Daewoo Espero : la Xantia coréenne !
Bertone fut un fidèle compagnon de Citroën dans les années 80, signant avec un certain succès le dessin original de la Citroën BX, même s’il est aujourd’hui, à tort, controversé, et celui (magnifique à mon sens) de la Citroën XM. Au début des années 90, il signera aussi la ligne plus timide de la Citroën ZX. Pourtant, il faut bien l’avouer, le studio italien est aussi, au choix, une grosse feignasse (si l’on est méchant) ou un excellent recycleur (si l’on est gentil). Cette politique de recyclage chez l’italien n’est pas nouvelle, on le verra, mais sautera aux yeux dans les années 90 avec la Daewoo Espero.
La BX était une vraie révolution stylistique pour Citroën, et la marque aux chevrons jouaient gros avec un tel design sur un modèle si capital à sa survie et à celle du groupe PSA ! La direction n’hésita cependant pas à choisir le dessin de Bertone, mais ne pouvait ignorer que la proposition italienne n’était pas nouvelle. En 1979, le designer avait proposé le projet Tundra à Volvo (l’un de ses plus gros clients à l’époque), pour rendre plus sexy la gamme 340/360 issue de la gamme Daf (lire aussi : Volvo Tundra) ! Projet refusé, mais projet recyclé chez Citroën, avec le succès que l’on sait ! Après le succès de la BX, Citroën fera encore appel à Bertone pour la XM, offrant cette fois-ci un dessin original. En revanche, pour la ZX, l’ami rital la jouera à l’économie.
Il avait dessiné une jolie petite berline de milieu de gamme pour le constructeur yougoslave Zastava, la Yugo Florida. Il lui suffisait de remettre au goût du jour le style et de proposer un dessin encore relativement proche à Citroën, qui valida ce qui deviendra la ZX ! La Yugo Florida n’était pas très connue en France, et après tout, tant que le constructeur français disait oui, pourquoi se priver hein ? Inévitablement, ce coquin de Bertone se retrouve sur l’appel d’offre pour dessiner la nouvelle Xantia. Est-ce parce que les pontes de Citroën se sont rendus compte de l’arnaque, ou tout simplement parce que le dessin ne leur plaisait pas ? Toujours est-il que le projet Bertone fut refusé, et Bertone ne retravaillera plus jamais pour Citroën.
Mais fidèle à sa tradition, Bertone comptait bien rentabiliser son dessin, et frappa à la porte d’un inconnu coréen, Daewoo, membre de la galaxie GM à l’époque. Cela tombait bien puisqu’il désirait produire une berline de ce gabarit, et s’apprêtait à conquérir l’Europe. Emballé c’est pesé, Daewoo accepte le projet qui deviendra l’Espero. Ironie du sort, la Xantia ne sortira qu’en 1993, tandis que l’Espero s’offrait le luxe de sortir en 1990 ! Bon l’Espero partage certains traits avec la berline aux chevrons, mais n’en est pas une copie puisque la Xantia a bien été dessinée par le centre de style du constructeur français. Cependant, partant du même cahier des charges, certaines ressemblances sont troublantes. Surtout, on reconnaît bien dans le dessin le « style » instauré par Bertone chez Citroën avec la BX et la XM. L’Espero, de profil, semble avoir le même traitement des vitres latérales que la XM.
Bref, avec Bertone, rien ne se perd. Dernière ironie du sort, la coréenne sera en partie fabriquée par la société roumaine Rodae, filiale de Daewoo renommée après le rachat du constructeur Oltcit, et partagera les chaînes de fabrication avec les derniers exemplaires de la Club, plus connue chez nous sous le nom de Citroën Axel.
Bon, revenons à notre Espero. Si sa ligne est relativement moderne (merci Bertone), il n’en va pas de même de son châssis, dérivé de la plate-forme J du groupe GM, et vieille de presque 10 ans ! Côté moteur, on trouve des moteurs GM d’origine australienne (Holden) : 1.5 16v de 90ch, 1.8 de 85 ch ou 2 litres de 110 ch ! Pas de diesel à l’horizon. Véritable patchwork (dessin italien prévu pour un français, moteurs australiens, châssis allemand), l’Espero est aussi internationale dans sa fabrication : en Corée certes, en Roumanie (chez Rodae, on l’a vu), en Iran ou bien en Pologne (chez FSO).
En Espagne, où elle fut vendu, on comprit que son nom d’origine (qui signifie « j’attends » en espagnol) n’était pas une idée géniale : elle fut rebaptisée Aranos. En Grande Bretagne, elle connut un succès correct, les anglais étant souvent intéressés par les offres low cost (Dacia tenta même d’u vendre sa 1310 sous le nom de Dacia Denem). L’Espero fit le job jusqu’en 1997, et sera remplacée par la Leganza, contribuant à changer un peu l’image de Daewoo en Europe occidentale.
Aujourd’hui, une Espero ne vaut rien sur le marché de l’occasion (ne parlons même pas de « collection »). Pourtant, son histoire marrante et son design très Citroën pourraient en faire une pièce de choix dans votre collection décalée. Le plus dur sera d’en trouver une (ce genre de bestiole a souvent fini à la casse, car difficile à revendre), et encore plus en bon état. Une fois cette difficulté surmontée, vous pourrez rouler alors avec une voiture signée Bertone (qui malgré ses filouteries, a signé quelques belles œuvres hein!), et si vous avez l’esprit facétieux, vous pourrez toujours lui coller des chevrons, histoire de faire parler vos voisins si cette étrange Citroën qu’ils ne connaissent pas !