la clientèle traditionnelle avait soit vu ses revenus drastiquement baisser, soit décidé de reporter l’achat de tels véhicules. En conséquence, la firme de la rue du Banquier avait vu sa production chuter à 511 exemplaires en 1949 malgré le lancement de la 175, évolution de la 135. C’est dans cette situation que Delahaye décidait, pour diversifier ses activités et survivre, de répondre à l’appel d’offre de l’armée française pour le VLR.
Une Delahaye Type 235 carrossée par FigoniMalgré cela, le constructeur n’en abandonnait pas le marché du luxe, mais ses ressources limitées furent affectées au développement du petit tout-terrain militaire plutôt qu’à celui d’une nouvelle voiture : il fallait donc faire du neuf avec du vieux. Autant pour le VLR, Delahaye cherchait des solutions innovantes, autant elle restait fidèle à des solutions techniques d’un autre âge pour sa future Type 235 : en réalité, elle dérivait de la Type 135 avec un lourd châssis antédiluvien (1 100 kg), tout comme son moteur, évolution du 6 cylindres maison de 3 557 cc doté d’une nouvelle culasse et de 3 carburateurs double-corps, développant au final 152 chevaux au lieu de 130. Du côté des freins, elle se contentait de commandes par câbles.
Le Cabriolet carrossé par SaoutchikAutre pratique d’un autre âge, les Delahaye conservaient (par snobisme) la conduite à droite, apanage des voitures de luxe d’avant-guerre, mais une pratique passée de mode chez la plupart des constructeurs (sauf les anglais, bien entendu). Enfin, la marque restait fidèle à la carrosserie traditionnelle à laquelle elle livrait les châssis. Cependant, la Type 235 restait une voiture relativement performante avec une vitesse de pointe dépassant les 180 km/h. Bien que les carrosseries soient réalisées par des carrossiers extérieurs, Delahaye décida d’unifier le style en confiant à Philippe Charbonneaux le soin de dessiner une calandre et une face avant moderne pour la 235.
Une Type 235 MS Carrossée par ChapronLe premier prototype de la 235, qui fut aussi le véhicule de démonstration pour la presse automobile, fut produit en 1951. Si le dessin est de Charbonneaux, la réalisation fut confiée à la Carrozzeria Motto, en Italie. Sa carrosserie était en aluminium et sa finition très légère car réalisée en un temps record. Le premier véhicule de série fut réalisé par la carrosserie française Letourneur et Marchand, toujours dans une version « coach ». Dès lors, les carrossiers allaient varier selon les désirs du client : Chapron (la majorité des modèles, il fut le premier à proposer un cabriolet), Faget, Varnet, Saoutchik, Barou, Beutler, Antem ou Figoni. Au total, 84 exemplaires seulement seront produits entre 1951 et 1954 : le prix démentiel de 1 365 000 francs expliquait en partie cette faible production, ainsi que le choix de solutions techniques et de fabrication obsolètes.
Une Type 235 M réalisée par ChapronCe n’était cependant pas l’échec de la Type 235 qui précipita la chute de Delahaye en 1954, mais bel et bien le projet VLR qui devait pourtant offrir à la marque de nouveaux débouchés. La fragilité du modèle et l’obligation de procéder à de coûteuses remises à niveau pour son unique client, l’armée française, mit à mal la trésorerie fragile de Delahaye qui sera obligé de fusionner avec son concurrent de toujours, Hotchkiss, en 1954. La production des modèles spécifiques de la marque, la 235 et le VLR, fut stoppée, et Hotchkiss-Delahaye se concentra alors sur la production sous licence de la fameuse Jeep MB, la M201.
Aujourd’hui, les Delahaye Type 235 sont très recherchées. En effet, elles représentent une sorte d’époque révolue, celle des carrossiers, des voitures de prestige françaises. Chaque modèle est unique et différent du précédent, en termes de style ou d’équipements. Pour s’offrir ce petit morceau d’histoire, il faudra dépenser entre 130 000 et 210 000 euros selon les modèles (LVA 2018).
Crédit photo : DR, Artcurial, Bonhams, Delahaye
Liens de l’article : Le plan Pons et Hotchkiss M201
CARACTERISTIQUES TECHNIQUES DELAHAYE TYPE 235 (51-54) | |
Motorisation | |
Moteur | 6 cylindres en ligne |
Cylindrée | 3 557 cc |
Alimentation | 3 carburateurs Solex |
Puissance | 152 ch à 4 200 trs/min |
Couple | nc |
Transmission | |
Roues motrices | Arrière |
Boîte de vitesses | Boîte de vitesses électromagnétique Cotal 4 rapports |
Dimensions | |
Longueur | 5 100 mm (suivant les carrosseries) |
Largeur | 1 850 mm (suivant les carrosseries) |
Hauteur | nc |
Poids | environ 1 800 kg (châssis seul : 1 100 kg) |
Performances | |
Vitesse maxi | 180 km/h |
Production totale | 85 exemplaires (51-54) |
Tarif | |
Cote moyenne 2018 (LVA) | de 130 000 à 210 000 euros |