Chevrolet Corvette C1 "1953-1956" : les débuts difficiles d'un mythe américain
La naissance de la Corvette, c’est un peu la faute de la guerre. Je m’explique : tous ces GI’s revenant d’Europe, rapportant du vieux continent des caisses improbables pour l’américain lambda, des MG TC voire même TD au début des années 50, prouvaient à qui en doutait qu’il ne suffisait pas d’avoir la plus grosse pour se faire plaisir. Le paradigme du pékin lambda outre-atlantique vacillait, mais les vrais bagnolards, ceux qui « savaient » parce qu’ils bricolaient de vieilles Ford A façon hot-rod, comprirent rapidement que leur monde automobile allait changer. La venue du roadster à l’anglaise sur le sol US allait bouleverser la façon dont certains américains (pas tous) consommeraient la voiture, notamment ce qu’on allait appeler la « Sportscar » ! Ok, la vieille Europe montrait la voie, mais il était hors de question, pour la toute puissante General Motors, de se laisser damer le pion par ces british arrogants, ces italiens joueurs et ces allemands si allemands : la Chevrolet Corvette dite C1 sera la réponse yankee à la voiture de sport européenne, tentant de conjuguer le meilleur des deux mondes.
Lorsque le premier prototype de la Corvette fut présenté en 1953 au Motorama de GM à New York, l’Amérique était déjà en train de bouger : toujours en avance sur l’Europe, les USA, n’ayant jamais connu que la croissance, recueillaient les fruits des efforts de guerre. Hugh Heffner (qui mêlera plus tard l’automobile et ses playmates) lançait Playboy cette année-là, l’Amérique devenue le centre du monde rentrait de plein pied dans la consommation à outrance, et à Détroit, les usines crachaient de la Cadillac, de la Chevrolet ou de la Lincoln « en veux-tu en voilà ». Le marketing naissant commençait à segmenter à outrance, et la voiture de sport, ne représentant pourtant que 0,3 % du marché au début des années 50, devenait un business potentiel pour les grands pontes des marques américaines. À raison d’ailleurs, puisque, a posteriori, cela donnera la Corvette donc, mais aussi la Thunderbird ou la Mustang puis une flopée de ricaines débridées, abordables et finalement mythiques (a posteriori).
Car si aujourd’hui la Corvette tombe sous le sens, les débuts ne furent pas aussi roses que prévus : si la première année (1953) fut une année publicitaire, avec 315 exemplaires dont 50 furent diffusés auprès de célébrités de l’époque chargées d’en faire la promotion, la deuxième fut moins faste qu’envisagée au sein de Chevrolet. Avec 3 640 unités tombées des chaînes, on était loin d’exploser les compteurs. Pire, en 1955, seules 674 Corvette sortirent des chaînes de St Louis. Mais n’allons pas trop vite. A l’origine de la Corvette, il y avait une intuition plus qu’une étude marketing, l’idée que la jeunesse américaine ne pourrait pas se satisfaire de grosses voitures à moteur V8, et qu’il lui faudrait plus fun, plus distinctif, en bref, une vraie concurrence aux européennes, efficaces, mais chères. On l’a vu, les petites anglaises ramenées par les GI’s commençaient à titiller les plus férus de bagnoles et de mécaniques, et rien n’existait de tel dans les catalogues américains. Mais comme toutes les intuitions, les visions d’avenir, il fallait être capable de tenir le temps que le marché s’adapte.
Voilà bien la preuve qu’en matière d’automobile, il s’agit de se laisser du temps. Si les huiles de Détroit n’avaient regardé que les chiffres, nous n’aurions jamais connu ces générations successives de Corvette. Heureusement, General Motors pétait la forme en ce début des années 50 et la Corvette avait deux « défenseurs », Harley Earl au design et Zora Arkus-Duntov à la technique, tous deux persuadés du bien fondé d’une « sportscar » purement américaine capable de rivaliser avec les européennes. D’ailleurs Earl était sans doute le moteur principal du projet, convainquant la direction de GM en 1952 de préparer un concept-car dans cette optique pour le Motorama GM de janvier 1953, organisé au Waldorf Astoria à New-York.
Voilà comment les équipes commencèrent à plancher sur le projet EX-122 (EX pour expérimental). Il en résultait une voiture proche de ce que deviendra la Corvette, mêlant solutions ou composants éprouvés et procédé révolutionnaire : une carrosserie en fibre de verre. Les ingénieurs du début allaient donc faire le maximum pour utiliser des pièces existantes. Ainsi sous le capot on trouvait un 6 cylindres en ligne de 3.9 litres (235 ci) Blue Flame développant 150 chevaux, accolé à une boîte automatique 2 vitesses Powerglide, permettant un 0 à 60 mph (97 km/h) en 11,5 secondes.
Les 315 premiers exemplaires de 1953, les plus recherchés aujourd’hui, furent fabriqués à la main dans l’usine de Flint, avant que la ligne de production ne déménage à Saint Louis. Ils étaient tous identiques, de couleur « White Polo », à capote noire et intérieur rouge. En 1954, la réelle production pouvait commencer, avec des ambitions modestes certes (10 000 unités par an) : pourtant ce chiffre ne sera jamais atteint. En réalité, les nouveaux acheteurs de Corvette, souvent propriétaires auparavant de sportives européennes, ne la jugeaient absolument pas sportive, obligeant Arkus-Dunkov, intégré à l’équipe depuis peu et fervent défenseur du projet, à changer son fusil d’épaule, en optant pour un V8 4.3 litres (265 ci « Small block ») développant 195 chevaux, prévu pour 1955.
La Chevrolet Corvette Corvair, version « fastback » présentée au Motorama 1954Pourtant, malgré les résultats décevants, l’équipe ne baissa pas les bras. En 1954, au Motorama GM suivant, Chevrolet allait présenter 3 concepts dérivés de la Corvette : un roadster à toit rigide (EX-17179), un coupé « fastback » dénommé Corvair (un nom que l’on retrouvera sur un modèle Chevy en 1960), et un « shooting brake » appelé Nomad (en fait une base de Chevrolet Bel-Air retravaillée dans le style Corvette ; cette étude servira pour le modèle éponyme lancé en 1955 mais perdant sa parenté avec la Corv’). Les méventes n’empêchaient pas de rêver à une gamme plus large. Cependant, la priorité allait au développement de la nouvelle version V8.
En haut, la Corvette EX-17179, un coupé hardtop. En bas, la Corvette Nomad, présentée la même annéeLa production sera lancée en 1955, année qui faillit être la dernière pour la Corvette. En effet, le lancement de la version V8 (et de son optionnelle boîte Powerglide 3 vitesses) ne permit pas de redresser les ventes. Certes, la majorité des 674 exemplaires fabriqués cette année-là délaissaient le L6 (seules 7 unités furent dotées de cette motorisation), mais cela restait très faible face à la Ford Thunderbird et ses 16 155 ventes. Paradoxalement, ce fut le succès de la concurrente de Dearborn qui sauva la « Vette » : la Thunderbird était la preuve que le marché existait, il fallait juste s’y adapter un peu mieux.
Voilà pourquoi la Corvette fit sa véritable mue en 1956 : V8 obligatoire, dont la puissance passait à 210, 225 ou 240 chevaux, faisait ses adieux à la BVA 2 vitesses pour la Powerglide 3 vitesses de série. Surtout, le design était profondément remanié, véritable phase 2 de la C1. Bien sûr, les ventes ne firent pas tout de suite un bond fantastique (3 467, soit à peine plus qu’en 1954) mais dès 1957, les choses commencèrent à aller mieux : surtout, les propriétaires convenaient avoir enfin une « american Sports Car » entre les mains.
Aujourd’hui, mis à part les premiers exemplaires « hand made » de 1953 extrêmement recherchés, la Corvette C1 6 cylindres ne cote « que » 75 000 euros (LVA 2018), dans les mêmes eaux que ses sœurs des années 60. Bien entendu, n’y cherchez pas la performance, mais plutôt l’histoire et l’ironie du sort : une voiture mettant 4 ans à sortir des limbes, pour devenir l’une des plus emblématiques américaines des soixante dernières années !
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